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David Dufresne sur la loi de sécurité globale : « Cachez ces violences policières qu’on ne saurait voir »

Par
Bastien Loeuillot
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Depuis ce 17 novembre 2020, la proposition de loi « Sécurité Globale » est discutée à l’Assemblée Nationale. Pointé du doigt par Amnesty International et Reporter Sans Frontières, le texte prévoit notamment l’interdiction de la diffusion de vidéos de policiers où ils seraient reconnaissables. Atteinte à la liberté de la presse ou protection de la Police ? Le journaliste et cinéaste David Dufresne prend position contre cette loi. Réalisé dans la continuité de son travail « allo @Place_Beauvau », son film Un pays qui se tient sage sorti le 30 septembre, n’aurait pu être réalisé sans la diffusion de milliers de vidéos, qui demain pourraient être interdites. Rencontre.

Le texte de loi « Sécurité Globale » est au centre de l’actualité. Quels sont ses principaux enjeux ?

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Parmi les points clés, il y a l’idée qu’on ne pourrait plus diffuser d’images de policiers au travail, pour résumer. C’est une grande bataille, une bataille de l’opinion d’un côté, une bataille juridique de l’autre, une bataille législative. C’est une loi renversante et liberticide.

Cette loi « vise à rendre non identifiables les forces de l’ordre dans la diffusion d’images dans l’espace médiatique », selon les termes exactes du texte. Qu’est-ce que cela changerait concrètement, pour les journalistes et pour les citoyens ?

Ce qui m’importe, ce n’est pas moins le travail des journalistes que la capacité citoyenne à observer la police. Ce que les députés essayent de nous faire croire, c’est que la loi ne changera rien pour les journalistes, ce qui est faux. L’idée est de cacher ces violences policières qu’on ne saurait voir, de tarir la source du débat. La vraie cible c’est les réseaux sociaux. Ça n’a rien de nouveau les violences policières ! Ce qui est nouveau c’est le fait de documenter et de pouvoir les diffuser sur les réseaux. S’il y a un débat sur les violences policières aujourd’hui en France, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, c’est parce qu’il y a des vidéos, parce que c’est documenté.

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Selon Alice Thourot, la député à l’origine du texte, la loi « ne changera rien pour les journalistes et les citoyens dans leur manière de diffuser des images ». En revanche, le ministre de l’intérieur Gerald Darmanin estime que cette loi vise à « ne plus pouvoir diffuser d’images des policiers et des gendarmes sur les réseaux sociaux ». Il y a deux sons de cloche. Alors quel est le réel objectif de cette loi ?

Il y a un discours un peu plus vrai, celui du ministre, et il y a un discours d’emballage. C’est du mensonge de la part de la député. Évidemment que ça va modifier le travail des journalistes ! Quand on prend le discours des syndicats de police qui réclament ça depuis longtemps, et du ministre de l’intérieur, c’est très clair. Les réseaux sociaux et les journalistes sont visés. Or, si l’idée est de protéger les forces de l’ordre, le code pénal prévoit déjà tout ce qu’il faut et c’est normal. Il prévoit de répondre judiciairement au cyberharcèlement/harcèlement, aux menaces et aux coups. Si des policiers sont victimes de cela, ils ont l’attirail juridique nécessaire. Là, ils en rajoutent une couche: supprimer les vidéos. Ce n’est plus de l’hypocrisie à ce stade là, c’est du mensonge.

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On revient 2 ans en arrière. Le 17 novembre 2018, on assiste au 1er Acte des manifestations des Gilets jaunes. Depuis, toutes les manifestations ont été entachées par des violences, que ce soit par les policiers ou par les Gilets jaunes. Comment les relations entre manifestants et policiers se sont-elles détériorées ?

Pendant très longtemps, le maintien de l’ordre dit « à la française », d’un point de vue policier, ça consistait à absorber les coups, à limiter l’usage de la force à sa stricte nécessité. Mais ça a éclaté sous nos yeux et ce bien avant les Gilets jaunes. Il y a beaucoup plus de contacts qu’avant, il y a une utilisation massive d’armes. On vise à nouveau la foule, même si ce n’est pas à balle réelle avec le LBD. Ce n’était plus le cas depuis très longtemps. Ce recours au contact est renforcé par l’utilisation de policiers qui ne sont ni formés, ni équipés, ni entraînés au maintien de l’ordre, mais entraînés au contact. Je pense notamment à la BAC. Aujourd’hui, le nouveau schéma du maintien de l’ordre officialise ces techniques pour leur donner un cadre légal, un cadre doctrinaire. L’État français joue un jeu dangereux, celui de la confrontation.

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Aujourd’hui, la plupart des médias s’intéressent aux violences policières, surtout depuis le mouvement des Gilets jaunes. Mais les premiers journalistes à s’y intéresser ont été des « petits » médias, voire des journalistes indépendants comme Taha Bouhafs ou Gaspard Glanz. Pourquoi les médias dits « traditionnels » ont-ils mis du temps à s’intéresser à la question ?

Le mouvement des Gilets jaunes a échappé aux médias dominants pour des raisons sociologiques. Au tout début du mouvement, une partie de la presse réactionnaire, qui y était plutôt favorable, s’est désengagée dès qu’il y a eu les manifestations du samedi. Tant que c’était sur les ronds points, ça restait sympathique. Mais quand c’est arrivé dans les centres villes, la presse réactionnaire avait plus de mal avec ce mouvement-là.
La plupart des médias dominants ont une vision du monde qui est une vision du pouvoir, libérale, conservatrice et de plus en plus à droite. Donc il n’y a rien d’étonnant à voir que cette presse-là, celle qui jusqu’ici fabriquait l’opinion seule, ait eu du mal. Or aujourd’hui, elle n’est plus seule. Il y a de plus en plus de médias alternatifs, de journalistes indépendants, sans oublier les réseaux sociaux. Sur l’histoire des pratiques policières, ça a compté. C’est pour cette raison que la loi va passer. J’aurais tendance à vous dire que la presse, dans son ensemble, a un peu oublié sa vertu principale : celle du contre-pouvoir. Elle est plus dans l’accompagnement du pouvoir. Il ne faut pas sous-estimer non plus le poids des chaînes d’info. Il suffit de les regarder pour voir ce qu’elles défendent… Elles défendent le statu quo, quitte à vouloir parfois le renforcer. Donc évidemment que la question des violences policières, pour elles, tombaient dans un trou noir de sidération.

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