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Comment croquer le corps des femmes en 2020?

Zoom sur ces graphistes créatifs qui tentent de s'affranchir des clichés sexistes.

Par
Hélène Porret
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Comment dessiner le galbe d’une fesse, d’une hanche ou d’un sein en 2020 ? C’est une colle que je me suis posée après la polémique sur les pictogrammes* du sondage de l’Ifop sur les tenues des lycéennes, publié dans Marianne le 25 septembre dernier. En parcourant les résultats, j’ai tiqué sur ces images hyper-sexualisées de seins d’adolescentes. Une poitrine généreuse avec des tétons qui pointent pour expliquer ce qu’est un « no bra » (le fait de ne pas porter de soutien-gorge sous un haut), ou encore un buste dénudé sans col pour illustrer ce qu’est un décolleté plongeant. Curieux ce rapport texte-image. Aurait-on osé mouler les parties intimes d’un jeune homme pour juger de l’acceptabilité de son jean slim ? Sur Twitter, on se pose comme moi la question.

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En réponse, l’Ifop explique, dans un communiqué de presse, que les pictogrammes n’avaient pas été soumis aux interviewés, et étaient destinés à faciliter la lecture des résultats. Je lis « [qu’]ils figuraient déjà dans d’autres études relatives au rapport des Français au dévoilement des corps ». L’institut estime par ailleurs « regrettable qu’ils aient pu laisser penser à certains que [l’Ifop] ait, consciemment ou non, cherché à véhiculer des clichés sexistes ».

Sur le fil

Face à ce flop de l’Ifop, je me suis demandée à quels défis sont confrontés ceux qui imaginent des visuels mettant en scène le corps féminin. Dans la communication à destination du grand public, le sujet est « touchy », m’apprend-on.

« Je dois concilier les besoins d’un client, qui arrive avec une vision, et les valeurs de l’agence pour laquelle je travaille », m’explique Rebecca Wahle, directrice artistique chez Dragon Rouge, spécialisée dans le branding et le packaging. Entre attentes du commanditaire et liberté de création, le talent d’un graphiste s’apparente ici à celui d’un funambule. En permanence sur le fil.

« J’essaye de penser en terme de parité et de diversité notamment quand je réalise des pictogrammes. Je me demande : est-ce que mon dessin va heurter quelqu’un ? », note Clément, designer indépendant. Son coup de crayon est au service de marques et d’entreprises de plus en plus attentives aux évolutions de la société. Pas question d’être taxé de sexisme quand on affiche une femme sur son produit.

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Exit la pin-up

Le mouvement #MeToo est passé par là et les consommateurs ont changé. Aujourd’hui, le « women-washing » fait vendre. Traduction : le fait de mettre en avant un discours féministe. Réel engagement ou simple argument marketing, je m’interroge. Toujours est-il que de nouvelles physionomies s’affichent sur les visuels de marques comme H&M, Dove ou Nike. Et ça, ça fait du bien.

Exit la pin-up. On montre de manière décomplexée les rondeurs, les vergetures ou encore les poils sous les bras. « C’est génial de voir de plus en plus de formes et des représentations inclusives. C’est ce que je défends dans mon travail. Mais il y a encore du travail à faire chez certain.e.s qui restent dans des schémas idéalistes », nuance Flora, graphiste et illustratrice freelance.

https://www.instagram.com/p/B-XXY7wp7tH/

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Ceci est mon corps

Je referme la porte du monde de la pub pour aller voir du côté d’Instagram, où de plus en plus de graphistes et d’illustratrices se réapproprient une image longtemps modelée par le regard masculin. « J’aime dessiner des femmes de façon cocasse et marrante. J’essaye de me détacher de cette notion de beau que l’on voit partout », m’explique Yollema. D’autres jouent avec le thème de l’hyper-sexualisation. « Je ne pense pas que ça dessert la cause féministe. Au contraire, en tant que femme, je suis la mieux placée pour parler de ce sujet », raconte Pritney Bears.

Dans sa dernière série « Tee-shirt mouillés », qui aborde la sexualité lesbienne, elle s’autorise à s’accaparer les codes érotiques hétéro pour mieux les détourner, tout en veillant à ne pas tomber dans les écueils de la femme-objet. Un numéro d’équilibrisme même dans le monde de l’art.

https://www.instagram.com/p/BrgDlTRhm8Z/

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Éduquer l’Œil

En fouillant sur la toile, je découvre que certains hommes bousculent aussi les représentations. L’un d’eux esquisse des silhouettes de femmes nues, dans des poses plus sensuelles qu’érotiques. « J’essaye que ce soit subtil. C’est avant tout un hommage à la beauté du corps féminin. Il m’arrive aussi de dessiner des hommes », développe Nicolas Blanchard (le_barbu_art), qui colle quelques-unes de ses œuvres dans la rue.

https://www.instagram.com/p/CDwDtx-Cqs0/

De quoi lui valoir parfois des remarques, notamment sur une Marianne masquée avec un sein nu. « Pour moi, il n’y avait rien de graveleux. Ce qui pose problème aujourd’hui, c’est la perception que l’on a du nu, que l’on soit un homme ou une femme. »

À bon entendeur.

*Par définition, il ne s’agit pas d’une illustration mais bien d’une représentation graphique destinée à rendre explicite un message, compréhensible au premier coup d’œil.

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