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Eddy de Pretto : « On galère tellement à assumer d’être soi-même »

On a profité des Francos de Montréal pour parler de musique, de la société et d'Hubert Lenoir avec lui.

Par
Daisy Le Corre
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« À tous les bizarres, les étranges, les bâtards / À tous les monstres, ceux qui dérangent, les mis-à-l’écart / À tous les parias, les exclus, sans égards / À tous les seuls, ceux dans leur chambre, toujours dans le noir. »

On croirait lire du Virginie Despentes : « J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. » (King Kong Théorie)

Mais non, c’est du Pretto, du grand Eddy de Pretto, celui qui s’adresse à ses fans & freaks. Celui qui les prend par la main pour leur dire que tout est possible, que tout ira bien et que rien n’est trop Grave.

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Je n’avais encore jamais eu l’occasion de l’interviewer : grâce aux Francos de Montréal, le rêve est devenu réalité. Dans la salle du restaurant de l’hôtel, je l’attends patiemment en fredonnant ses classiques, des moins récents aux plus récents : Désolé Caroline, Val de larmes, et Créteil Soleil, parmi mes préférés.

J’ai tant de questions à lui poser et tant d’admiration pour tout ce qu’il incarne. Il ne le saura pas, je fais taire la groupie en moi. « Tu as 30 minutes avec Eddy, ça ira ? », me demande son agent. C’est parfait. Le voilà qui arrive, casquette vissée sur la tête, lunettes fumées et…

Enchantée Eddy, merci d’être là. Comment vas-tu ? Content d’être à Montréal ?

Trop content ! Je suis venu souvent ici, c’était en février la dernière fois, mais ça me fait toujours autant plaisir de revenir.

Tu te verrais bien vivre ici ?

Quand je suis dans un trop-plein de Paris, je me dis souvent que Montréal me permettrait d’être plus chill, oui. On est plus proche de ses ressentis, de son corps et on a plus le temps de s’écouter ici, j’ai l’impression. C’est vrai que je me raccroche souvent à Montréal dans des moments de crise !

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Comment expliques-tu ton succès québécois ?

Je pense que c’est grâce aux sujets que j’aborde dans mes textes. Au Québec, je trouve qu’il y a une compréhension très claire de ce que je raconte dans mes chansons, qu’il s’agisse du privilège blanc, du genre, de la sexualité, de la masculinité, du fait d’être un paria, etc. Ça fait du bien, comme si le Québec était un peu en avance sur son temps.

Quels messages as-tu cherché à faire passer dans ton deuxième album ?

Je voulais vraiment parler d’inclusivité. Le premier album était centré sur moi, je cherchais à savoir comment je devais être, qui je devais être, si je devais mettre des masques pour plaire à cette société, etc. Ce deuxième album est moins dans la compréhension du monde qui nous entoure et davantage dans l’idée de s’assumer. J’ai voulu inclure tous les gens qui, au jour le jour, essaient de s’assumer tels qu’ils sont. Tous les freaks qui m’ont entendu sur mon premier album, j’avais envie de leur dire : « On va continuer ensemble et on va aller plus loin sans se compromettre, sans faire de pas de côté. On va continuer à être les plus chelous possible et ce sera merveilleux. »

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C’est possible d’être ultra chelou et de s’assumer totalement dans notre société sans prendre trop de risques, tu crois ?

Écoute, hier soir, j’ai vu Hubert Lenoir aux Francos de Montréal… (rires) Alors ce sera ça, ma réponse! (rires) Sérieusement, ça m’a fait plaisir de voir un artiste prendre autant de risques sur scène, j’adore. Tout prend sens sur scène. C’est un joyeux bordel, Hubert, et c’est très fort.

Pour revenir à ta question, comment être freak dans une société comme la nôtre, je crois qu’il faut tenter de s’y tenir. On galère tellement à assumer d’être soi-même, c’est le travail d’une vie. Et de le faire comprendre aux autres ensuite, c’est encore un autre fardeau. Mais il ne faut pas lâcher.

D’ailleurs, ça me fait penser que plus je vieillis, plus je me rends compte qu’on m’a éduqué en me disant que ce n’était pas important de parler de ma sexualité, de qui j’étais réellement, etc. : mais non, au contraire ! Il faut le crier haut et fort, ce qu’on est ! C’est un travail de chaque minute. Il faut le dire et le répéter : je suis gay et I’m fine.

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Il y a plusieurs titres, dans ton deuxième album, où tu évoques la banlieue. Quel rapport entretiens-tu à cet endroit qui t’a vu grandir ? Est-ce qu’il a forgé celui que tu es devenu ?

J’ai un rapport très conflictuel avec la banlieue. J’ai eu l’impression d’être à côté de tout pendant toute mon enfance, d’être en périphérie, d’être en marge, déjà ! (rires) Ça tombe bien, c’est l’histoire de ma vie. De ma fenêtre, je regardais le centre commercial Créteil Soleil et juste derrière, je voyais le faisceau de la tour Eiffel. Pour moi, le in, c’était Paris… Le fantasme de ma carrière, c’était là-bas, et je me disais : « Putain de merde, je suis juste à côté pourtant ! »

Et on était à une époque où il n’y avait pas encore la coolitude de la banlieue. Je cachais même le fait que je venais de là, j’avais honte d’être en marge à l’époque, c’est fou quand j’y repense. Mais je voulais juste me fondre dans le collectif. D’ailleurs, c’est pour ça que j’ai seulement découvert mon homosexualité à 16 ou 17 ans, c’est assez tard, je trouve. J’ai dû refouler ce que j’étais par moment. Mais oui, c’est clair que je dois beaucoup de ce que je suis à la banlieue.

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Il y a avait une certaine tension à vivre dans ma banlieue, cela faisait partie de mon quotidien, je crois que c’est devenu le ciment et l’ADN de mon écriture. Le côté brutal et ludique vient de là. Le verlan et toutes les contractions de mots se jouent là-bas. La banlieue a forgé toute mon œuvre, en réalité.

Quand j’ai écouté ton titre Freaks, j’ai immédiatement pensé à Virginie Despentes. Certaines paroles, et le message général, m’ont fait penser à son essai King Kong Théorie. Je me trompe ou elle t’inspire réellement ?

Oh, wow, rien que d’en parler, ça me donne des frissons… Virginie Despentes m’a toujours beaucoup inspiré, oui. Elle a une écriture très brute, très directe, très claire, elle te rentre dedans quand tu la lis, t’as même envie de lui demander : « Mais comment tu peux écrire ce que je pense aussi clairement? » Alors oui, elle a eu une grande influence sur moi, même si je l’ai découverte assez tardivement en réalité. Je l’adore et je crois qu’elle m’adore aussi, si tu veux tout savoir ! (rires) Elle vient à mes concerts… Je l’ai vue à la Cigale, aux Bouffes du Nord, etc. Elle me suit ! On aime réciproquement ce qu’on fait, je crois.

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Concernant Freaks, j’avais vraiment envie de faire une chanson en français pour m’adresser à tous les bâtards, pour leur faire comprendre que ça brille aussi là où ils sont et que c’est très bien comme ça.

À part Virginie Despentes, quelles sont tes muses ? Qui t’inspire ? MC Solaar (aussi aux Francos de Montréal cette année), Diam’s ?

Les textes de Solaar m’ont beaucoup marqué, oui : Solaar Pleure, Cinquième As, Caroline, etc. C’est culte ! Mais la première fois que j’ai vraiment chialé sur une chanson, c’est quand j’ai écouté Par amour de Diam’s dans le bus en allant au lycée. Là, j’ai compris la force de la musique… C’était intense.

Est-ce qu’il y a des collaborations que tu rêves encore de faire ?

Depuis hier soir, je rêve de faire un truc avec Hubert Lenoir ! J’ai vu qu’il me follow sur Instagram, donc je l’ai follow back. (rires) On est sur un début de relation ! (rires) J’aimerais bien le voir ou aller prendre un verre avec lui pendant que je suis à Montréal, on va voir. J’adore son personnage et tout ce qu’il fait. Hubert, si tu nous lis…

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Est-ce que tu estimes que tu as une mission en tant qu’artiste avec tout ce qui se passe dans le monde actuellement, et depuis la nuit des temps ?

Wow. Ça dépend des jours… Mon premier truc, c’était de faire passer des messages à travers ma musique, de briser certains codes et de faire évoluer les mœurs. Mais de plus en plus, je me dis que je veux aussi juste divertir les gens, leur donner du plaisir. C’est un peu la quête de mon troisième album, à vrai dire. Je ne vais pas continuer à parler de ce tout qui m’opprime, il faut que j’évolue avec ce que je vis et ce que je deviens. Je ne suis déjà plus celui que j’étais, je veux rester connecté à ma réalité.

Brel le faisait très bien, et j’aimerais faire comme lui : raconter le rien, l’infiniment rien ou le petit détail qui touche tout le monde. C’est un peu ma mission.

Depuis le début de ta carrière, de quoi t’es le plus fier ?

J’étais assez fier quand Kid a été lu à l’Assemblée Nationale en France pendant les débats sur les thérapies de conversion. Quand la députée a lu mon texte, j’ai trouvé ça très fort et ça m’a dépassé totalement, jamais je n’aurais pensé qu’un de mes textes pourrait peut-être aider à changer un peu la société. C’est fou.

https://twitter.com/eddydepretto/status/1445767103592550411?lang=fr

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Qu’est-ce que tu dirais à l’enfant ou à l’ado que tu étais ?

« Lâche pas et n’écoute personne autour de toi : ni tes parents ni ta conseillère d’orientation ni tes animateurs du foyer d’accueil, fonce et crois en toi. » (rires)

Et au vieux que tu seras, tu lui dis quoi ?

Tu me demandes mon épitaphe, en fait ! (rires) « Une belle fête de trop » sur ma tombe, ça claquerait. (rires) Ou : « Bah voilà, tu l’as fait. Fallait pas s’inquiéter. » Efficace.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite, Eddy ?

Des chansons puissantes qui disent des choses, une maison à Montréal et un mariage avec Hubert Lenoir. (rires)