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Sorcière, strip-teaseuse, voyante, cagole et sirène : à seulement 26 ans, Lisa Granado semble mener plusieurs vies en même temps. Performeuse ultra-sexy et lesbienne aux pouvoirs magiques, la Parisienne puise son pouvoir dans une féminité exacerbée qui mêle beauté, sexe et politique. Dans la série documentaire Sorcière Lisa, disponible ce 18 avril sur France.tv Slash, l’artiste et vidéaste Camille Ducellier dresse le portrait d’une sorcière des temps modernes aux multiples visages.
Strip-teaseuse, sorcière, sirène… C’est pour le moins inhabituel, comment es-tu arrivée dans ces mondes ?
Au fil des rencontres. J’ai découvert la magie grâce à une personne qui m’y a initiée et j’ai tout de suite été happée par ce monde, qui me faisait du bien et me rendait heureuse. Le strip-tease est également arrivé un peu par hasard, mais j’ai toujours été attirée par le monde de la nuit et ses paillettes. Je me suis lancée, et dès le premier soir j’ai réalisé que c’était exactement ce que je voulais faire.
Une sorcière moderne, c’est quoi ?
Certaines personnes se revendiquent sorcières parce que c’est une image féministe très forte, la sorcière vit pour elle-même, en marge de la société, et elle est condamnée pour cela. Depuis quelques années, cette image revient fortement dans les mouvements féministes et dans la culture mainstream. Pour ma part, je m’adonne également à des pratiques magiques : ce sont des intentions que je mets sur les choses, des rituels qui me permettent de me connecter au monde différemment, des pratiques divinatoires comme le tarot ou le pendule, ou encore la connaissance des plantes.
Tu nages aussi avec une queue de sirène. Qu’est-ce qui te plaît là-dedans ?
Une sirène est une chimère qui vit sous l’eau, mais également une figure féminine avec plusieurs visages. Elle peut être douce, sexuelle, sexy, joyeuse, mais aussi une tueuse, monstrueuse et mauvaise. Quand je nage avec ma queue de sirène dans la mer, c’est merveilleux. J’ai la sensation d’incarner cette multitude de facettes, ainsi que la fantaisie qui est rattachée à la sirène dans l’imaginaire collectif.
Y a-t-il des personnes qui t’ont inspirées au cours de ton cheminement identitaire ?
J’adore toutes les figures de la féminité sans exception, du sex-symbol à la butch (identité sociale et sexuelle qui désigne les lesbiennes dites masculines, ndlr). Les femmes, de manière globale, m’ont toujours inspirées.
Tu cumules les facettes marginales mais aussi hyper féminines. Que représente ta féminité pour toi ?
La féminité est merveilleuse, belle, inspirante, et porte des valeurs auxquelles j’adhère pleinement. Mais nous ne sommes pas obligées de l’incarner, loin de là. C’est mon cas puisque j’aime être féminine, mais pour moi la féminité est aussi une forme de magie, et une façon d’être.
Tu te définis d’ailleurs comme une “X-treme fem” sur Instagram, de quoi s’agit-il ?
La fem désigne une “catégorie” de lesbiennes féminines (en opposition à la butch, ndlr), c’est une gouine qui utilise les codes de la féminité comme une arme politique. J’y ai ajouté “extrême”, parce que je revendique à fond ce côté fem, je l’aime et je l’exagère.
Ta sexualité tient également une place importante dans ton travail et ton identité. Quel regard portes-tu là-dessus ?
La sexualité m’a permis de me libérer et de me sentir vraiment moi-même. J’ai d’abord eu besoin de me définir sexuellement, de connaître ma sexualité et de l’affirmer, avant de pouvoir débloquer le reste et de vivre comme je l’entendais. Quand j’ai réalisé que j’avais une sexualité non hétéro, ça a été un processus long et compliqué : il a fallu sauter le pas, me confronter au regard des autres et à mes propres barrières. Cela m’a fait réfléchir à l’hétéronormalité et à la normativité en général. Me rendre compte que je ne correspondais pas à cette norme m’a permis de déconstruire d’autres pans de ma vie.
Tu t’appropries ces figures féminines et sexualisées qui ont longtemps été (ou sont encore) chassées, moquées ou marginalisées pour en faire une source d’empouvoirement. Ça fait quoi d’être une bad girl ?
Assumer cette identité au quotidien est compliqué parce que les femmes sexy et féminines sont dévalorisées, humiliées et maltraitées. On pense que l’on attend des femmes qu’elles soient sexy et sexualisées mais ce n’est pas du tout le cas, le regard social n’est pas avec nous. Les femmes qui assument leur féminité et leur sexualité ouvertement sont moins prises au sérieux, on nous soupçonne d’être des impostures, on nous scrute, on nous analyse… La féminité est liée aux artifices donc pour beaucoup, elle est incompatible avec l’authenticité.
Il y a aussi une dimension militante dans ton travail. Est-ce une façon de revaloriser ces figures hyper féminines ?
Exactement. Ces figures, leur énergie, mais aussi les valeurs qu’on associe au féminin sont constamment dévalorisées. La douceur, la gentillesse, l’empathie, les émotions… aucun de ces comportements n’est mis en valeur dans notre société, alors qu’ils sont à prescrire pour un monde plus doux. Ce sont ces valeurs que je défends et qui selon moi, sont salutaires. Mais on continue de valoriser la force, la rivalité, la compétition… Ces comportements ne sont pas innocents aux maux de la société. La féminité, c’est beau et glamour, mais c’est aussi politique.