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La petite histoire du skate punk

Ou comment la puérilité est devenue une arme de subversion massive.

Par
Antonin Gratien
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« Moins fort ! », s’époumone la mère de mon ami. En vain. Jamais nous ne baisserions le volume. Ce serait courber l’échine, trahir le crédo de notre passion : le skate punk. Soit le sous-genre le plus méprisé des pionniers du mouvement. En cause ? Une esthétique outrageusement crétine, et des paroles espiègles. « Ode à la connerie » accusent les uns, « prostitutions des valeurs punk » martèlent les autres. Touchante manoeuvre de révolte, réponds-je.

Nous sommes en 2006. Du haut de nos 1m45, ma bande et moi-même fulminons en face du collège. Ça crache par terre, ça insulte les professeurs. Et ça s’enthousiasme pour les derniers morceaux skate punk.

À l’époque, toute une génération de prépubères mâles adhère comme nous à ce mouvement d’outre-Atlantique. Nous jouons leurs partitions, cousons leurs logos sur nos sacs, réclamons d’apprendre leurs hits en classe de musique.

Et non, nous ne baissons pas le volume en les écoutant.

Des gags qui tâchent

Un clip skate punk des années 2000, c’est avant tout le spectacle de jeunes bruyants, sales et tatoués faisant les cons. Sur des airs vifs puisant tantôt dans le heavy métal, tantôt dans la pop. Le tout arrosé de paroles je-m’en-foutiste.

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The Offspring offrent un concert public sous le soleil californien, entourés de cocotiers et de filles en bikini. Quand soudain, en parallèle du show, un génie facétieux souffle à l’oreille d’âmes influençables l’idée de blagues pas finaudes. Résultat : un enfant glisse des excréments dans le sandwich paternel, un étudiant brûle son professeur tandis qu’un autre encore photographie par surprise le dirlo avec deux femmes dénudées.

À voir pareil étalage d’âneries, une question s’impose: quel lien de parenté existe-t-il entre ce clip à l’humour potache, et un mouvement aussi corrosif, cynique et intransigeant que le punk ?

Aube du No Future

Pour répondre à cette question, il faut en revenir à la genèse du mouvement. Véritable comète dans l’histoire de la musique, le punk germe en Amérique au début des années 1960, avec l’apparition d’un « proto-punk » : le garage rock.

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Aux instruments, des gamins défavorisés qui se réunissent (on vous le donne en mille…) dans des garages. Histoire de se marrer. De donner corps à une colère de désaxés, aussi. On appelle à l’émeute, et envoie paître le monde entier.

Le tir fait mouche. D’abord confidentiel, le garage rock gagne vite en popularité. L’adolescence s’engoue pour cette musique tapageuse qui lui permet de revendiquer une culture propre, distincte de celle de l’enfance et de l’âge adulte. S’agiter furieusement sur I Wanna Be Your Dog (1969), c’est s’affirmer comme « jeune ».

En 1974 les Stooges d’Iggy Pop se séparent pour la seconde fois. La même année, un autre groupe iconique voit le jour dans le New York crasseux et délinquant de l’époque : The Ramones. Considéré comme la première bande punk, ils entament, deux ans après leur naissance, une brève tournée au Royaume-Uni.

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Là-bas, leurs accords percutent de plein fouet un public prolétaire écoeuré par le carcan conservateur pré-tatcherien. Dans la foule londonienne, et alors qu’ils étaient encore amateurs, certains membres de The Clash et des Sex Pistols agitent la tête. Ce concert bouleversera leur vie, et galvanisera une scène punk britannique encore balbutiante.

Le punk est mort…

L’année 1977 est ambiguë. D’aucuns estiment qu’elle est à la fois celle de la naissance officielle du punk, et celle de son décès.

Cette année là, les Sex Pistols balancent « Never Mind The Bollocks ». Irrévérencieux, trash et obscène, l’album souffle un vent de révolte sur la société policée d’Elisabeth II. Mais ne fait pas oublier que le groupe est lucrativement marketé par l’homme d’affaires Malcom Mc Lauren.

En 1977 toujours, The Clash signe avec la puissante maison de disque CBS Records. Cet accord faustien choque. Il tourne le dos à la philosophie indépendantiste Do It Yourself (DIY) qui irriguait, jusqu’ici, la mouvance punk.

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Par leur succès retentissant, les deux groupes actent l’existence du genre. Mais ils signent aussi son arrêt de mort en se compromettant avec des logiques mercantiles. Tandis que les fidèles de première heure pleurent l’étoile pâlissante d’un punk devenu grand public, quelque chose se passe aux États-Unis.

… Vive le skate punk !

Apanage d’adolescents fucked up depuis les 50’s, le skateboarding explose. Les shops qui y sont dédiés fleurissent, la mode s’empare du phénomène et le sport se professionnalise.

Les kids des classes paupérisées n’aspirent qu’à rider. Pour skater vite et fort, ils cherchent une musique vive et forte. Pas question de piocher chez les gothiques « post-punk » de The Cure. Trop morose. En quête de mélodies brailleuses, certains skateurs se regroupent, tels les texan Big Boys en 1979, pour créer une musique taillée sur mesure en reprenant plusieurs codes punk.

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Rythme enjoué, mélodies hybrides, esprit festif… la formule fait florès. De grands noms émergent, et beaucoup parmi cette première vague skate punk des 80-90’s signent chez Epitaph. Ainsi de NOFX, Pennywise ou Ten Foot Pole. Fondé en 1980, le label fait figure de symbole car il a été crée par Brett Gurewitz, un guitariste punk qui devint, en passant à
la production, une des chevilles ouvrières de la transition du genre.

Et ça marche. Le « punk à roulette » déverse sa rage sur les ondes, et sature MTV de clips plus barrés les uns que les autres. Le genre trouve un second souffle, mais semble perdre dans sa course quelque chose du legs punk. Alors que la première couvée skate punk conserve en son ADN le souci d’engagement hérité du genre originel, ses représentants s’en détournent peu à peu. Et débouchent sur une désinvolture goguenarde. Alors forcément côté puristes, ça gueule.

Trop commercial, pas assez politisé. Le skate punk, devenu mainstream durant la deuxième moitié des 90’s, se serait progressivement rendu coupable de dévoiement impie, estiment quelques noyaux durs.

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Difficile de déterminer si le skate punk tardif a, oui ou non, déshonoré la mémoire du mouvement dont il est issu en le réduisant à une dimension « fun ». Personnellement le penser me paraît erroné, dans la mesure où l’immaturité qu’il prône n’est pas entièrement apolitique.

Farceur, nouvelle posture militante ?

Là où le punk « natif » exhortait à la castagne contre l’autorité, la seconde vague de son dérivé à roulette (1995-2000’s) opte pour la blague. Voyez plutôt le clip ci-dessus.

On y voit le trio Blink-182 courir à poil dans les rues. Les farces de mauvaise facture s’enchaînent : vol de nourriture à l’arrachée, bousculade de serveurs, tapes sur le crâne d’un couple. Au micro Mark Hoppus, chanteur et bassiste du groupe, entonne :

« Personne ne t’apprécie quand t’as 23 ans,

Et que ça te fait encore marrer de faire des blagues au téléphone.

Mes potes me disent que je devrais agir selon mon âge.

Mais quel âge j’ai déjà ? »

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What’s my age again ? (1999), c’est l’histoire d’un type qui refuse de grandir. Pas par goût de l’immaturité. Plutôt pour s’élever contre plusieurs injonctions normatives. « Sois adulte, fais comme ceci, comme ça… ». Une piste que le groupe canadien Sum41 creuse avec Fat Lip (2001).

Cette fois, les paroles appellent à ne pas « faire la queue pour devenir une autre victime du conformisme ». Reste à cultiver sa singularité, donc. Mais comment ? En déconnant, nous apprend le clip.

On y croise plusieurs portraits de la jeunesse marginalisée américaine. Et tandis que les musiciens font hurler leurs guitares, nos weirdos s’agitent. Un skateur se rétame en tentant de faire des figures. Une fille se fait raser au milieu de la cohue, dans la plus pure tradition punk. Tous dansent. Et quand les membres du groupe ne jouent pas, ils agitent frénétiquement la tête comme des bulldogs.

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Cette exhibition jubilatoire de l’insouciance adolescente est un trait caractéristique du skate punk. Ici, le syndrome de Peter Pan ne relève pas d’une vulgaire fuite des responsabilités. Il est génétiquement transgressif, en vertu de l’équation:

Rester ado = esquiver l’âge adulte = ne pas se soumettre au diktat d’une société haïe

Si grandir c’est tomber aux mains du système, alors grimacer devant des inconnus devient
un moyen de perpétuer la lutte.

Why not !

Quelle pérennité ?

Les sales gosses du skate punk ont connu leur heure de gloire durant les années 1990-2000. Et si beaucoup ont disparu des radars depuis, certains s’accrochent encore à la scène.

Ainsi des inoxydables Sum41, qui partagent l’affiche 2021 du Main Square Festival d’Arras avec Sting ou, plus près de nous, Nekfeu. Pas sûr que le contexte sanitaire nous permette de taper du pied sur les riffs endiablés du groupe en live. Reste toujours l’écoute en streaming. Ma playlist, pour curieux ou nostalgiques.

Concoctée en vrac, esprit punk oblige.

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