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« Je glisse tous les matins un anneau qui enrobe mon pénis et mes testicules ». J’ai sorti ça entre deux gorgées de bière. « Ça permet de diminuer ma production de spermatozoïdes en deçà du seuil de fertilité. Je suis un homme contracepté, en gros ». Regards ahuris et mines interdites. Comme l’impression de casser l’ambiance, dans cette réunion mâle sur fond de cloud rap US.
Visiblement sous le choc, l’un de mes amis a rompu le silence en me mitraillant de questions. « C’est pas hyper risqué ? Ça marche vraiment ? T’as pas l’impression d’être castré ? ». Non, oui et non. Parmi l’assemblée, toutes les réactions sont de cet acabit. Rien de surprenant là-dedans.
À l’heure où l’usage de la pilule ou de stérilets (DIU) semble encore aller de soi, l’idée d’une contraception masculine se heurte généralement à un mur nourri de méconnaissance, de méfiance, voire de dégoût. Il y a pourtant urgence à sauter le pas. Que ce soit sous l’angle du rééquilibrage de la charge contraceptive, ou du point de vue sanitaire. Afin de limiter les risques liés à la contraception hormonale féminine, et amortir le nombre de décès provoqué par les avortements à complication.
Ma découverte de la contraception « alternative »
Je me suis penché sur les options contraceptives suite à une discussion avec ma partenaire. Cette belle âme n’avait jamais utilisé de contraceptif individuel, et ne comptait pas s’y mettre. « Trop dangereux », m’avait-elle déclaré, en me rappelant par la même occasion qu’adopter une méthode hormonal n’avait rien d’anodin.
Peu importe la génération, les pilules associant oestrogène et progestatif augmentent par exemple le risque d’embolie pulmonaire et de phlébite, avec des facteurs à risque pour les personnes ayant des antécédents familiaux. J’avais connaissance de ces répercussions potentiellement dramatiques. Pourtant, il ne m’était jamais venu à l’esprit de chercher d’alternatives masculines.
Tout simplement parce que la contraception féminine me paraissait (paradoxalement) naturelle, et que je n’avais aucune connaissance de leur existence. C’est ma partenaire, face à mes réticences concernant l’usage du préservatif, qui a mis le sujet sur la table.
De l’hormonal, du thermique et de la vasectomie
L’Association pour la Recherche et le Développement de la Contraception Masculine (ARDECOM) recense trois méthodes. La plus connue étant la vasectomie, soit le blocage des canaux déférents véhiculant les spermatozoïdes. En 2017, en France, 0,8 % des hommes étaient vasectomisés. Mais cette opération chirurgicale relève plus de la stérilisation que de la contraception, sa réversibilité demeurant aléatoire.
Seconde méthode contraceptive citée : l’hormonale. Souvent présentée comme l’équivalent de la pilule, elle consiste à augmenter le taux de testostérone par injection intramusculaire ou application de gel. Ce bond conduit l’hypothalamus à réduire la production de spermatozoïdes, et rend ainsi temporairement infertile.
Last but not least, ARDECOM mentionne la contraception thermique. Laquelle peut être mobilisée à l’aide de deux dispositifs. Premièrement, les slips. Secondement : l’Andro-switch. Élégamment baptisé « anneau à couilles » par ma moitié, c’est ce modèle qui avait particulièrement retenu notre attention. Restait à appeler Maxime Labrit, concepteur de l’outil, pour bien en saisir le mécanisme.
Comme avec les sous-vêtements contraceptifs, l’objectif est de faire migrer les testicules depuis les bourses, où la température est légèrement inférieure à celle du corps (34-35 C°, au lieu de 36-37 C°), vers une poche intérieure située au niveau du pubis. « Par un effet push up, l’anneau conduit les testicules vers cette zone, et les empêche de redescendre », me détaille l’ancien infirmier.
Dans un environnement à plus de 36 C°, la production de spermatozoïdes est réduite en dessous du seuil de fertilité, soit 1 million de spermatozoïdes/millilitre par éjaculat. Autrement dit, cet anneau commercialisé depuis 2019 n’est pas un contraceptif en lui-même, mais plutôt une « exoprothèse » provoquant un mécanisme de contraception naturel.
Un problème de formation, et d’éducation
Séduit par le principe, j’étais décidé à me lancer. Mais utiliser l’anneau implique un rendez-vous médical préliminaire, consistant en une palpation testiculaire, puis un suivi ponctuel afin d’effectuer des spermogrammes qui coïncident avec le cycle d’une spermatogenèse complète, soit environ 74 jours. Aussi, la prochaine étape de ma modeste et-si-banale-pour-les-femmes odyssée contraceptive consistait à prendre rendez-vous.
« Ton médecin n’aura probablement même pas connaissance de la contraception thermique », m’avertit Maxime. Avant d’ajouter : « Et si tu abordes le sujet, il réagira en t’indiquant que tu risques une stérilité à vie, par exemple ». Silence. « Ce qui est impossible », s’empresse-t-il d’ajouter, en devinant dans mon mutisme la manifestation d’une inquiétude soudaine.
Et l’ex-infirmier avait vu juste. Non seulement ma médecin traitant ne soupçonnait pas l’existence du procédé mais, une fois celui-ci résumé, elle m’a immédiatement indiqué craindre une infertilité irréversible. Il a fallu que nous écumions ensemble le site d’Andro switch, sur lequel sont recensés des dizaines d’études étalées sur un siècle concernant le rapport température-testicules, pour qu’elle admette que la spermatogenèse pourrait reprendre son cours normal après quelques mois, après avoir arrêter d’utiliser l’anneau.
« On est face à un réel problème de formation médicale », déplore Maxime. Tout en notant une nette tendance à l’amélioration. « Un nombre ascendant de cabinets médicaux et de plannings familiaux s’emploient au suivi de la contraception masculine, qu’elle soit thermique ou non ». De quoi remettre en cause, pas à pas, le « consensus scientifique autour de la pilule et du stérilet ».
Une nécessité, pour assurer le déploiement de la contraception masculine. Car difficile d’adopter un procédé alternatif lorsque votre thérapeute affirme tout ignorer de ces pratiques, ou agite le spectre d’une infertilité sans billet retour. Face au manque de confiance instinctif de mon médecin, j’ai moi-même failli baisser les bras.
Le problème de la méconnaissance des contraceptions alternatives ne concerne d’ailleurs pas que le corps médical. Il touche aussi l’Éducation nationale. Gardant un vif souvenir de mes cours d’introduction à la sexualité, je me rappelle qu’y étaient mentionnés les préservatifs, la pilule journalière, et la pilule du lendemain. Jamais une contraception masculine alternative. « Là aussi, il y a un clair défaut d’accès à l’information », pointe Maxime.
Des rôles de genre tenaces
Aussitôt ma médecin convaincue, j’ai commandé l’anneau pénien. Pour assurer son fonctionnement, il est impératif de le porter quotidiennement entre 14 et 16h. Alors que j’expliquais à un ami comment consulter le chronomètre de mon smartphone pour respecter ce protocole, celui-ci s’est fendu d’un : « Quand même ! T’as jamais l’impression d’être une fille qui vérifie sur son tél’ pour savoir à quel moment prendre sa pilule ? ».
Derrière cette interrogation peu finaude se cache l’un des freins à la popularisation de la contraception masculine : une peur d’ être féminisé. « Se contracepter est assimilé à une tâche genrée », rappelle Maxime. De telle manière que pour certains, agir sur sa fertilité peut être perçu comme une émasculation. « Cette réaction est le fruit d’un conditionnement social d’héritage patriarcal dont il paraît urgent de s’affranchir », signale-t-il.
Urgent, sans être évident. Première mise en place de l’anneau en silicone : port confortable et indolore. Joie ! Mais passé quelques secondes, la sensation de remontée testiculaire a provoqué chez moi un profond malaise. Comme si on m’arrachait quelque chose. Ou plutôt LA chose qui était une preuve, par le fait, de ma masculinité.
« Un temps d’adaptation est parfaitement normal », commente Maxime. « Chaque premier utilisateur ressent quelque chose de nouveau en interférant avec l’intouchable culturel que sont les « bijoux de famille » ». Pour dompter cette désagréable sensation, rien de tel que l’habitude. Jour après jour, mettre l’Andro-switch est devenu un geste aussi banal qu’enfiler mon masque chirurgical. Exit les angoisses de dévirilisation.
Enjeu sociétal, embûches médico-légales
Quoique encore confidentielle, la contraception masculine fait l’objet d’une demande « croissante ». Aujourd’hui quelques 4000 personnes utilisent l’Andro-switch. Et chaque mois, plus de 400 nouveaux adeptes viennent grossir les rangs. Un engouement qui témoigne d’une réelle évolution des mentalités, selon Maxime. « Et ça n’est pas trop tôt ! ».
Car la légalisation de la pilule en 1967, si elle a bien participé à la libération des ventres, n’a pas débouché sur une réflexion collective, et féministe, concernant le partage de la charge contraceptive. « Nous y voilà peut-être », s’enthousiasme celui qui se dédie désormais entièrement à la fabrication des anneaux, et à l’accompagnement des contraceptés.
En travers du chemin vers ce qu’il n’hésite pas à appeler « l’avènement d’une nouvelle ère contraceptive », le créateur déplore la lourdeur du cadre « administrativo-médico-légal » européen. Lequel, selon lui, empêche la mise en place de dispositifs qui auraient pu « être mis sur le marché il y a déjà plusieurs décennies ». Leur validation serait trop lente, trop laborieuse. Devant le fonctionnement « kafkaïen » de la machine bureaucratique, pas d’autre choix, pour faire bouger les choses, que de miser sur le combat de réseaux militants.
Mais cette mobilisation citoyenne, dont ne semblent se préoccuper ni les dirigeants politiques ni les « Big Pharma », sera-t-elle suffisante pour démocratiser les méthodes contraceptives masculines à moyen-terme ? Maxime a envie d’y croire. « C’est un pari réaliste. D’ici quelques années, les habitudes se transformeront. Car la problématique contraceptive est une pièce d’un plus large puzzle à l’échelle sociétale, autour de la réflexion sur le contrôle du corps, et le respect des partenaires ».
Rendez-vous en 2030 pour discuter tous ensemble d’anneau testiculaire, de pilule, ou de patch. Tchin !