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Être asexuel.le sur les applications de rencontre

« Te faire ghoster quand tu annonces ton orientation sexuelle, c’est violent. »

Par
Catherine Montambeault
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« Le sexe, c’est naturel, c’est impossible que t’en veuilles pas. » « T’aimes pas le sexe parce que t’étais pas avec la bonne personne. » « Tu vas voir, avec moi, tu vas aimer ça. »

Voici le genre de réponses que Gabriel Guertin-Pasquier reçoit régulièrement sur les applications de rencontre lorsqu’il révèle son asexualité. Et ça, c’est quand son match ne le ghoste pas carrément.

L’asexualité est une orientation sexuelle selon laquelle on n’a pas ou peu d’attirance sexuelle envers autrui. Comme toute forme de sexualité, l’asexualité représente un spectre : certaines personnes asexuelles ressentent à l’occasion le désir d’avoir des relations sexuelles, alors que d’autres n’en ont jamais envie ou sont même dégoûtées par l’idée.

Mais ne pas avoir de désir pour les autres ne signifie pas nécessairement que l’on ne veuille pas de relation amoureuse. Et de nos jours, vers quoi se tourne-t-on lorsqu’on souhaite partir en quête de sa douce moitié ? Eh oui, les applications de rencontre. Cependant, pour les personnes sur le spectre asexuel, ces plateformes représentent souvent des lieux propices aux échanges violents et invalidants.

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« Je me mentais à moi-même »

Gabriel Guertin-Pasquier, qui a affiché son asexualité publiquement en participant à la seconde saison de la téléréalité québécoise Si on s’aimait, se considère plus spécifiquement comme « demisexuel homoromantique ».

« Demisexuel, ça veut dire que je peux éventuellement avoir du désir pour quelqu’un, mais ces envies-là sont des cas isolés, explique-t-il. Au final, mon désir est tellement faible que je pourrais vivre ma vie au complet sans relation sexuelle et je serais parfaitement heureux et épanoui. Ce n’est vraiment pas un besoin que j’ai. »

«mon désir est tellement faible que je pourrais vivre ma vie au complet sans relation sexuelle et je serais parfaitement heureux.»

« Homoromantique » signifie que Gabriel est intéressé romantiquement par les personnes du même genre que lui. Bien qu’il ait « toujours su » qu’il souhaitait être en couple avec un homme, il a longtemps eu du mal à trouver sa place au sein de la communauté gay, qu’il qualifie de « très hypersexualisée ».

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« C’était vraiment difficile, et je me suis retrouvé dans des situations assez horribles, parce que je me sentais mal de dire à mon partenaire : je n’ai pas envie de coucher avec toi, j’ai juste envie qu’on dorme collés, d’apprendre à te connaître, de bâtir une relation avec toi, mais tout ce qui est génital, ça ne me tente pas du tout », raconte-t-il.

Gabriel affirme que la grande majorité des relations sexuelles qu’il a eues au cours de sa vie étaient non consentantes. Il estime toutefois que la plupart de ses partenaires n’étaient pas en faute, puisqu’il leur cachait son absence de désir sexuel.

« Je me mentais à moi-même et je disais oui à tout parce que je voulais absolument être en couple malgré mon asexualité, confie-t-il. C’est pour ça que je ne leur en veux pas. Mais il y a quelques relations qui étaient clairement des agressions sexuelles, parce que ça se voyait vraiment que je n’étais pas consentant, et ça, je ne les excuse pas, c’est totalement inacceptable. »

Des réactions invalidantes

À l’âge de 18 ans, Gabriel commence à utiliser les applications de rencontre dans l’espoir de se trouver un amoureux sérieux. S’il a déjà fait son coming out gay à l’époque, le terme « asexuel » lui est encore inconnu. Rapidement, il constate « l’immense pression d’être sexuel » sur ces plateformes, particulièrement celles destinées aux hommes queers comme Grindr.

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Par exemple, l’application lui demande d’emblée s’il est top, bottom ou versatile, alors que le jeune homme ne s’identifie à aucun de ces termes sexuels.

« La plupart du temps sur ces applications-là, une conversation ne commence pas par “salut, ça va ?”, mais par “veux-tu baiser ce soir ?”, c’est très cru. C’est aussi une place où tu reçois beaucoup de dick pics non sollicitées, donc c’est vraiment dur pour une personne asexuelle de trouver sa place là-dedans », souligne l’homme qui aura bientôt 30 ans.

l’application lui demande d’emblée s’il est top, bottom ou versatile, alors que le jeune homme ne s’identifie à aucun de ces termes sexuels.

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C’est finalement à 26 ans, grâce à une vidéo sur YouTube, que Gabriel découvre qu’il est asexuel, « la plus belle découverte de ma vie » dira-t-il à propos de ce moment charnière. À partir de là, Gabriel commence à aborder le sujet lorsqu’il discute avec des hommes sur Tinder ou Grindr. À son grand désarroi, les réactions qu’il reçoit sont rarement positives, et sont même souvent violentes.

« Il y a des personnes qui prennent ça comme un défi, en disant : “Tu vas voir, avec moi, ça va être le fun”, relate-t-il. Sinon, des fois, la personne n’essaie juste pas de comprendre, elle continue de m’écrire des sextos même si je lui ai dit clairement que je n’étais pas intéressé, et elle m’envoie des dick pics quand même. D’autres personnes ne croient tout simplement pas que c’est possible d’être asexuel et me disent que je dois avoir une déviance. »

Même lorsqu’il a une conservation agréable avec un match et qu’il décide de le rencontrer, les rendez-vous ne se passent pas toujours comme il le voudrait.

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« Avec l’effet de l’alcool et tout ça, souvent, c’est comme si la personne oubliait mon asexualité, déplore Gabriel. Elle espère que je vais aller coucher chez elle et ça se sent, alors ça crée plein de malaises. Déjà qu’un premier rendez-vous, c’est gênant dès le départ ! »

Respect, curiosité et écoute

C’est pour offrir un lieu d’échange sécuritaire aux personnes comme Gabriel que Liza Trudel a créé le groupe Facebook Asexuel.le.s du Québec il y a deux ans.

« En fait, le groupe existe depuis cinq ans, mais plus personne ne s’en occupait, précise la femme de 22 ans. Depuis que moi et d’autres bénévoles l’avons repris il y a deux ans, on est passé de 180 à 760 membres ! »

Sur ce groupe, les internautes peuvent poser des questions aux autres membres, faire connaissance et partager des réflexions ou des événements qui concernent la communauté asexuelle.

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Afin de démystifier cette orientation sexuelle, Liza Trudel a également organisé la Semaine de la visibilité asexuelle au Québec, une initiative qui existait déjà ailleurs dans le monde, mais pas dans la province. Pour la deuxième édition, qui se déroule du 24 au 31 octobre, plusieurs activités sont prévues en collaboration avec l’Alliance Arc-en-ciel, dont une discussion sur la place de l’asexualité sur les applications de rencontre.

Se décrivant comme une personne « demisexuelle biromantique », Liza a elle aussi eu une expérience assez éprouvante sur les applications de rencontre. Elle se considère « chanceuse » de n’avoir fait face « qu’à beaucoup d’incompréhension, mais pas à des dick pics ou à des insultes ».

Gabriel Guertin-Pasquier et elle s’entendent pour dire que beaucoup reste à faire pour que les personnes asexuelles se sentent incluses et en sécurité dans ces lieux virtuels.

« On tient pour acquis que chaque personne est sexuelle, mais il faut arrêter de mettre cette pression-là sur tout le monde »

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« La principale chose que j’aimerais, ce serait que quand les applications nous demandent notre orientation sexuelle, que tous les termes utilisés par la communauté asexuelle soient présents, pour qu’on n’ait pas constamment à faire notre coming out », suggère Gabriel.

Il croit cependant que c’est d’abord au sein de la société que les changements doivent s’opérer pour que le climat qui règne sur les applications se transforme à son tour. « On tient pour acquis que chaque personne est sexuelle, mais il faut arrêter de mettre cette pression-là sur tout le monde », résume-t-il.

Aux personnes qui matcheraient avec une personne asexuelle, Gabriel et Liza recommandent de garder l’esprit ouvert, de poser des questions et d’être à l’écoute de l’autre, puisque l’asexualité n’a pas la même définition pour chaque personne qui s’y identifie. « Et c’est vraiment ok si on se rend compte qu’on ne veut pas être en relation avec une personne asexuelle, mais on peut le dire avec respect », note Gabriel.

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Quant aux personnes asexuelles qui envisageraient de s’inscrire sur une application de rencontre, Gabriel et Liza conseillent d’assumer pleinement leur identité, leurs limites et leurs préférences, parce qu’elles sont aussi valides que celles des autres.

« En tant que société, on devient de plus en plus ouvert à la différence, alors je crois que c’est possible de trouver quelqu’un qui a un minimum de curiosité et qui est prêt à aller voir plus loin que ton orientation sexuelle pour aimer la personne que tu es. Moi, j’y crois », conclut Gabriel.