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Clubhouse, de l’addiction à la raison

On fait le bilan, avec le pire et le meilleur des rooms.

Par
Ouissem
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Fan de nouvelles technologies et de médias, je ne pouvais passer à côté de Clubhouse. Accessible uniquement sur invitation et seulement sur iPhone, l’application est basée sur la voix. Le principe est simple : on crée ou on rejoint des salons de discussions (dites “rooms”) et on y débat de vive-voix de sujets divers et variés. Après presque 1 mois d’utilisation plus ou moins intensive, je vous fais un premier bilan.

Phase 1 : La découverte enchantée

D’habitude, sur un réseau social, on a du mal à prendre ses marques. En 2008, comme pas mal d’entre nous, j’avais posté n’importe quoi sur Facebook. En 2009, j’avais eu du mal à me mettre à Twitter. En 2010, je n’utilisais Instagram que pour ses jolis filtres. Mais avec Clubhouse, le coup de foudre est souvent immédiat. L’app est simple : on clique sur un sujet qui nous interpelle, on écoute les débats et on intervient si on a envie.

« Bonjour tout le monde, je suis nouvelle ici, je me suis inscrite hier. C’est normal que j’ai pu décrocher seulement à 3h30 du matin ? », se demande Rachida. Avec le couvre-feu, tout le monde est à la maison dès 18h, alors il est plutôt facile de passer des heures et des heures à participer à des discussions de groupe plutôt bienveillantes qui nous manquent tant. On est ainsi vite charmé par l’application et Rachida n’est pas la seule.

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Phase 2 : La lune de miel l’addiction

Souvent, cet enchantement se transforme vite en belle addiction. Il faut dire que le système de notification de Clubhouse n’aide pas puisque l’application nous envoie un message dès qu’un ami participe à une room. Alors, on rejoint la discussion en cours et c’est reparti pour des heures de débats en tous genres. « Je ne connais personne ici et je parle avec vous. C’est un kiff de good vines alors qu’on s’est tapé une année de merde. Puis ça me permet de me reconnecter avec mon pays, moi qui vit à l’étranger », témoigne Maxime sur une room.

« Laissez-nous kiffer, y’a beaucoup de déçus de Twitter », renchérit Youss. En effet, contrairement au réseau à l’oiseau bleu, on laisse les personnes s’exprimer posément, on s’écoute et la voix permet généralement d’avoir des débats plutôt apaisés, loin des punchlines en 280 caractères. « Quand on entend l’autre parler, y’a une humanisation qui se joue, beaucoup plus que sous forme de tweets », souligne l’auteur David Djaïz dans une room… qui parle justement de Clubhouse. Parce que le réseau n’a pas que des qualités.

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Phase 3 : La routine

Etant donné que l’application est nouvelle, accessible uniquement sur invitation et uniquement sur iOS, une forme de grand entre-soi s’est créé sur Clubhouse. On y croise souvent les mêmes personnes pour parler des mêmes sujets. Sur Clubhouse, on aime souvent parler de politique, d’entrepreneuriat et de médias. Il faut dire que les membres sont souvent de ces milieux. Comme aux débuts de Twitter, on voit beaucoup de journalistes, des publicistes et des membres de start-up comme Feed.

« Je suis effrayée de ce monde qui se regarde le nombril. On a un réseau en monogamie totale », s’inquiète Nelly. « C’est vrai qu’il y a une forme d’entre-soi qui est structurée par la cooptation », renchérit Arielle sur une room qui débat de la pertinence de Clubhouse. Mais petit à petit, à force de distribuer des invitations, le réseau a gagné un nouveau public qui s’intéresse de près au potentiel de l’app : des étudiants, des militants, des enseignants, des associations…

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Phase 4 : L’ouverture

À mesure que les jours passent, on trouve finalement ses marques sur Clubhouse. L’application gagne en intérêt avec l’ouverture de la plateforme à de nouvelles personnes. « En tant qu’étudiante, c’est incroyable comme réseau, j’ai pu rencontrer plein de monde. J’ai même participé à une room avec Xavier Niel. Sur LinkedIn, c’est difficile, c’est assez privé. Moi j’encourage les étudiants à y participer que ce soit pour les rencontres ou pour le savoir », souligne Imane.

De mon côté, j’ai pu participer à des rooms intéressantes qui mènent à des rencontres improbables. J’ai suivi la conférence de presse de Jean Castex avec des inconnus qui sont vite devenus comme des potes, j’ai pu parler de spiritualité avec le rappeur Sefyu, on a abordé la question de la diversité dans les médias avec la journaliste Aïda Touhiri ou encore discuté à 6h du matin de notre estime pour les enseignants avec un correspondant d’Europe 1 en Californie.

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Avec son ouverture, Clubhouse donne aussi lieu à des débats qui n’auraient jamais eu lieu dans nos bulles. Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, une room « Féministe, un gros mot ? » est ouverte. Nawel, la modératrice, distribue la parole à des féministes et des alliés qui racontent leur engagement. Et surtout du comportement des hommes qui doivent apprendre à rester à leur place lors de certains débats.

Un homme demande à avoir la parole, il se dit scandalisé par les propos tenus. « Je suis outré qu’on veuille interdire la parole aux hommes, la liberté d’expression est au-dessus de tout. Je ne suis pas d’accord et je suis là pour le dire », déblatère celui qui annonce qu’il n’est pas féministe et qu’il ne le sera jamais.

Très touchées par ses propos, plusieurs militantes vont alors le contredire pour expliquer qu’il ne s’agit pas d’interdire la parole aux hommes, mais plutôt de laisser la place à celle des femmes. « Tu as dit que tu n’es pas féministe et que tu ne le seras jamais. Mais tu as quand même décidé de rejoindre une room sur le sujet juste pour dire que tu n’es pas d’accord. Tu es l’incarnation même de la toxicité masculine », soulignera alors très justement une militante.

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Phase 5 : Le conflit

Prisée par les journalistes et les entrepreneurs, nouvelle plateforme vierge à conquérir, Clubhouse a attiré un public particulier : les politiques. Très rapidement, l’extrême-droite s’est saisie de l’application pour y prendre sa place. On a eu droit à une room avec Marion Maréchal-Le Pen comme invitée vedette, les membres de Génération Identitaire squattent généralement les salons tout comme de nombreux trolls fascistes qui se disent ouverts à la discussion en façade.

« À un moment, ils tenaient des propos absolument abjects sur les musulmans. Ils se sont dits ouverts à la discussion. J’ai voulu prendre la parole pour les contredire, mais le modérateur m’a exclue de la room », témoigne Hassina. « Les fachos ont signalé en masse mon compte », me confie un journaliste-militant qui a été exclu temporairement de l’app. De son côté, Hédi a essayé de débattre avec eux. Mais il a vite été pris au piège et a remis une pièce dans la machine à discriminations. « Je n’aurais pas dû, c’était la pire erreur à faire. »

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Hédi a tort. La pire erreur a été commise par Nathalie Goulet, sénatrice UDI de l’Orne. Suite aux propos d’Eric Zemmour sur CNews, elle a eu la magnifique idée de créer une room « Peut-on être Français et manger du couscous ? » avec l’influenceuse NikiShey sous couvert de second degré. Très vite, Damien Rieu du groupuscule dissout Génération Identitaire rejoint l’audience et la modération de la room – gérée par les participants – trouve intelligent de lui donner la parole afin de lui demander s’il mange du couscous. Des militants et des personnes racisées ont très justement fait remarquer que le sujet de la room n’est pas drôle et de toute façon, l’humour n’excuse pas de faire porter la voix de néo-nazis.

Phase 6 : L’équilibre

Après 10 jours d’utilisation, j’ai considérablement réduit mon utilisation de Clubhouse. J’ai réduit mes notifications au minimum et je n’ai plus le syndrome FOMO, cette peur de manquer une room intéressante. Je consomme “CH” comme je le fais avec la radio ou les podcasts : lorsque j’en ai l’envie, le temps et surtout sur des sujets qui m’intéressent. Et qui sait, bientôt, on organisera peut-être des rooms avec URBANIA France ?

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