Sur une longue robe géométrique noire et blanche, le ventre nu de Nabilla Vergara ressort, avec en arrière-plan, le tapis rouge du festival de Cannes. Depuis qu’elle attend son deuxième enfant, l’influenceuse âgée de 30 ans enchaîne les photos glamour – son « baby bump » à l’air – sur son compte Instagram réunissant 7,4 millions d’abonnés. Mettre en scène sa grossesse fait partie des dernières tendances sur les réseaux sociaux. En février 2022, le phénomène s’emballe : Rihanna révèle qu’elle est enceinte et multiplie les shooting-photos arborant un ventre rond recouvert de bijoux. La mannequin Adriana Lima, la chanteuse Amel Bent ou des candidates de télé-réalité lui emboîtent le pas. Au premier abord, l’objectif affiché semble le suivant : montrer que maternité et glamour ne sont pas dichotomiques.
Le fait de valoriser le corps d’une femme enceinte et de le définir comme beau reste récent. « En 1920, il est considéré comme difforme et la pudeur interdit de l’exposer. Il a fallu la revalorisation du féminin dans les années 1970 par des féministes (par exemple le livre d’Annie Leclerc de 1974 : Parole de femme) pour que le regard commence à changer », explique Françoise Thébaud, historienne, chercheuse et spécialiste de l’étude de la place des femmes dans l’histoire. En août 1991, l’actrice américaine Demi Moore, enceinte de sept mois, fait partie des premières à poser nue en couverture du magazine américain Vanity Fair. A l’époque, le cliché provoque un tollé. Invitée de l’émission Youtube de Naomi Campbell appelée No Filter, diffusée le 2 février 2021, la star américaine de 59 ans confirme que cette photo « a eu un impact sur le monde. Sur les femmes, sur notre permission de nous accepter dans un état de grossesse. Mais c’était un moment que je prenais pour être vraiment en moi et m’exprimer et ne pas essayer d’être autre chose que moi. »
« Rihanna est arrivée comme un ouragan »
Après Demi Moore, des stars ont régulièrement montré leur ventre. On se souvient de la chanteuse Beyoncé qui, en février 2017, pose en soutien-gorge, le haut du corps recouvert d’un voile transparent, devant un mur de fleurs pastels. Cinq and plus tard, Rihanna brise les codes selon Illana Weizman, sociologue et autrice du livre Ceci est notre post-partum (éditions Marabout, 2021). « Quand j’y repense, Beyoncé et Cardi B adoptaient toujours des poses de madone pendant leur grossesse, c’était un peu cucu et traditionnel. De son côté, Rihanna est arrivée comme un ouragan, elle veut montrer qu’elle garde son style même si elle attend un enfant. » Que ce soit en doudoune rose flashy ouverte ou en robe de gala, elle semble dire à ceux qui la regarde : « Je suis enceinte, et alors ? » Même chose pour l’influenceuse et créatrice de Martine Cosmetics, Gaelle Garcia Diaz, qui s’affiche avec son « baby bump » dans un look futuriste, vêtue d’une combinaison en latex noire. De leur côté, les chanteuses Vitaa et Amel Bent optent pour le classique jean-brassière qu’elles portent à plusieurs mois de grossesse. Adieu les vêtements de maternité traditionnels qui couvrent le ventre ou le moulent, les stars veulent casser ces stéréotypes.
Saveria Mendella, doctorante en anthropologie de la mode à l’École des hautes études en sciences sociales, décrypte : « On voit un repositionnement des femmes dans notre société qui prennent plus de places et notamment par l’image » Dans un premier temps, ces clichés peuvent être une façon de reprendre possession de leur corps de femme enceinte. « Probablement, il y a quelque chose de l’ordre de l’affirmation, y compris dans un état dans lequel le ventre n’est pas attendu », souligne Elsa Boulet, sociologue au centre Max Weber à l’université Lumière Lyon 2. La spécialiste a réalisé une étude sur la grossesse entre 2014 et 2017 et, ce qui en ressort, c’est la valorisation du corps enceinte. En parallèle, la sociologue relève l’existence d’une pression d’être belle et désirable d’après un regard masculin, auquel les femmes enceintes n’échappent pas. « La spécificité de la grossesse, c’est que le corps se transforme et qu’il devient temporairement “hors normes”, notamment par la grosseur du ventre qui d’habitude est plutôt socialement vu comme laide. Donc les femmes enceintes se retrouvent dans une situation d’incertitude : est-ce qu’elles vont être considérées comme belles car enceintes ou enlaidies par leur grossesse ? »
« On ne peut pas être une maman et une putain »
Au sein de notre société patriarcale, la femme enceinte demeure soumise à une double injonction : garder un corps esthétique et beau, sans tomber dans la vulgarité. « Il s’agit d’une dichotomie assez occidentale et judéo-chrétienne : on ne peut pas être une maman et une putain », complète Illana Weizman. La femme est priée de marcher sur un fil : elle doit faire attention à ne pas prendre trop de poids – pour que son physique ne soit pas trop transformé – « mais, elle ne doit plus être désirables aux yeux de plusieurs hommes, il y a vraiment ce truc de respectabilité. »
À l’exhibition du « baby bump », s’ajoutent les shootings photos – parfois en compagnie de leur conjoint – et les « gender reveal party » incroyables. On ne compte plus le nombre d’influenceuses ayant découvert le sexe de leur bébé, entourées de paillettes et de ballons gonflables correspondant aux couleurs clichées rattachées au genre (bleu pour les garçons et rose pour les filles).
« La maternité joue ce rôle de valider les femmes »
Dans le monde de la télé-réalité, il arrive que des influenceuses utilisent la médiatisation de leur grossesse comme un gage de sagesse. « Le passage à la parentalité marque le moment où l’on devient socialement des adultes. La maternité joue ce rôle de valider les femmes et c’est à double tranchant : ça apporte une reconnaissance, mais du coup est ce qu’on peut être reconnu en tant que femme, sans être mère ? », questionne Elsa Boulet. Étiquetée d’une image de « bimbo », Nabilla Vergara a gagné en maturité aux yeux des médias dès lors qu’elle a accouché de son fils Milann. Le 25 juin 2021, la jeune femme fait la couverture du magazine People Gala, son petit garçon dans les bras. En légende : « Mon fils Milann, c’est toute ma vie. »
Si leur mise en scène sur les réseaux sociaux semble une façon de contrôler leur corps, le risque est de rester emprisonnées dans une image de maternité idéale. « Ces représentations restent très normées avec des corps en bonne santé, minces et valides », affirme Elsa Boulet. Lors du shooting de Rihanna pour le magazine Vogue le 12 avril dernier, la ligne brune de la chanteuse qui s’étend du pubis jusqu’au sternum, a été photoshopée par souci d’esthétique. « Souvent, le ventre de la femme est très tendu, très lisse, on a l’impression qu’il faut rester dans certains clous esthétiques. D’ailleurs, les clichés montrant les réalités d’un corps post-partum – qui est perçu comme un corps qu’il faut retravailler – demeurent assez marginaux sur les réseaux sociaux », conclut Illana Weizman, craignant que cette tendance ne créée de « nouvelles injonctions ».