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Dans le rap, plus que jamais, la punchline est reine : ça dit quoi ?

Décryptage d'une nouvelle prose.

Par
Audrey Fisné-Koch
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C’est indéniable : si on réécoute L’École au micro d’argent d’IAM aujourd’hui et qu’on enchaîne avec La Machine de JUL, on remarque de grosses différences. Loin de nous l’idée de porter un jugement de valeur sur l’un ou l’autre de ces deux albums. C’est juste un fait : le rap a changé. Il s’est transformé. Comme notre société finalement.

Pour le comprendre, il faut préciser que la place prise par le rap en quelques années est spectaculaire. « Si, dans les années 1980, il y avait quelque chose de l’ordre de l’exceptionnalité, aujourd’hui tout le monde écoute quelque chose qui s’apparente au rap », explique Benjamine Weill, philosophe et spécialiste. D’autant qu’avec Internet et l’autoproduction, le genre est devenu accessible à beaucoup plus d’artistes. Bref, « c’est complètement mainstream ». La preuve en chiffres : en 2019, 9 des 10 artistes les plus « streamés » de la décennie passée, sur Spotify, étaient des rappeurs. C’est « le genre le plus écouté et le plus vendu du pays », assure Ouafa Mameche, journaliste et éditrice experte du sujet.

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Une culture du slogan

Pour la rappeuse Illustre, le succès s’explique par une grande hétérogénéité. « Aujourd’hui, le rap est pluriel : AfroTrap, instrus qui zoukent, rappeurs qui chantent leur refrain… » On remarque donc un fait important : les mélodies ont pris une plus grande place. Depuis les années 2010, l’esthétique du rap a évolué, comme le BPM. Passer du « Boombap » à la « trap » a eu des conséquences sur la construction des morceaux. « La façon d’écrire des phrases a changé. Il faut désormais épurer les textes, dire ce que l’on veut avec le moins de mots possibles », détaille le rappeur Vin’s. « On enlève des pronoms, on va à l’essentiel là où avant, on faisait de gros blocs. »

Pour Kohndo, ancien membre du groupe La Cliqua, cette transformation de l’esthétique peut avoir quelques côtés négatifs : « Aujourd’hui, le texte passe parfois au second plan. Il y a quelques années, on voulait faire de la langue française un trésor », regrette-t-il.

La philosophe Benjamine Weill y voit surtout le reflet de la société dans laquelle on vit. « Partout désormais, la parole est devenue succincte, un peu secondaire. On fait moins confiance aux mots, on travaille plus sur les impressions que sur le sens. On est dans une “culture du slogan” ». Le constat est le même dans d’autres domaines, explique l’experte. « On retient la punchline plus que le texte. On fait de la politique en 140 caractères. »

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Un vocabulaire qui évolue vite

Cette évolution, « on aime ou on n’aime pas », souligne Vin’s. Ce qui compte, pour le jeune rappeur, c’est que les mots choisis restent « notre cartographie du monde. Ils nous permettent de vraiment le comprendre ». C’est pour cette dimension pédagogique qu’il aime écrire. « Dans un morceau comme MeToo [sorti en 2018], je ne suis pas du tout parti avec l’intention de dénoncer. Il s’agit plus de dire, en m’adressant principalement aux hommes : « Vous n’avez pas bien compris la gravité de la situation ». J’ai eu envie de l’expliquer avec mes mots. »

https://www.youtube.com/watch?v=mX7zP9UpGDg

Ces mots, indique Ouafa Mameche, font écho auprès du public. C’est aussi ce qui explique un tel succès du rap, notamment auprès des jeunes. « Les rappeurs s’expriment dans le même langage qu’eux. Il est plus facile de comprendre les jeux de mots, les références, car toute une génération partage le même langage. »

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Un peu comme si les mots représentaient les « codes » de telle ou telle génération, complète la rappeuse Illustre. Et le vocabulaire évolue très vite : « Il y a des nouveaux mots tout le temps ! Même moi, qui ai 24 ans, je ne capte pas toujours tout », s’amuse-t-elle.

Présents partout

Cela montre bien qu’à travers les mots, « le rap est aussi avant-gardiste », analyse la philosophe Benjamine Weill. Après tout, « on retrouve des punchlines affichées lors des manifestations, des expressions de rappeurs dans les discours politiques, des mots inventés dans le dictionnaire. Cela montre bien la force de cette production de discours. »

Et si après avoir dit tout ça, on doute encore de la puissante plume des rappeurs, on ne peut que constater qu’ils occupent tous les terrains : à l’image de Damso ou Dinos, ils écrivent des textes pour les artistes de variété. Ils participent ou sont jury lors des concours d’éloquence, comme Kery James. Ils donnent même des cours au conservatoire, comme Kohndo, « premier professeur de rap de France », précise-t-il fièrement, avant de conclure : « Savoir s’exprimer, c’est quand même la clé pour avancer dans le monde. »

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