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Depuis quand tout le monde se tourne vers les relations imaginaires ?
Avez-vous déjà imaginé votre vie entière avec votre crush après un seule date ?
Ou bien choisis les prénoms de vos futurs enfants après le premier gin-to ?
Ou, plus simplement, rêvé de ce à quoi ressemblerait votre vie amoureuse avec une personne croisée une seule fois ou avec qui vous venez tout juste de matcher sur une application de rencontre ?
Si oui, j’ai le bonheur de vous annoncer que vous avez expérimenté les joies d’une imaginationship.
C’est quoi, une imaginationship?
La imaginationship, un néologisme composé des mots « imagination » (imagination) et « relationship » (relation), n’est rien de moins qu’une des tendances « relationnelles » les plus populaires sur TikTok, à l’heure actuelle.
Avec ses 2 milliards de vues, le phénomène désigne une relation fictive ou imaginée dans laquelle une personne s’engage mentalement ou émotionnellement avec quelqu’un, souvent un crush ou une personne qu’elle trouve attirante, sans qu’il y ait réellement de relation romantique ou amoureuse entre elles.
Dans une imaginationship, la personne peut créer mentalement des scénarios, des rêves ou des fantasmes sur ce à quoi ressemblerait une relation avec leur crush, mais sans qu’il y ait de réelle interaction ou engagement de la part de l’autre personne.
En d’autres termes, c’est une forme de rêverie romantique qui se déroule principalement dans l’esprit de la personne qui l’entretient.
C’est si nouveau que ça ?
Comme c’est souvent le cas quand on parle d’une tendance TikTok, les imaginationships ne sont pas un concept entièrement nouveau.
On va se le dire, les humain.e.s (et les artistes) ont toujours été enclin.e.s à rêver et à fantasmer sur des relations idéalisées et non réciproques.
Shout out à des œuvres phares comme Notre-Dame-de-Paris, Guerre et Paix, Cyrano de Bergerac et le Fantôme de l’Opéra qui dépeignent, voire romanticisent, les amours impossibles ou non partagés.
Cependant, ce qui distingue les imaginationships des simples rêveries romantiques décrites dans la poésie, la littérature et la culture populaire depuis plusieurs siècles, c’est leur émergence et leur popularité sur les médias sociaux.
Alors que le phénomène fait son apparition sur Urban Dictionary en 2009, les canaux Reddit consacrés à la tendance débordent d’anecdotes et de théories.
« Pour ma part, ça me rappelle drôlement le contenu de mes journaux intimes quand j’étais au collège et au début du lycée », me confiait une amie, récemment interrogée sur la question lors d’un repas, en précisant que ses carnets secrets contenaient bien plus de détails que les vidéos que l’on trouve aujourd’hui sur TikTok. « Quand j’étais jeune, j’avais des crashs sur des gars de mon école et je rêvais de “sortir” avec eux. J’écrivais leur nom dans un cœur, je m’imaginais aller au cinéma ou au parc avec eux, sans jamais leur révéler mes sentiments. Des fois, j’allais même jusqu’à m’imaginer en détails notre mariage et notre futur en tant que couple. C’était cute ! »
Mon amie met des mots sur mon sentiment : les milliers de vidéos cumulées sur TikTok sont un véritable journal intime à ciel ouvert.
Pourquoi les imaginationships ont-elles la cote ?
Bien que tout cela puisse sembler légèrement délirant (ou delulu comme disent certains jeunes), les imaginationships ne sont qu’un autre terme pour désigner l’amour non partagé, un concept qui, lui, existe depuis toujours.
Mais pourquoi est-ce si répandu ?
Selon Stephanie Carnes, une psychologue clinicienne affiliée à la New York City Psychotherapy Collective récemment citée dans Bustle, « les êtres humains sont programmés pour rechercher des connexions en plus d’avoir une imagination très fertile. Ces deux traits combinés expliquent pourquoi les relations fictives sont si attirantes, surtout lorsqu’on ne connaît pas réellement la personne. »
Cette analyse fournit également une explication quant à la popularité de ce que la psychologue américaine appelle les « béguins collectifs » (collective crush). Que celui ou celle qui n’a jamais imaginé les détails de son futur avec Pedro Pascal ou Megan Fox me jette la première pierre.
Pour Stephanie Carnes, les imaginationships constituent à la fois une illusion et une évasion.
« Lorsque nous sortons réellement avec quelqu’un, nous découvrons différents aspects de leur personnalité, y compris certains traits que nous n’aimons peut-être pas », poursuit l’experte. « Dans une imaginationship, nous pouvons remplir les espaces manquants quant à la personnalité de notre crush comme bon nous semble, sans le risque de faire face à des red flags inattendus ou à des déceptions inévitables, comme c’est souvent le cas lors des rencontres dans la vie réelle. »
Ainsi, pour certaines personnes, la imaginationship pourrait être une manière de se protéger émotionnellement, puisque ce type de relation est entièrement contrôlé par la personne qui l’a créée dans sa tête.
Pas de réelle relation, pas de danger d’être déçu.e, n’est-ce-pas ?
Imaginationship moi non plus
Pour Stephanie Carnes, ainsi que pour de nombreuses utilisatrices de TikTok adeptes de la tendance, le fait d’imaginer de quoi seraient faites des relations peut avoir du bon. En effet, les imaginationship permettent d’évaluer ses attentes envers un.e partenaire ou envers les relations amoureuses en général, donnent de l’espace et du temps de réflexion et peuvent même aider à identifier une personne toxique avant d’éventuellement entrer en relation avec elle.
« En raison de la façon dont la société conditionne les femmes hétéro-cisgenres, il est très facile pour nous de développer des attirances pour des hommes qui pourraient ne pas nous convenir », croit la créatrice de contenu fémiste @emrazz, connue sous le pseudonyme Feminist Next Door. « Plusieurs d’entre nous peuvent développer des imaginationships simplement lorsque quelqu’un gars nous montre un minimum de décence humaine, alors qu’en réalité, ils sont peut-être de fucking mauvaises personnes. »
Mais une question demeure: développer une imaginationship peut-il être nuisible ? Spoiler : tout est une question de degré d’implication émotionnelle.
La psychologue clinicienne Monica Vermani, récemment citée dans Cosmopolitan, considère que même si l’amour non partagé ressemble beaucoup à un crush intense, il est généralement bien plus fort parce qu’il implique, du moins, d’un côté, de vrais sentiments.
« La plupart d’entre nous ont été attirés par quelqu’un ou ont ressenti des sentiments pour quelqu’un qui n’éprouvait pas la même chose à notre égard. C’est une dynamique que beaucoup d’entre nous vivent à un moment ou un autre. », explique-t-elle. Selon ses observations, l’amour qui n’est pas partagé, qui n’est donc pas « rendu », comporte un potentiel de déséquilibre affectif, susceptible de provoquer un bouleversement émotionnel intense. « Ce même chamboulement peut rendre anxieux, déprimé ou encore stressé ».
Évidemment, une imaginationship plus anecdotique, qui fait l’objet de contenu plus léger sur TikTok, ne risque pas de chambouler votre équilibre. On parle plutôt de pensées exploratoires et d’expérimentations mentales.
Si celles-ci ne provoquent pas d’anxiété, d’obsession ni de détresse, qu’elles ne constituent pas une barrière à éventuellement entrer en relation « dans la vraie vie » et qu’elles ne basculent pas vers le stalking ou le harcèlement, il n’y a pas matière à s’inquiéter. Au contraire.
Et, qui sait, les rêves de happily ever after vous mettant en scène aux côtés de la sublime personne que vous croisez tous les matins au café se transformeront peut-être en réelle histoire d’amour… ou pas !