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Entrevue : Mohamed Mechmache – «Notre préoccupation, c’était de savoir comment on allait pouvoir remplir notre assiette»

Retour sur l'épidémie de coronavirus à Paris VS en banlieue. Décryptage.

Par
Lison Délot
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J’habite à Paris, et j’ai passé mon confinement à la campagne, dans un endroit privilégié au paysage bucolique. Mais je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde. Les vidéos de regroupements illégaux qui faisaient penser à un non-respect du confinement en Seine-Saint-Denis ont fait le tour des réseaux sociaux. Mais je me demande ce qui s’est réellement passé en banlieue et où en sont actuellement les personnes qui y vivent. On a discuté avec Mohamed Mechmache, ancien président et membre fondateur de l’association ACLEFEU, qui vient en aide aux familles les plus démunies de banlieue.

Globalement, la France est parvenue à surmonter l’épreuve du confinement entraînée par l’épidémie de coronavirus. Mais si on regarde de plus près, est-ce qu’il vous semble que les Parisiens et les habitants de la banlieue ont vécu cette situation de la même façon ?

Nous, notre préoccupation, c’était de savoir comment on allait pouvoir remplir notre assiette.

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Non, bien sûr. En banlieue, dans nos quartiers, on vit dans des logements sociaux, on n’a pas beaucoup d’espace et on a surtout des petits logements avec de grandes familles qui y vivent. Donc le confinement est forcément plus compliqué.

À Paris, les préoccupations des habitants étaient d’aller promener leur chien, de faire du vélo ou leur jogging. Nous, notre préoccupation, c’était de savoir comment on allait pouvoir remplir notre assiette. Donc on n’était pas dehors par plaisir, ni par loisir mais par nécessité. La nécessité alimentaire. On l’a vécu difficilement. Voilà la différence entre Paris et la banlieue.

La nécessité alimentaire, c’est justement le cœur de votre association ACLEFEU. Quelles ont été vos actions pendant le confinement, et aujourd’hui ?

On a commencé par interpeller nos responsables politiques pour leur dire que face à cette crise sanitaire, il allait forcément y avoir une crise sociale, que les habitants de ces quartiers allaient être très en difficulté. La réponse n’a pas été suffisante donc on a décidé d’agir.

Quand les écoles ferment, que vous vous retrouvez avec 6 enfants à nourrir à la maison tous les jours alors que normalement vous payez la cantine un euro: il y a un problème, un manque à gagner. On s’est dit qu’il fallait qu’on soulage ces familles, en tout cas sur des paniers repas. L’idée c’était de mettre en place des actions d’aide alimentaire pour ces familles qui vivent avec nous, qui sont nos voisins, nos amis.

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Comment vous êtes-vous organisés ? Où avez-vous récupéré toutes les denrées alimentaires ?

Étant donné que Les Restos du cœur avaient fermé, il leur restait des stocks. Nous les avons sollicités et avons pu récupérer des denrées. La Fondation Abbé Pierre nous a soutenus dès le départ et de là on s’est débrouillé aussi en termes de solidarité avec des habitants du quartier qui avaient les moyens de nous aider. Ils ont créé une petite cagnotte pour acheter en grande surface des denrées non périssables, des fruits, des légumes. C’est ce qui nous a permis de nous lancer pour la première distribution. La première fois il y a eu 200 personnes qui sont venues, puis 450, 750, et ça a terminé avec 1400 personnes.

Comment les familles que vous avez aidées ont-elles vécu cette situation ?

Ces familles, elles étaient en souffrance. Ces familles elles avaient honte de venir.

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Ces familles, elles étaient en souffrance. Ces familles elles avaient honte de venir. Pour certains, c’était la première fois de leur vie qu’ils faisaient la queue pour une collecte alimentaire. Ce sont des personnes qui travaillaient, qui en temps normal, avaient du mal à la fin du mois mais n’avaient pas besoin d’aller récupérer des colis alimentaires. Donc ça a été une vraie souffrance, ça a été difficile pour eux de franchir cette étape. Mais en même temps, étant donné qu’on se connaît bien, on a réussi à casser cette honte. Ça a été un bol d’oxygène, on a vu des sourires que l’on n’avait plus vus depuis longtemps, depuis le début du confinement.

Pourquoi autant de familles ont-elles été dans l’obligation de venir se ravitailler chez vous ? Quelle était leur situation financière ?

Donc entre les sans-papiers, les chômeurs, les étudiants et ceux qui vivent des aides sociales, c’était une situation monstrueuse.

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C’est simple, quand les gens ne travaillent plus, il n’y a plus de ressources financières. Certains étaient en attente de régularisation et travaillaient donc au black, ce qu’ils ont dû arrêter. Il y a également des étudiants qui vivaient déjà sous le seuil de pauvreté qui sont revenus chez leurs parents et ça a été compliqué. Quant à ceux qui ont été mis au chômage partiel, en temps normal, ils avaient déjà du mal, là ils n’y arrivaient plus. Donc entre les sans-papiers, les chômeurs, les étudiants et ceux qui vivent des aides sociales, c’était une situation monstrueuse.

Sans compter que mis à part les revenus, il y a une autre difficulté qui est arrivée : un complément de loyer à payer. Qui dit confinement, dit automatiquement plus de dépenses. Ils étaient plus nombreux à la maison, ils utilisaient plus d’eau, plus d’électricité, plus de gaz… Ça fait des charges supplémentaires qui à la fin du mois, ne peuvent pas être payées. Ils n’y arrivaient plus.

Aujourd’hui, la situation a-t-elle évolué ?

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Non. Les familles sont toujours inquiètes. On continue de faire les distributions chaque mercredi. Et chaque mercredi, ils nous demandent de ne pas les lâcher. Nous savons que nous ne pourrons pas le faire indéfiniment. Donc ce que l’on peut faire c’est de continuer à interpeller les pouvoirs publics, les responsables politiques. Leur dire qu’il faut absolument que la prime qu’ils ont donnée aux familles en mai soit pérenne jusqu’au mois de décembre pour leur permettre de relever la tête.