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Covid et box-office : l’été meurtrier

« Recherche succès désespérément »

Par
Stéphane Moret
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Avec tous les reports des gros blockbusters, de plus petits films peuvent-ils tenir le haut du pavé ? Et les films français, quelles que soient leurs qualités, vont-ils devenir des succès ? Le Covid19 a rebattu les cartes, les cinémas attendent (désespérément) les premiers succès.

Ça pourrait être l’annonce de l’été pour les salles de cinéma : « Recherche succès désespérément. » Car avec la crise du Covid, les cinémas ont fermé puis rouvert en petite forme. Avec peu de films porteurs à se mettre sous la dent pour les exploitants de salles. Wonder Woman 84, Fast & Furious 9 et d’autres s’afficheront au mieux dans quelques mois, au pire un an plus tard. Les derniers espoirs reposaient sur Tenet de Christopher Nolan, qui s’annonçait comme LE blockbuster qui allait redonner envie aux gens d’aller au cinéma. Reporté deux fois d’une quinzaine de jours, le film visait ainsi une présence dans les salles mi-août. Mais la situation empirant aux Etats-Unis, Warner Bros a finalement décidé de le reporter une nouvelle fois, et la date n’a cette fois pas été annoncée. Christopher Nolan, puissant réalisateur, pousse pour que son film n’atterrisse pas directement en VOD, déclarant que le film est fait pour être vu au cinéma. Mais le studio n’a pas voulu prendre le risque de l’utiliser comme une locomotive sans vapeur, et ne sera donc pas le premier blockbuster à profiter d’un presque monopole dans les salles américaines. Le monde suit le rythme des USA, et notamment la France qui devra attendre encore, même si les salles sont rouvertes.

Ce qui est une malédiction pour les exploitants pourrait être une chance pour les distributeurs de films, notamment français.

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Ce qui est une malédiction pour les exploitants pourrait être une chance pour les distributeurs de films, notamment français. Avec autant de salles disponibles sans les gros films américains, cela donne une combinaison de copies bien plus importante pour les autres films, au premier rang desquelles les productions françaises, et notamment les comédies. Avec d’abord La Bonne Épouse, avec Juliette Binoche. Le film n’avait profité que de quelques jours d’exploitation en mars avant la fermeture des salles due au confinement. Il était le fer de lance de la reprise et devait emmagasiner les entrées. Las, le film plafonne, et n’a pas réalisé plus de 100 000 entrées en première semaine de reprise. Pire : il chute irrémédiablement semaine après semaine. Il devrait s’arrêter autour de 600 000 entrées, alors que ses critiques et son nombre d’écrans (plus de 900) lui laissaient espérer le million. Idem pour le biopic De Gaulle, avec Lambert Wilson, qui s’arrêtera juste en dessous du million, bien qu’il s’adresse à un public qui n’a pas hésité à revenir dans les salles obscures : les seniors.

La situation est ubuesque : des toutes petites productions qui n’auraient pu espérer mieux que 200 copies pour s’exprimer, bénéficient de plus de 800 salles, un nombre habituellement réservé aux très gros blockbusters de Disney, Universal et Warner.

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La situation est ubuesque : des toutes petites productions qui n’auraient pu espérer mieux que 200 copies pour s’exprimer, bénéficient de plus de 800 salles, un nombre habituellement réservé aux très gros blockbusters de Disney, Universal et Warner. Et cela devrait les porter, même si un siège sur deux est non réservable. C’est le cas pour Les Parfums, avec Emmanuelle Devos. La campagne de promotion a été somme toute intensive pour le présenter comme un challenger crédible au box-office. Au bout de trois semaines, le film bloque a 200 000 entrées, soit très certainement autant que ce qu’il aurait réalisé en temps normal. Difficile de le déclarer comme un échec, vu les circonstances, mais c’est pourtant le cas.

L’Aventure des Marguerite, une comédie d’aventures avec Alice Pol et Clovis Cornillac, avec près de 500 écrans, réalise seulement 70 000 entrées en première semaine. Clément Miserez, son producteur chez Radar Films, fait partie de ceux qui osent sortir un film dans cette période compliquée, en se disant que cela peut être un défi gagnant, et même deux. Car le même jour, il sortait un autre film, Divorce Club, de Michael Youn. Si L’Aventure des Marguerite a été avancé (il devait sortir en août), Divorce Club a été repoussé : il devait sortir le lendemain du confinement, en mars. Bilan : 70 000 entrées pour son premier jour (le 14 juillet, exceptionnellement un mardi) et 170 000 de plus pour sa première semaine complète d’exploitation. Le film peut espérer être un « succès de l’été coronavirien », c’est-à-dire sauver les meubles, mais ne devrait pas toucher l’horizon du million d’entrées symbolique.

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Après un très bon début en première semaine, avec 260 000 entrées réalisées sur 500 écrans, Tout Simplement Noir a vite faibli, et ne devrait pas non plus atteindre le million qui lui était rêvé dans les espoirs les plus positifs. Le soufflé est retombé, et le beau temps estival ne devrait pas aider les sorties.

Moins d’un million d’entrées par semaine en moyenne sur juillet quand la moyenne habituelle est de 3,5 millions sur les 10 dernières années.

A titre de comparaison avec l’année 2019, portée par Le Roi Lion, Toy Story 4 et Spiderman Far From Home, la semaine de mi-juillet réalise une chute de 65% de ses entrées. Moins d’un million d’entrées par semaine en moyenne sur juillet quand la moyenne habituelle est de 3,5 millions sur les 10 dernières années. La distribution et l’exploitation cinématographique sont exsangues, jamais ils n’avaient connu d’aussi mauvais chiffres. Normalement, un film qui fonctionne bien réalise plus de 1000 spectateurs par semaine et par copie. Donc s’il est projeté sur 600 écrans, on dira qu’il fait un excellent démarrage aux alentours de 600 000 entrées ou plus. Avec la limitation à un siège sur deux, un film projeté sur 600 écrans devrait réaliser 300 000 tickets pour être considéré comme un succès. Or, aucun n’atteint cette part des 500 entrées par écran et par semaine. Le virus freine certainement des spectateurs potentiels d’aller au cinéma, par crainte de sa circulation et des conditions d’hygiène des salles les plus vétustes, petites ou non-climatisées.

l’exploitation en salles et la distribution ont bien besoin du cinéma américain pour attirer, et faire profiter d’autres films plus petits du report vers une 2e salle quand la première est comble.

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Même les films destinés aux enfants ont du mal à attirer : le film d’animation Scooby ! avec plus de 580 écrans en première semaine, plafonne à 200.000 entrées, alors qu’il aurait certainement réalisé plus du double en temps normal. Et En Avant, des studios Disney-Pixar, sorti avant le confinement, ne complète que très relativement son box-office personnel depuis quelques semaines.

Alors, n’en déplaise aux souverains du cinéma 100% franco-français, l’exploitation en salles et la distribution ont bien besoin du cinéma américain pour attirer, et faire profiter d’autres films plus petits du report vers une 2e salle quand la première est comble.

Et le fait que rien ne soit clairement inscrit sur les calendriers avant l’automne inquiète : la rentrée sera-t-elle le moment d’une redoutée deuxième vague du Covid-19 ? Les salles devront-elles refermer ? Et quand les grands studios reprogrammeront-ils réellement leurs hits ? « Le report de Tenet et Mulan est une catastrophe », a déclaré Jocelyn Bouyssy, directeur des cinémas CGR à Variety. « On ne veut pas que les gens nous oublient, mais on ne sait pas combien de temps on pourra tenir ainsi. » Novembre devrait voir arriver le nouveau James Bond et le nouveau Marvel (Black Widow). Mais ces dates tiendront-elles réellement alors que les cinémas chinois rouvrent et referment selon les foyers de contamination, et que les Etats-Unis voient leur population de plus en plus touchée par le coronavirus ?

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Les solutions ne sont que momentanées pour les directeurs de salles : louer pour des conventions et séminaires, organiser des projections privées, ressortir des grands classiques ou organiser des marathons de sagas, comme le Grand Rex avec Jurassic Park, les films de Quentin Tarantino ou Dragon Ball Z. Mais s’ils n’ont rien à se mettre sous la dent avant un moment, ils pourraient faire face à des pertes colossales, avant de connaître un embouteillage de sorties en 2021, limitant le nombre de salles disponibles pour chaque film: ce qui pourrait jouer sur le succès de futurs films ou tout simplement empêcher les plus petits d’être visibles.

Désormais, même des films sympathiques sont attendus comme le Messie, et les prochaines semaines verront ainsi un nombre important de challengers être proposés aux spectateurs : Ip Man 4, The King of Staten Island, de Judd Apatow, Light of My Life de Casey Affleck, ou Yakari, adaptation animée de la célèbre bande-dessinée. On en vient même à ne plus craindre le succès de films à la qualité plus que discutable comme Terrible Jungle, une comédie avec Vincent Dedienne, Jonathan Cohen et Catherine Deneuve, Les Blagues de Toto, tiré de la BD, ou encore Belle-Fille, comédie avec Alexandra Lamy et Miou-Miou. Au contraire, les succès sont espérés par tous les acteurs de l’industrie.

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Bref, c’est un peu comme aux Jeux Olympiques : qu’importe si l’athlète est une quiche ou un champion, toute une nation le soutient pour tenir la dragée haute et devenir le champion de l’été. L’urgence est présente, car pendant ce temps, les Français se sont bien facilement habitués à regarder des films en VOD et en streaming. Cela pourrait durer et mettre en péril, encore un peu plus, le cinéma…