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Et si le commerce de la cocaïne devenait légal en Colombie ?

Réflexion autour d'un projet de loi qui fait couler beaucoup d'encre.

Par
Thomas Chenel
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Tous les pays de la planète considèrent le commerce de cocaïne pour usage récréatif comme un crime, parfois passible d’emprisonnement et dans les cas extrêmes, de mort. Qu’on soit à Shanghai, à Madrid ou à Dunkerque, acheter de la coke, c’est encourager le crime organisé. Pourtant, tout ça pourrait changer en Colombie, où un projet de loi suggérant la légalisation du commerce de cocaïne est actuellement envisagé. On s’est penché sur la question pour découvrir ce que ça implique, tant pour le pays que pour le reste du monde.

Au pays de la coco

Pour plusieurs, l’association des mots « Colombie » et « Cocaïne » se fait tout à fait naturellement. Bien qu’il s’agisse d’une idée préconçue (doit-on vraiment préciser que c’est pas toute la population du pays qui fait de la poudre ou qui s’adonne au narcotrafic dans ses temps libres ?), comme on dit, y’a pas de fumée sans feu. Le pays reste le plus important producteur de cocaïne au monde et depuis une quarantaine d’années, la situation politique, économique et sociale de la Colombie est teintée par l’industrie de la coke.

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Au début des années 1980, elle est devenue la drogue de prédilection des Américains blancs, riches et célèbres, alors que le crack, une forme de cocaïne moins coûteuse, plus addictive et plus dommageable pour le cœur et les poumons, s’est mis à faire des ravages dans les communautés moins riches et moins blanches. Résultat : le gouvernement américain, inquiet de l’avidité de son peuple pour ce stimulant exotique, décide « d’aider » la Colombie à éradiquer les cartels qui s’occupent de sa production et de sa distribution.

La prohibition, ça coûte cher : chaque année, la Colombie dépense en moyenne près de 1 milliard d’euros dans sa lutte contre la coca.

Le problème, c’est que se débarrasser d’une dizaine de groupes criminels organisés c’est, sans surprises, pas si facile. Ainsi, le projet d’éradication s’est plutôt soldé par 40 années de violence, de corruption et de persécution qui touche à presque toutes les strates de la société colombienne. Sans oublier que la prohibition, ça coûte cher : chaque année, la Colombie dépense en moyenne près de 1 milliard d’euros dans sa lutte contre la coca. Quand on pense aux tonnes de cocaïne qui réussissent tout de même à être exportées chaque année, on se rend compte que c’est beaucoup d’argent pour pas grand-chose.

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Comme si la situation n’était pas déjà assez absurde comme ça, le gouvernement colombien a estimé qu’acheter la production de coca du pays lui coûterait environ 630 millions d’euros annuellement : c’est donc moins cher de l’acheter que d’essayer de la détruire !

de la coke avec un code-barres ?

Fast-forward à cette année : le sénateur colombien Iván Marulanda et d’autres membres du Congrès déposent un projet de loi en faveur de la légalisation du commerce de cocaïne en Colombie. Premièrement, il faut savoir que la possession de moins d’un gramme de cocaïne et la culture de coca pour consommation personnelle ont déjà été légalisées : seule la vente demeure à ce jour illégale au pays. Le nouveau projet de loi proposé permettrait à l’état d’acheter la totalité des feuilles de coca produites au pays, pour ensuite en faire la transformation et la vente. En d’autres mots, à devenir le premier pays au monde à vendre de la coke en toute légalité.

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De terroristes à contribuables

Si le projet de loi fait son chemin jusqu’au bout, la vie de plus de 200 000 familles de fermiers pourrait changer drastiquement. Loin d’être les acteurs les plus imposants du marché, les familles qui s’occupent de la culture des plants de coca sont souvent terriblement démunies, et sont victimes de persécution à la fois par le crime organisé et par leur propre gouvernement.

Puisque la culture de coca n’est légale que pour usage personnel, les familles qui ont de grandes plantations sont souvent inquiétées par les autorités : on considère qu’une telle production est nécessairement destinée au commerce. La légalisation du marché de la cocaïne permettrait à ces familles de s’insérer dans l’économie de leur pays tout en coupant les liens avec les groupes criminels qui les contrôlaient de main de fer. Donc, en plus de contribuer au redressement de l’économie colombienne, la légalisation pourrait améliorer la qualité de vie des cultivateurs.

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Un cartel, c’est pas écoresponsable

L’industrie de la coke a aussi un impact majeur sur l’environnement. On estime qu’elle est responsable de 25% des 300 000 hectares de forêt rasés chaque année en Colombie. Évidemment la légalisation ne va pas régler le problème de la déforestation tropicale à elle seule, mais elle devrait quand même y jouer un rôle crucial. En fait, les familles cultivatrices contribuent à la déforestation parce qu’elles sont constamment obligées de fuir les autorités. Si elles ne sont plus inquiétées pour leurs activités, elles n’auront plus besoin de déménager à tout bout de champ, ce qui devrait ralentir considérablement la déforestation.

Le procédé chimique le plus commun qui permet d’extraire la cocaïne des feuilles de coca nécessite l’utilisation d’hydroxyde de sodium, de kérosène et d’acide sulfurique, trois produits habituellement vendus avec une tête de mort sur l’emballage.

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En plus, le procédé chimique le plus commun qui permet d’extraire la cocaïne des feuilles de coca nécessite l’utilisation d’hydroxyde de sodium, de kérosène et d’acide sulfurique, trois produits habituellement vendus avec une tête de mort sur l’emballage. La production de coke étant illégale, c’est pas tentant de chercher la façon la plus écoresponsable de se débarrasser de ses déchets toxiques. Ceux-ci sont donc bien souvent jetés dans la rivière la plus proche, au grand malheur de l’écosystème colombien.

La cocaïne, une industrie polyvalente

Une fois l’entièreté de la production de coca achetée par le gouvernement, qu’est-ce qu’on fait avec ? On la vend à qui, et pourquoi ? Une des premières propositions soulignées serait de vendre les feuilles à petit prix aux communautés autochtones du pays, qui ont déjà une relation intime avec la plante. On leur donnerait l’opportunité de développer une industrie artisanale autour de leur connaissance de la coca, ce qu’ils n’ont jamais pu faire en raison de la stigmatisation de la plante.

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Après tout, la coca est aussi une source de calcium : elle peut être transformée en produits alimentaires ou médicinaux aux effets beaucoup plus soft que ceux de la coke. Le thé de coca, par exemple, offre un buzz qui s’apparente à celui du café en plus d’être un excellent remède contre le mal des montagnes (parce que vivre dans les Andes à plus de 2400 mètres au-dessus du niveau de la mer, ça te fait sentir chelou parfois).

Évidemment, la Colombie pourrait aussi produire de la cocaïne, et la vendre à des fins récréatives ou analgésiques. La possession de cocaïne est légale, oui, mais les consommateurs n’ont aucun marché légitime vers lequel se tourner : la seule offre vient du crime organisé. Si la loi proposée entre en vigueur, les Colombiens pourraient potentiellement acheter de la coke dont la qualité serait certifiée, en pharmacie, à condition qu’ils soient jugés en assez bonne santé mentale et physique pour en consommer. Le gouvernement est aussi ouvert à l’exportation de cocaïne vers d’autres pays qui auront éventuellement décidé de légaliser ce psychostimulant.

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La communauté scientifique est un autre marché vers lequel la Colombie pourrait se tourner. La recherche sur les effets de la poudre est assez limitée, principalement parce que les chercheurs n’ont pas de source légale de cocaïne à leur disposition. Le pays pourrait donc devenir le fournisseur des scientifiques qui s’intéressent à la pharmacologie de la coke partout dans le monde.

Quelles répercussions pour le reste du monde ?

C’est bien beau tout ça, mais qu’est-ce que ça changerait pour le marché noir ? Ça dépend. Si la nouvelle loi est acceptée et respectée, toute la production colombienne de coca pourrait tomber entre les mains du gouvernement, et le marché noir mondial perdrait la vaste majorité de sa marchandise. Le prix de la poudre pourrait monter en flèche, et les dealers seraient incapables de fournir. Le résultat : un produit final tellement coupé qu’il goûte le lactose, à 100 euros le gramme. Ça revient cher le berlingot.

Même si la loi passait, on pourrait s’attendre à une exportation clandestine de cocaïne maintenue.

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Par contre, il faut garder en tête que la Colombie a des problèmes de corruption en lien avec le trafic de cocaïne depuis presque cinquante ans, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Donc, même si la loi passait, on pourrait s’attendre à une exportation clandestine de cocaïne maintenue. On peut aussi se dire que, s’il y a des membres des cartels au Sénat, les chances que la loi passe sont assez minces.

Mais peut-être aussi que cela pourrait inciter d’autres pays à légaliser et à encadrer le commerce de la cocaïne, par exemple en l’achetant au gouvernement colombien et en la distribuant selon certains paramètres entre les frontières. À suivre.