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Entrevue : Emmanuel Cappellin – Celui qui sait

Son premier film sur l’urgence climatique, « Une fois que tu sais », vient de sortir.

Par
Owen Barrow
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On a rencontré Emmanuel Cappellin, à l’occasion de la sortie de son documentaire : Une fois que tu sais. Confronté aux réalités du changement climatique et de l’épuisement des ressources, il prend conscience d’un effondrement inévitable de notre société. Comment vivre avec cela en tête ? C’est tout le questionnement de son film qui invite à passer à l’action.

Peux-tu nous rappeler brièvement qui tu es ?

Je suis le papa d’un petit garçon qui s’appelle Helio et comme beaucoup de papas, je me pose des questions sur les conditions de vie dont mon fils disposera quand je prends le temps de regarder l’effondrement climatique droit dans les yeux. C’est une des raisons qui m’a poussé à réaliser Une fois que tu sais en collaboration avec Anne-Marie Sangla.

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Les derniers rapports du GIEC font flipper. Savoir ce qu’il se passe c’est une chose, y croire en est une autre. Qu’est-ce qu’il se passe entre les deux ? Quel a été le déclic pour toi ?

Pour moi, il n’y a pas eu un déclic unique mais plutôt une série de rencontres avec des scientifiques, des peuples racines, des recherches et des lectures aussi, qui ont progressivement relié des informations diverses mais toutes indicatrices de la santé du système complexe que nous formons. C’est très graduellement que se sont forgées mes convictions actuelles. Pour le film, j’ai choisi de mettre en avant quelques-uns de ces moments charnière où cette lente percolation remonte soudain à la conscience, où on franchit des caps.

Dans le documentaire, tu parles de fascination qui a fait place, peu à peu, à de l’inquiétude. Comment est-ce que toi, personnellement, tu vis avec tout ça ? Maintenant que tu sais…

Le titre du film Une fois que tu sais fait allusion à une phrase répétée par deux des chercheurs dans le film, mais c’est aussi une phrase à prendre au second degré en se souvenant que la position la plus intellectuellement fertile et politiquement constructive à tenir, c’est : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » (merci Platon, merci Socrate).

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On ne sait pas grand chose du présent et encore moins de l’avenir, mais l’état des connaissances sur nos réserves d’énergie fossile et la mécanique climatique nous permet de diriger nos efforts dans une direction plutôt qu’une autre, et c’est comme ça que je tente de vivre ma vie. Non pas pour éviter une série de changements qui sont malheureusement déjà dans les tuyaux, mais dans un esprit de solidarité et de justice sociale face à l’impératif d’adaptation profonde. Le film – et les difficultés sans fin rencontrées en chemin pour le réaliser – m’ont permis de mieux accepter l’incertitude qui caractérise notre époque. Cela ne m’empêche pas de continuer à chercher la cohérence autant que possible. Je ne mange plus de viande depuis mon adolescence, je vis en zone rurale sans voiture (vive le stop et les transports en commun), je me chauffe au bois, etc. C’est une question de prendre soin, et de mettre de l’attention dans les gestes du quotidien.

Quelle place tiennent les récits dans la lutte contre le dérèglement climatique ?

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Une place centrale. Dans le film, je défends « des récits terrestres et cycliques où notre résilience passerait par la relocalisation. Des récits collectifs, humbles et joyeux. » Les mots “terrestre” et “cyclique” ont de profondes implications. Je pense, comme le suggère l’anthropologue et philosophe Bruno Latour dans son livre Où atterrir ?, que de nouvelles alliances et divisions politiques vont émerger dans les décennies qui viennent et que la vieille mésentente Gauche-Droite pourrait laisser place une opposition Modernes-Terrestres, avec la Gauche et la Droite regroupées dans le camp hors-sol des Modernes face aux Terrestres cherchant de nouveaux repères, une prise de terre, pour s’adapter à notre nouveau régime climatique.

J’imagine qu’il y a des figures qui t’ont inspiré et te portent aujourd’hui. Quelles sont-elles ?

Chacun des protagonistes du film dont on a fait le portrait avec Anne-Marie a eu pour moi un rôle de mentor. Je les ai suivis parce que je les admire. Mais la personne qui a sans doute joué un tel rôle le premier – en dehors de mon père et de l’incontournable Commandant Cousteau qui a marqué une partie de ma génération – c’est le cinéaste de film d’animation Frédéric Back pour qui j’ai travaillé au Québec, juste après mes études.

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Un homme d’un talent, d’une humilité, et d’une humanité sans bornes. J’ai eu la chance de travailler à ses côtés plusieurs mois pour faire un site-musée que réalisait le ministère de la Culture [Ministère de l’Héritage] sur son œuvre et son engagement. Je me suis aussi occupé de lui à son domicile lorsque sa femme a eu un accident vasculaire. C’est dans cette intimité que je me suis imprégné de ses conseils. Il disait : « Pendant toute ma vie professionnelle à Radio Canada, j’ai toujours préféré m’entourer de personnes plus talentueuses et plus intelligentes que moi. C’est la seule manière de progresser ». Mais, bien sûr, il était lui-même d’une exemplarité fantastique. Pendant les quatre années de travail acharné qu’il lui a fallu – jour, nuit, weekend – pour réaliser son chef-d’oeuvre oscarisé L’homme qui plantait des arbres, il a trouvé le moyen de marcher dans les pas du personnage planteur d’arbre Elzéard Bouffier (inventé par Jean Giono) en replantant dans une ferme au nord de Montréal 15000 arbres qui sont aujourd’hui, maintenant qu’il est mort, une forêt.

Est-ce que tu es optimiste pour le futur ? Crois-tu encore qu’on peut limiter la casse ?

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Les débats sur le pessimisme et l’optimisme ne m’intéressent pas. Mais j’estime qu’il n’est jamais trop tard pour les espèces qui tissent encore avec nous la toile du vivant. Il n’est jamais trop tard pour aider les humains qui nous entourent.

Comment vivre l’effritement progressif de nos repères moraux, sociaux, et matériels le plus humainement possible ? Limiter la casse, ou plutôt « encourager à construire, sous la contrainte, des alliances improbables », c’est tout le propos du film.

As-tu des astuces ou conseils concrets à partager pour passer à l’action ?

Il ne faut pas rester seul.e avec ces questions anxiogènes, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on a travaillé avec l’association Terractiva et les facilitatrices Charlotte Ogier et Brianne Parquier pour développer une campagne d’accompagnement du film intitulée : Une fois que tu sais, qu’est-ce qu’on fait ?

Concrètement, la campagne, c’est un réseau de bénévoles en France, Suisse et Belgique qui peuvent intervenir dans les cinémas qui le souhaitent pour proposer un temps d’échange très particulier. On propose au public de faire connaissance et à chacun.e de partager ce qui le.la traverse, pour dépasser le stade de la sidération et revenir dans l’action. On a fait ça lors de toutes les avant-premières, c’était beau à voir !

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La campagne, c’est aussi un Guide d’Actions avec 150 actions et 220 structures à travers lesquelles s’engager qui est distribué gratuitement lors des séances accompagnées. Une version numérique et collaborative du guide est accessible ici.

Tout le monde peut y ajouter de nouvelles actions et structures. Ce qui serait fantastique, c’est qu’on arrive à cartographier ce qui se fait, pas seulement au niveau national comme on l’a fait, mais en descendant au niveau des territoires. A nous de jouer !

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