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Entrevue : Vincent Cocquebert – Pourquoi il est urgent de sortir de nos bulles de confort
Une série sur Netflix, un plaid molletonné, une bougie parfumée et une box de sushis livrée au pas de sa porte : pour beaucoup, ce plan a tout de la soirée idéale. Mais pour Vincent Cocquebert, c’est surtout le symptôme d’un repli sur soi de l’ensemble de la société. Dans La civilisation du cocon, paru ce 18 mars aux éditions Arkhê, le journaliste analyse ces bulles confortables dans lesquelles on aime tant se vautrer… au point de ne plus savoir se confronter au monde extérieur.
C’EST QUOI, UNE CIVILISATION DU COCON ?
Notre idéal utopique aujourd’hui, c’est une civilisation dans laquelle on est perpétuellement en quête de confort et de protection. Ce mouvement n’est plus porté par un élan vital de conquête, de vouloir en découdre avec la nature, ni par l’idée d’un futur meilleur que le présent. La pulsion qui traverse notre société est celle d’un repli sur soi, et d’une communautarisation uniquement avec des gens qui nous ressemblent.
CONCRÈTEMENT, À QUOI OBSERVE-T-ON CE REPLI SUR SOI AU QUOTIDIEN ?
Déjà avant le confinement, on vivait pré-confinés depuis un moment. On n’a jamais vu autant de domiciliation des loisirs, des rencontres, de la consommation de nourriture… Il y a un vrai retour à la maison et on valorise ce sédentarisme, l’expression « Netflix and chill » le montre bien. Le nombre de rapports sexuels chez les jeunes n’a jamais été aussi bas, l’âge de la première relation augmente, même le monde des enfants rétrécit : une étude montre que dans les années 50, un garçon de dix ans pouvait aller pêcher à 10 km de chez lui. Soixante ans après, un petit garçon n’a le droit de s’éloigner qu’à 150 mètres de chez lui.
À PARTIR DE QUAND NOTRE BESOIN DE SÉCURITÉ A-T-IL COMMENCÉ À PRENDRE TANT DE PLACE ?
Cette quête de sécurité est liée à l’aversion du risque, et c’est dans les années 90 que les théoriciens du risque observent la naissance de la risquophobie, puisque le progrès n’a pas respecté toutes ses promesses et a engendré d’autres périls environnementaux, économiques… C’est sur la friche d’une utopie en berne que s’est mis en place le principe de précaution, qui se manifeste dans nos relations amoureuses, notre manière de voter, au travail… Alors qu’on n’a jamais si peu cru au futur, le cocooning, qui est au départ un terme marketing, est devenu une aspiration commune. En 2016, le hygge, une version radicalisée du cocooning venue du Danemark se popularise : mais 2016, c’est aussi l’année du Brexit et de l’arrivée de Trump au pouvoir.
JUSTEMENT, EN QUOI SE VAUTRER DANS LE CONFORT ET LA SÉCURITÉ EST-IL PROBLÉMATIQUE ?
Les chercheurs qui ont étudié la philosophie du hygge se sont rendus compte que c’était un concept de cohésion de groupe très fort pour ceux qui partageaient ces valeurs, et d’exclusion pour les autres. Le confort est sécurisant, mais aussi aliénant : s’enfermer sur soi-même crée un sentiment de défiance entre les individus, parce que l’inconnu devient inquiétant. Cette pulsion de retour sur soi peut être bénéfique et nécessaire, mais quand elle devient une aspiration collective et la philosophie intime de notre temps, ça pose un problème. Comment penser un destin collectif quand la société est un ensemble d’individus en quête constante de sécurisation intellectuelle, matérielle et psychologique ?
VOUS PARLEZ DE L’EFFET LOUPE QU’A EU LA PANDÉMIE. QU’EST-CE QUE ÇA A MIS EN LUMIÈRE ?
Les Français se sont confinés avec une facilité étonnante, et beaucoup ont vu dans le confinement un break bienvenu. On a aussi remarqué que les personnes à demander un confinement fort étaient en majorité des jeunes. Ça montre bien que l’autre et l’extérieur ne sont plus si séduisants, et peuvent au contraire être une source d’angoisse, d’anxiété et d’agression. C’est une première dans l’histoire de l’humanité : l’être humain ne veut plus conquérir le monde et le transformer, il est plutôt dans la posture du « tous aux abris ».
C’EST UN PEU TRISTE, NON ?
Oui, parce que c’est une quête perdue d’avance. Le confort est quelque chose d’illusoire dont le curseur ne fait qu’augmenter à mesure qu’on en atteint les différents paliers. Et si on est si passionnés par l’intérieur aujourd’hui, c’est parce que l’extérieur, la planète, nous paraît de moins en moins safe. Cette défiance entre individus fait écho à une défiance envers les institutions, mais surtout une défiance envers le futur : c’est quand même la première fois dans l’histoire mondiale qu’on nous dit que le futur va être pire que le présent. La science d’aujourd’hui c’est la collapsologie, la science de l’effondrement… C’est quand même assez intéressant.
QUE GAGNERAIT-ON À SORTIR DE NOS BULLES ?
Le côté grisant d’une rencontre impromptue, plus d’élan vital, plus de pulsion de vie… Pendant la pandémie, on a vu des jeunes faire la fête et quasiment se faire traiter de meurtriers. Alors qu’après un an de mesures restrictives et en tant qu’animal social, c’est normal. La pulsion de vie est de leur côté mais il y a eu une inversion du sens du terme, et je pense qu’il y a un vrai travail à faire sur les représentations. On n’est pas sur Terre pour passer une vie enfermée dans un appartement surchauffé à regarder Netflix en commandant des burgers mous sur Deliveroo. Ce n’est ni un projet de vie, ni un projet de société.