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Entrevue : Paul Sanfourche – « Ce livre sur Loana n’existerait pas sans #MeToo »

Retour sur une « Sexisme story », 20 ans après le premier Loft Story.

Par
Daisy Le Corre
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« Quand elle était dans le Loft, elle était la risée de tous car elle était le cliché de la bimbo, surfaite, etc. Elle tombe dans l’enfer de la drogue, l’alcool, la dépression. À 120 kilos, elle est toujours la risée. On devrait tous être peinés pour elle. Pas lui cracher dessus. Nous, les femmes, on ne peut jamais gagner : bimbo on perd, grosse on perd. Au secours ! » C’est cette phrase de Daria Marx reprise par Gabrielle Deydier dans On ne naît pas grosse qui a opéré un déclic dans le cerveau de Paul Sanfourche. Du haut de ses 35 ans, et 20 ans après avoir vu Loft Story pour la première fois, il a voulu comprendre tout ce que l’émission, et la représentation de Loana en particulier, recèle et révèle des moeurs de notre société, si difficiles à révolutionner.

« Je repense surtout à mon vieux fantasme sur écran d’ordinateur. Au dortoir du Loft et à cette fascination adolescente pour l’homme qui prend la femme, l’utilise et la jette après usage. De quel bois est fait ce fétiche ? Que dit-il de moi et de mes semblables ? Un projet se dessine peu à peu : sortir du placard les loques de cette chimère, les secouer dans l’air du temps pour les épousseter et les rafraîchir à la lumière du jour », écrit-il dans l’intro de son livre pour expliquer la genèse de son projet.

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Si, sur Twitter, certain.es (comme Ovidie) s’étonnent de la parution de ce livre sur la star du premier Loft Story (« Mais je m’interroge sur cet énième « discours sur ». Et si on l’écoutait elle ? ») , on ne peut pas reprocher à l’auteur de Sexisme Story de ne pas avoir pris le temps d’écouter Loana (un enregistrement de 8 heures en témoigne). Ni d’avoir voulu faire comme si le premier livre de Loana (ndlr, Elle m’appelait… Miette) n’existait pas, au contraire. On en a discuté par téléphone avec le principal intéressé.

Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ce livre et pourquoi te focaliser sur Loana ?

C’est vraiment la citation de la militante féministe Daria Marx qui dit que Loana, à 20 ans, correspondait au stéréotype de la bimbo et au male gaze (regard masculin), mais qu’elle était quand même détestée pour ça ; et à 40 ans, quand elle est devenue obèse et qu’elle n’était plus dans le male gaze, elle était à nouveau critiquée et fustigée pour son corps. Daria Marx résume bien tout ça en disant que « c’est le signe que les femmes ont toujours tort ». Ça m’a vraiment marqué cette phrase, ça a eu l’effet d’un électrochoc et ça m’a replongé dans mes 16 ans au moment où je regardais le Loft, avec la fameuse scène de Loana et Jean-Édouard dans la piscine. Mais il ne me restait que ça en tête : cette espèce de sidération visuelle. J’ai réalisé que je n’avais eu absolument aucune empathie pour Loana à ce moment-là ni après, que je l’avais juste zappée. Elle ne m’intéressait pas, en fait.

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J’ai fini par comprendre que dans tout cela, il y avait quelque chose qui touchait à mon sexisme, à notre sexisme à tous et aux stéréotypes véhiculés par l’émission. C’est comme si j’avais ingurgité tout ce sexisme de manière non critique à ce moment-là. Et donc j’ai voulu enquêter là-dessus pour questionner ce regard-là, le mien et celui de la société.

Est-ce que la vague #MeToo a joué un rôle dans l’écriture de ce livre ?

Clairement, ce livre n’existerait pas sans #MeToo. Il bénéficie de tout ce bain culturel dans lequel on est en train de vivre et où on se penche enfin sur les représentations passées en se demandant comment ça a pu se produire. Mais dans ma vie personnelle aussi, j’ai beaucoup évolué sur ces sujets au contact de ma petite copine féministe, entre autres. Ça m’a permis d’ouvrir les yeux sur les problèmes de la domination masculine systémique. C’est un ensemble de facteurs qui m’ont fait progresser sur ces questions.

Est-ce qu’on t’a reproché le fait que tu sois un homme et que tu n’étais pas forcément légitime d’écrire là-dessus ?

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Avant même qu’on puisse me le reprocher, je savais que quelque chose clochait. Je savais que je ne pouvais pas dire que j’allais adopter une méthode pro-féministe en occultant le fait que j’étais un homme qui écrivait sur une femme, il y avait une contradiction majeure et une grosse possibilité de mansplaining aussi. Donc ça a été primordial pour moi d’amener un récit à la première personne justement pour me situer, pour préciser d’où je parlais et ne pas me faire passer pour un féministe modèle mais pour ce que je suis, à savoir un homme qui tente de se déconstruire et d’adopter une démarche pro-féministe. Mais je ne voulais pas passer pour la personne la mieux placée pour donner des leçons de féminisme. Pour moi, c’était la seule façon saine d’écrire ce livre, d’avertir les lecteurs.trices.

Comment Loana a pris le fait que tu allais faire un livre sur elle ?

Je lui ai vraiment envoyé un mail-type de journaliste en lui disant que je voulais écrire un livre sur sa vie car je la trouvais représentative des violences faites aux femmes dans notre société. Mais je n’ai pas abordé la question du féminisme dès le départ, de peur que ça la fasse fuir. Elle m’a répondu quelques heures après l’envoi de mon message, elle était très enthousiaste. On s’est vus, et c’est là que j’ai enregistré une bonne partie de son témoignage, environ 8 heures de conversations.

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Et toi, comment as-tu réagi en la rencontrant pour la première fois ?

Dès le départ, j’ai été très touché par sa bienveillance. Elle ne m’a jamais posé de questions d’intéressement financier, ni rien. Elle a tout de suite adhéré à ma démarche. Mais quand je l’ai vu débarquer face à moi dans l’arrière pays niçois, en sortant de la voiture de sa mère, c’est son charisme qui m’a tout de suite marqué. C’est un vrai personnage méridional, Loana !

Et puis à un moment donné, elle a arrêté de te répondre. Elle t’a fait savoir qu’elle ne voulait plus jouer le jeu, sous l’influence/les conseils de certains de ses proches. Comment tu l’as pris ?

J’étais désemparé, j’ai essayé de la faire changer d’avis, en vain. Par contre, à aucun moment, elle ne m’a demandé d’arrêter mon travail de recherches. Alors j’ai continué ! Je sentais aussi que je ne lui avais peut-être pas assez bien expliqué le projet. Mais le dialogue était rompu alors je lui ai envoyé un long mail en lui détaillant à nouveau ma démarche. Et elle m’a finalement répondu de façon très positive en me disant qu’elle me soutenait dans ce projet, ce qui a noué une nouvelle relation de confiance. Mais on ne s’est jamais revus depuis.

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Il y a une sorte de relation de fuite avec Loana. Et ça m’intéresse aussi ce rapport de l’auteur à son sujet : sa méfiance vis à vis de moi est parfaitement compréhensible, elle a suffisamment subi l’exploitation médiatique dans sa vie pour ne pas se méfier d’un journaliste. Pour moi, c’était surtout très important d’avoir son consentement, que j’ai eu à deux reprises. Et j’ai toujours respecté sa mise à distance quand elle m’a esquivé.

Est-ce qu’elle a lu ton livre finalement ?

Oui ! Et elle l’a beaucoup aimé. Pour moi, Loana était la lectrice la plus importante, c’est évident. Ce projet reposait sur son approbation, sinon la démonstration s’écroulait d’elle-même.

Je ne sais pas si tu as vu le documentaire sur Britney Spears, « Framing Britney Spears ». J’ai l’impression que la descente aux enfers de Britney rejoint en partie celle de Loana. Qu’en penses-tu ?

C’est vrai. Il y a un appétit du monde du spectacle pour les jeunes femmes et il les dévore souvent avec les mêmes logiques. Ces figures, qu’il s’agisse de Loana, Britney Spears ou même Paris Hilton, racontent le monde dans lequel certain.es d’entre nous ont grandi. Loana, quand Endemol la repère, leur premier référent culturel c’est… Marilyn Monroe et c’est très symbolique aussi ! On sait à quel point Marilyn Monroe a été broyée par le système. Finalement, tout cela se perpétue de génération en génération, on est toujours à la recherche de la prochaine Marilyn ou Britney : parce que ce sont des moteurs pour l’industrie du spectacle, tout simplement.

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En ce moment, en 2021, il y a une grosse prise de conscience au sujet de ces femmes qu’on avait mises dans des cases de force et en particulier la case de la gentille blonde écervelée ! On a même parfois ri de leurs turpitudes en se disant : « C’est bien fait pour elles, elles n’avaient qu’à pas à être au firmament », etc. Mais on ne s’est pas encore penché concrètement sur les raisons pour lesquelles tout cela est arrivé, et à quel point il y a une responsabilité collective. C’est ça qu’il faut revoir à la lumière post #MeToo justement.

D’ailleurs, en rédigeant mon livre sur Loana, j’ai aussi beaucoup pensé au documentaire que j’avais vu sur Amy Winehouse : j’avais été très choqué par l’appétit du public et de la presse envers les vedettes sans aucune empathie pour l’humain derrière la star. Comme si, à partir du moment où des personnes sont connues, on estime qu’elles nous appartiennent et qu’on peut les attaquer avec une violence sans limite, quitte à les broyer complètement. J’ai l’impression que pour Loana et Britney Spears, on suit cette logique-là d’accaparement par le public.

Comment faire pour changer les choses ?

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Ce qui peut changer la donne c’est que les producteurs soient inquiétés par le public. Si le public refuse l’instrumentalisation et rejette ces purs produits du patriarcat audiovisuel, là ça peut faire changer les choses. Mais tant que ça se vend, un producteur n’a pas beaucoup d’état d’âme, hélas.

En tapant ton nom dans Google et le titre de ton livre, j’ai vu que la presse people s’emparait de certains passages de ton bouquin pour faire le buzz… Tu t’y attendais ?

À titre personnel, je suis catastrophé. En même temps, je n’avais aucune illusion, je savais que la presse people ne changerait pas ! Et puis, avec les 20 ans du Loft, c’était sûr que Loana allait ressurgir sur les tabloïds. Mais de toute façon, dès qu’elle fait le moindre mouvement, tous ses gestes sont chroniqués par la presse people… Ils ont un cynisme absolument hallucinant. J’espère simplement que mon livre pourra mettre un peu de distance vis-à-vis de tout ce qu’on lit souvent sur Loana et qu’il pourra apporter une vision plus juste de ce qu’elle est vraiment.

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Au lieu de me questionner sur les femmes, ce livre m’a questionné sur les hommes. Parce que c’est aussi ça toute la tension derrière le livre : comprendre d’où vient toute cette haine, cette misogynie. Et comprendre ce qui est aussi toxique dans la masculinité hégémonique, alors je crois que mon prochain projet s’attellera à décrypter tout ça : il faut continuer à interroger la masculinité, et essayer d’ouvrir les voix de masculinité divergentes pour faire émerger une prise de conscience masculine. Les femmes ont beaucoup fait déjà pour changer les choses, c’est à eux d’agir maintenant.