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Dans la communauté LGBT, le gatekeeping fait rage
C’est en traînant sur Instagram que j’ai entendu parler de « gatekeeping » pour la première fois. Et j’ai commencé à en parler autour de moi. « Oui, on m’a déjà dit que je n’avais pas l’air d’une lesbienne », m’a alors confié une amie, adepte du rouge à lèvres. Mais ça a l’air de quoi une lesbienne, exactement ? Est-ce qu’il faut forcément avoir les cheveux courts et porter une chemise à carreaux ? Je ne pensais pas qu’on en était encore là. Alors j’ai tenté de comprendre.
« J’ai entendu des trucs comme : « Non mais elle, c’est pas une gouine comme nous ». Comme si je n’avais pas les codes. » Militant.e féministe, Chloé Madesta se définit comme lesbienne non-binaire, mais iel n’a pas toujours été accueilli.e à bras ouverts par la communauté LGBTQ+. « J’avais l’impression d’avoir 14 ans et de me faire refouler d’une soirée parce que je n’étais pas assez cool », raconte-t-iel. Comme si sa petite coupe au carré jouait contre lui, ou que son look ne correspondait pas à celui d’une « gouine ».
« Il y a des gens qui ont envie de rencontrer d’autres personnes de la communauté, mais qui ont l’impression de ne pas avoir la bonne dégaine »
Pourtant, « les cheveux longs, le maquillage, les robes, ça n’appartient à personne », rappelle Jennifer. Queer, la trentenaire a l’habitude de parler de ces combats publiquement, même si on oublie souvent de lui demander son avis sur la question. « Quand on parle de sujets queer, les gens se tournent généralement d’office vers ma partenaire. Parce qu’elle a les cheveux rasés et un certain style. Bref, c’est elle la référence queer de notre couple, apparemment », raconte la jeune maman qui vit mal ce rejet permanent. « C’est comme si j’essayais de forcer mon coming-out en permanence pour prouver que j’existe. Quand bien même, tout le monde continue à me dire : « Mais non, t’en fais pas, reste comme tu es avec tes cheveux longs et tes ongles bien vernis. On te prend comme tu es. » Alors que j’en doute fortement », confie celle à qui on a déjà fait remarquer qu’elle ne pouvait pas être queer et… porter une robe décolleté. Cherchez l’erreur.
« Ça crée un sentiment d’illégitimité qui est super fort. Il y a des gens qui ont envie de rencontrer d’autres personnes de la communauté, mais qui ont l’impression de ne pas avoir la bonne dégaine », se désole Chloé.
Pour Arnaud Alessandrin, sociologue et spécialiste des questions LGBT, il y a un paradoxe avec certains codes esthétiques. « Toute lesbienne trop masculine est jugée négativement, comme trop militante. Mais du côté de certains discours lesbiens, toute appropriation des codes hétérosexuels serait une compromission… », raconte l’expert en rappelant que les communautés LGBT sont traversées de différences. « Et ce n’est pas parce que des personnes sont discriminées qu’elles ne vont pas discriminer à leur tour », lance Arnaud. « Il n’est pas évident que les gays ne soient pas sexistes, que les lesbiennes ne soient pas transphobes ou que les personnes trans ne soient pas queerphobes », souligne encore le sociologue. Les personnes LGBT ne vivent pas dans une bulle qui les rendraient hermétiques aux phobies diverses et variées. Loin de là.
« Il n’y a pas d’arche de Noé des discriminés où tout le monde viendrait se prendre la main pour se tenir ensemble. »
Christophe Madrolle en a fait l’expérience. Pansexuel, il a fait son coming-out en 2012 et a dû faire face à des remarques de la part de sa communauté. « On m’a dit que c’était une nouvelle mode la pansexualité, ou que je cherchais à me faire remarquer. Certain.es ont même associé ma pansexualité à de la zoophilie », raconte-t-il, désespéré. « Les associations et les médias LGBT+ aussi m’ont beaucoup snobé au départ. Il a fallu attendre plusieurs années pour que cela se décante un peu. Ça a été long. »
En fait, l’idée même de « communauté LGBT » est une construction un peu hasardeuse selon Arnaud Alessandrin. « C’est une communauté d’expériences du point de vue de la stigmatisation, mais il n’y a pas d’arche de Noé des discriminés où tout le monde viendrait se prendre la main pour se tenir ensemble. » Il n’a pas tort.
En discutant avec une consoeur de mon sujet, elle m’a fait part d’une discussion qu’elle avait eue avec un ami gay, récemment, fatigué de certains travers de la communauté. « Moi, mon plus grand rêve, c’est que la communauté lesbienne et la communauté gay se rencontrent pour de vrai ! Qu’on soit en cohésion, et qu’on arrête de se pointer mutuellement du doigt, de se discriminer à tout va. Juste un peu plus de bienveillance, ça ferait du bien. »
« Les personnes discriminées sont traversées elles-mêmes par des préjugés et des stéréotypes », explique Arnaud Alessandrin. Elles sont aussi capables de faire preuve de grossophobie, de transphobie ou encore de biphobie, comme a pu le constater Vincent-Viktoria Strobel, co-porte-parole de Bi’Cause, grâce à l’enquête réalisée par l’association. « Les sites de rencontres charrient un certain nombre de stéréotypes venant de lesbiennes et des gays », explique-t-iel. Entre autres : la peur que les personnes bisexuelles soient infidèles. « Certaines femmes préfèrent aussi se dire lesbiennes que bi, c’est vraiment de la biphobie intériorisée », regrette Vincent-Viktoria.
Mais pour Chloé, ce n’est pas une fatalité. Auprès de ses 12.000 followers sur Instagram, iel a à cœur de sensibiliser à cette question. « Comme tout, ça va prendre du temps. Ce sont des mécanismes insidieux et hyper ancrés mais je pense qu’on a ouvert un débat. » L’avenir nous le dira.