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Le coronavirus va-t-il tuer le cinéma ?
Seule la firme Disney pourrait s'en tirer. On vous explique pourquoi.
On ne le voit peut-être pas venir, mais les décisions et comportements liés au Covid-19 pourraient bien avoir des conséquences inattendues et dramatiques pour certains studios de production de cinéma, notamment à Hollywood, jusqu’à faire couler un ou plusieurs d’entre eux.
Commençons par lister les différents décalages, annulations ou reports dûs aux mesures de restriction ou de précaution liées au coronavirus. Côtés tournage, Mission Impossible 7 et Red Notice avec Dwayne Johnson devaient se dérouler en partie en Italie, ce n’est plus d’actualité. Cela pourrait jouer sur leurs calendriers de production et donc sur leurs dates de sortie programmées. Les prises de vues chinoises d’Astérix et Obélix : l’Empire du Milieu, de Guillaume Canet, sont reportées du début à la fin du calendrier de tournage. Quatre films ont déjà leurs dates de sortie repoussées en France ou en Europe : La Daronne de Jean-Paul Salomé, Miss de Ruben Alves, Pinocchio de Matteo Garrone, et Rocks de Sarah Gavron. Ils étaient les premiers à réagir. Depuis, quasiment toutes les productions sont en pause, aussi bien du cinéma que des fictions de télévision et des plate-formes de streaming.
En cause : le risque anticipé que les salles soient fermées en stade 3 de l’épidémie. Et depuis le samedi 14 mars, on y est. Toutes les salles doivent fermer, les films ne vont donc pas sortir, au moins pour les prochains jours. C’est aujourd’hui une liste qui s’allonge de jours en jours. Sans un Bruit 2 (A Quiet Place Part II) a été reporté par son réalisateur John Krasinski à seulement quelques jours de sa sortie. Mulan aussi, tout comme Bloodshot, Fast & Furious 9 (reporté d’un an). Et cette liste a été entamée comme un cataclysme par l’annonce du report de sept longs mois de la sortie du nouveau James Bond, No Time To Die, avec Daniel Craig, à seulement quelques semaines de sa sortie prévue initialement en avril.
Mais le gouvernement chinois a annoncé la fermeture, par précaution, de 70.000 salles. En France, 38 sont fermées, 50% des cinémas sur le territoire italien. Les salles américaines seront-elles les suivantes ?
Pourquoi ce premier report a-t-il eu tant d’impact ? D’abord parce que c’est un film dont la production a été chaotique. Daniel Craig ne devait plus jouer 007, mais un beau chèque l’a convaincu de revenir. Les réalisateurs se sont succédés sur le projet, avant que Cary Fukunaga ne le prenne en mains. Puis Craig s’est blessé sur le tournage, reportant de quelques semaines la production et la sortie, initialement prévue pour novembre 2019. Universal, le nouveau distributeur après Sony, n’a donc pas le droit de se planter et de perdre quelques 100 ou 200 millions de dollars dans ce contexte, avec une mauvaise exploitation. Pour être rentable, le film doit dépasser le milliard de dollars de recettes. Or, le marché chinois s’est développé de manière incroyable ces dernières années pour les superproductions américaines, devenant le deuxième marché mondial pour ces films, faisant le succès ou l’échec de certaines franchises. De plus en plus, les majors américaines « calibrent » leurs films pour qu’ils plaisent à ce public, fan de grand spectacle. Ainsi, des dizaines de milliers d’écrans se sont ouverts sur le territoire récemment. En gros, un film peut espérer voir ses recettes grossir de 200 à 400 millions de dollars avec ce marché. Mais le gouvernement chinois a annoncé la fermeture, par précaution, de 70.000 salles. En France, 38 sont fermées, 50% des cinémas sur le territoire italien. Les salles américaines seront-elles les suivantes ? C’est tout l’enjeu des jours à venir pour le cinéma hollywoodien.
Le coût estimé du Covid-19 est déjà de 2 milliards de dollars pour l’industrie cinématographique, selon le site Deadline. Or, des dollars, James Bond en a désespérément besoin, donc Mourir Peut Attendre au moins jusqu’au mois de novembre. Cela donne des situations ubuesques. Ainsi, Daniel Craig a commencé ses apparitions médiatiques, et était ainsi, le 7 mars, l’invité du Saturday Night Live, pour une promotion devenue caduque. Surtout, la décision d’Universal et MGM (qui coulerait clairement avec un échec, le studio étant l’un de ceux aux reins les plus fragiles) pourrait forcer ce dernier à devoir se vendre à un autre studio, comme Sony, Universal ou LionsGate, intéressés par son catalogue historique. Chez Sony, Universal, Disney, ou Warner Bros, ça commence à être la panique chez les pontes. Les chiffres du box-office des week-ends du 6 au 8 mars et du 13 au 15 mars sont déterminants.
En Avant (Onward) n’a pas réalisé une très belle performance pour ses 3 premiers jours, avec seulement 40 millions de dollars sur le territoire américain, et il ne se récupèrera pas sur le marché asiatique, c’est une certitude. Mulan (sortie prévue le 27 mars), à été reporté à la surprise générale, tout comme Les Nouveaux Mutants, tourné il y a plus de 2 ans et qui connaît ainsi son 3e report. Les principaux enjeux se dirigent autour de Fast & Furious 9, dont le succès des épisodes de la franchise a toujours été apporté à 80% par le marché international, et surtout asiatique ; et pour Black Widow, premier gros blockbuster de l’année à sortir sur les écrans. Certains films comme Sans Un Bruit 2 (A Quiet Place 2), avaient déjà engagé leurs promotions à échelle industrielle.
Étonnamment, le Covid-19 pourrait jouer en faveur de Disney. La firme est la seule à avoir un service de streaming à son nom, Disney+.
Black Widow devrait tenir sa date de sortie (1er mai), sauf véritable pandémie sur le territoire américain. D’abord parce que Disney peut se permettre de perdre un peu d’argent (estimé à 200 millions de dollars en cas de contre-performance) après une année 2019 record (plus de 11 milliards de dollars récoltés), mais aussi parce que cela repousserait tous les films suivants de Marvel Studios, dont Eternals, dans un calendrier déjà serré pour toute la phase 5 de son MCU (Marvel Cinematic Universe). Et vu comme le calendrier de fin d’année est déjà hyper rempli par les superproductions, cela aurait un effet domino pour tous les studios, qui reverraient ainsi leurs stratégies respectives. Car on ne vend pas un film d’été de la même manière qu’un film pour les fêtes de fin d’année.
Étonnamment, le Covid-19 pourrait jouer en faveur de Disney. La firme est la seule à avoir un service de streaming à son nom, Disney+. Celui-ci pourrait devenir, en cas d’impossibilité de sortir les films en salles, un réceptacle pour ses blockbusters, qui limiterait les pertes financières, et lui permettrait de grossir son parc d’abonnés, surtout au moment où le service se lance en Europe (24 mars). Globalement, les services VOD pourraient être les premiers bénéficiaires d’une fermeture (momentanée) des salles. Amazon, Netflix, et bientôt HBO Max (Warner) seraient un moyen idéal de regarder un film à la place d’une salle de cinéma.
Aux États-Unis, le film Contagion de Steven Soderbergh, est le 2e le plus vu du moment, derrière Harry Potter, sur la plate-forme HBO Max.
Mais les studios de production et distribution pourraient bien y laisser leur peau, surtout un : le japonais Sony. D’abord par son implantation historique dans un pays plus touché que d’autres par le Covid-19, et dont l’économie est ainsi particulièrement impactée. Mais aussi parce que ses dernières sorties, censées relancer certaines franchises, n’ont pas été de francs succès (Men In Black International, Jumanji, Charlie’s Angels, Angry Birds 2 et d’autres ont « sous-performé » par rapport aux attentes). Sony sort beaucoup de films (Morbius, Pierre Le Lapin 2 ou Greyhound avec Tom Hanks, sont attendus en 2020), et engage ainsi beaucoup de frais. Ghostbusters Afterlife pourrait ainsi être un des premiers à être reporté, car particulièrement sensible après l’échec de la version 100% féminine. Tout comme le film avec Vin Diesel, Bloodshot. Sony s’est fixé comme objectif 2020 d’être numéro 1 des studios en termes de recettes, devant Disney et Warner. Mais tout report ou annulation de sorties engendre des pertes financières. Or, l’année de Sony est surtout tournée vers la sortie d’une nouvelle console, la Playstation 5, qui demande beaucoup de ressources. Ainsi, une mauvaise année pourrait les forcer à se retirer du marché des films et vendre leurs actifs à un autre studio ou acteur de la VOD, comme Apple+ ou Amazon, qui aiment déjà l’idée de récupérer un large catalogue de films et séries pour leur streaming. Ce qui entraînerait, par contrat, la perte des droits des personnages Marvel « Spiderman Universe » à Marvel Studios. De quoi redistribuer les cartes du secteur et renforcer encore Disney.
Les conséquences du Covid-19 sont nombreuses : certains films vont voir leur exploitation rallongée, suite à la disponibilité des salles abandonnées par les prévues sorties. Des festivals sont annulés (SXSW, Canneséries) ou pourraient l’être prochainement (Festival du film de Cannes). Les marchés du film qui y sont liés vont être désertés, et certains films vont peiner à trouver un producteur ou un distributeur. Nos comportements de se déplacer dans une salle pourraient s’en voir modifiés, au profit de la VOD et du streaming. D’ailleurs, aux États-Unis, le film Contagion de Steven Soderbergh, est le 2e le plus vu du moment, derrière Harry Potter, sur la plate-forme HBO Max. Le Covid-19, ce n’est pas que du cinéma…