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En quittant un endroit, on y laisse forcément une part de soi

Retournez-vous avant de partir, c'est important.

Par
Stéphane Moret
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Peut-être faites-vous partie de ces Français qui déménagent cet été ? Ou bien c’est en projet suite au confinement/déconfinement ? Quoi qu’il en soit, il est important de regarder un endroit avant de le quitter, et se souvenir des bons moments (ou pas) qu’on y a vécus.

Si, pour tout le monde, 2020 est l’année du cauchemar avec tout ce qui se passe en rapport avec la Covid-19, pour moi, 2020 est surtout l’année du déménagement. 2 personnels, 3 professionnels. Demain, j’appelle le World Guinness Book pour voir si ça fait record du monde.

D’abord, le perso : après un confinement idyllique avec ma chérie, j’ai décidé de rompre le bail de mon appart pour m’installer avec elle. Au même moment, mon frère, qui vivait chez moi, a acheté son appartement. Donc on pourrait même ajouter à la liste un déménagement semi-perso, puisque j’ai porté les cartons, construit les meubles pour lui: bref, je l’ai vécu par procuration. J’ai donc pris les quelques affaires qui étaient entassées dans mon 25 m2 pour les amener chez elle. C’était au début de l’été. Et voilà qu’en cette rentrée, on va acheter un appart ensemble, pour avoir « plus grand ». Mes potes ne m’en veulent pas: il n’y a pas grand chose à déménager à chaque fois, parce que je jette, donne ou revends un max avant de partir d’un appart, pour ne pas m’encombrer. Un copain ramène sa voiture, qu’on remplit bien, un seul voyage et le tour est joué : il nous reste du temps pour brancher la PlayStation et jouer un peu « pour tester si tout fonctionne ».

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Avant ça, je n’ai pas tellement déménagé, dans ma vie. J’ai vécu pendant 20 ans dans l’appartement parental, situé au-dessus d’un magasin de quartier, avant de quitter ma ville natale pour gagner la région parisienne et loger chez mon frère le temps de mes études. Je suis revenu dans ce premier appartement uniquement pour le vider, à la mort de mes parents, en devant choisir ce qui nous suivrait, les cinq frères et sœurs, et ce qui ne ferait plus partie de nos vies. Déjà, là, je n’ai pas pris grand chose : je n’avais pas l’espace, pas d’espace à moi. J’ai stocké quelques cartons de vaisselle, bibelots et photos chez mon frère, « le temps de », « pour quand j’en aurai besoin ». Aujourd’hui, je n’ai quasiment plus rien de tout cela, à part un service de couverts. Les photos, je les ai confiées à mon frère. Un psy aurait sûrement beaucoup à en dire, je vous répondrais surtout que j’ai l’esprit pratique. Ce premier appart, la vie que j’y ai vécue, ce n’était pas celle de mes choix, mais celle des choix de mes parents. La mienne allait commencer réellement à mes 20 ans. Ce qui me suivra, ce seront des livres et des bandes-dessinées, beaucoup. Beaucoup trop même, selon mes amis venus me déménager à cette époque : « ça serait bien que tu lises moins, quand même, ça fait des cartons lourds ».

C’est même dans cet appartement que pour la première fois, j’ai vécu « sous le même toit » en couple. Elle est venue avec ses meubles et son chat, et puis un jour elle est repartie, avec ses meubles et son chat.

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Entre la fin de mes études et le début de ma vie professionnelle, avec mes premiers salaires, j’ai vécu dans quelques studios, deux ou trois. Avant d’avoir un espace plus large, qui m’a permis d’avoir des colocataires. Dont le désormais fameux — auprès de mes amis, du reste — 37 rue Gandon. Quelle adresse ! Quelle vie ! La 2e chambre a fait plus que dépanner : elle a accueilli la collègue d’un copain, devenue copine aussi, qui démarrait sa carrière. Et puis une amie, ancienne stagiaire de rédaction, qui venait de rompre. Elle est restée quelques mois, avant qu’on ne parte ensemble au Canada pour un reportage. Elle y est restée, y a fondé une famille, et travaille aujourd’hui… pour URBANIA. Un jour, on vous racontera la folle histoire de ce 37 rue Gandon, plus longuement. Les fêtes qu’on y a organisées : des blind-tests, des karaokés, des anniversaires… Purée, il y avait de la place, et on en a bien profité.

C’est même dans cet appartement que pour la première fois, j’ai vécu « sous le même toit » en couple. Elle est venue avec ses meubles et son chat, et puis un jour elle est repartie, avec ses meubles et son chat. Entre temps, je m’étais débarrassé de mes meubles « en double » pour faire place nette. Alors quand elle est partie, l’appart s’est trouvé bien vide. J’ai ainsi pris la décision de bouger de ce lieu qui m’accueillait depuis 6 ou 7 ans. C’était ça ou mon pote relou allait venir me squatter, enchaîner les meufs dans la chambre d’à-côté, et ça, ça ne m’aurait pas plu. Alors j’ai rendu le bail, et j’ai pris cet appart que j’ai finalement quitté il y a quelques semaines, au bout de 3 ans.

Je me souviens, quand j’ai récupéré ce dernier appart, j’ai remercié l’agent en pleurant. Il a dû me prendre pour un fou.

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Et dans chaque appartement, j’ai vécu une vie en soi. Il a représenté une période de ma vie, m’a apporté ce que je recherchais. Je me souviens, quand j’ai récupéré ce dernier appart, j’ai remercié l’agent en pleurant. Il a dû me prendre pour un fou. Mais ça signifiait tellement pour moi, de pouvoir écrire un nouveau chapitre de ma vie, et puis je digérais ce que j’avais vécu à chaque fois qu’on passe d’un appart à l’autre : vide, rempli, vide. On y amène nos meubles, nos affaires. On garde certaines de nos habitudes, on en prend d’autres. On teste les restos du coin, on cherche les bonnes adresses. On compte combien de temps on met pour aller à tel endroit depuis ce nouveau lieu par rapport à l’ancien. On se fait quelques bonnes relations parmi les voisins, on en évite d’autres. On entend de leur intimité, on partage un peu de la nôtre, sans le vouloir : orgasmes, disputes, cris de joie. C’est peut-être pour ça que ce jour où je signai le bail, je laissai couler une larme : parce que j’ai toujours conscience de ce que j’ai vécu dans un endroit en le quittant, et que j’ai toujours l’appétit de vivre de grandes choses dans l’endroit qui m’accueille. Et comme vous le voyez, ça n’a pas loupé avec ma dernière adresse : j’ai rencontré ma compagne, on va vivre de grandes choses ; j’ai changé de carrière, plus en accord avec ce que j’aime faire, et je me suis offert le temps qu’il fallait pour ça. Alors cet appart, je l’ai quitté sans regret, mais toujours avec émotion.

Et qu’importe le temps que vous avez vécu dans un appartement ou une maison, c’est ce que vous y vivez qui est important.

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Et qu’importe le temps que vous avez vécu dans un appartement ou une maison, c’est ce que vous y vivez qui est important. J’ai un excellent souvenir de cette soirée passée à dormir à 7 dans 18 mètres carrés entre potes après une soirée d’enterrement de vie de garçon, mais pas de souvenir fou d’un appart situé à côté du parc Montsouris, duquel j’étais toujours échappé, toujours en balade, parce que je le trouvais médiocre, et que ma vie à l’époque n’était pas fascinante, alors que j’y suis resté plus longtemps. « Tu seras plus proche ou plus loin de ton boulot ? », c’est une question que vous entendez souvent quand vous déménagez. Je sais que certains cherchent à se rapprocher, d’autres à ne pas être trop proches justement pour se laisser un temps de décompression de l’un à l’autre. Personnellement, je m’en fiche. Du moment que j’ai un lieu qui me va. Côté boulot, justement, on a changé déjà 2 fois d’adresse cette année, parce qu’on se développe. Alors heureusement que je n’ai pas pris la distance en compte. Et puis, déménager, c’est bouger, mais rester au même endroit, ce n’est pas s’arrêter. Ce qui est important, c’est de voir comment vous évoluez, ce que vous vivez dans ce lieu, petit ou grand. C’est d’y être bien. Parce que parfois, le meilleur moment de la course, c’est quand vous n’avez plus à courir.

Les déménagements ont cela de particulier qu’ils ont souvent lieu à l’occasion d’un gros changement de vie : passage à la vie d’adulte, études, changement de métier ou de ville pour l’exercer, perte d’emploi, colocation, concubinage, séparation, santé, mort, naissances, retraite. Ils sont même reconnus comme une des plus grosses sources de stress avec le travail et les enfants. En moyenne, 20% des Français déménagent tous les 3 ans. Mais cela ne veut pas dire que tous les déménagements sont subis. On peut décider qu’on a vécu assez longtemps dans un certain endroit, bref en avoir marre. Certains ont la bougeotte, d’autres sont indéboulonnables.

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Où que je sois passé, j’ai laissé une part de moi. Volontairement. Je regarde une dernière fois le lieu avant de le quitter, je prends conscience de ce qui s’y est passé, et je décide donc de ne pas emmener une partie, qui doit rester là. Je ne sais pas si ça donne une âme au lieu, si le locataire suivant le ressentira, mais je laisse le vécu, et je garde l’expérience. Ça me permet de faire un petit bilan : qui j’étais quand je suis rentré, qui je suis devenu en sortant, ce qui a changé. Et ça fait vraiment du bien. Et puis ça permet d’éviter d’être un escargot, de porter sa maison sur le dos en permanence.

Il y a une scène d’une série qui m’a marquée quand j’étais petit, c’était dans le dernier épisode de Quoi de neuf docteur ? (Growing Pains). Les membres de la famille quittent tous la maison, et lui disent au revoir, avant que la mère ne vienne récupérer le cadre sur la cheminée, découvrant que son fils a laissé un « Mike a vécu ici ». C’est exactement ce que je vous souhaite de vivre quand vous avez la chance de déménager.

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Vous seriez les bienvenus de partager en commentaire vos plus beaux déménagements, les plus drôles, les plus émouvants, ce que ça vous a provoqué comme sentiment. À Chacun son « Home Sweet Home », voire ses « sweet homes ».