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- — Je n’ai pas pu dormir cette nuit parce que ma fille avait de la fièvre, enfin tu sais ce que c’est toi
- — Bah nan, j’ai pas d’enfants
- — Ha bon ? Mais t’es mariée non ?
- — Oui mais je n’ai pas d’enfants
- — Ho t’inquiètes c’est pour bientôt
- — Ou pas.
Cet échange surréaliste m’est arrivé à 30 ans, quelques mois seulement après m’être mariée. Ce n’était pas un inconnu malveillant pourtant, mais une membre de ma troupe d’impro, une amie d’amie que je fréquentais au moins une fois par semaine depuis un an. Je savais que sa remarque était bien intentionnée. Après lui avoir dit que je ne voulais pas d’enfants, elle a compris et ne m’a pas jugée mais dans sa tête, mariée voulait tout simplement dire maman dans l’année.
Cette équation est d’ailleurs faite par 99.9% des personnes qui voient mon alliance, selon un sondage non-scientifique établi par moi-même auprès des centaines de personnes que j’ai croisées durant mon année et demie de mariage. Et si on m’avait prévenue que le mariage faisait prendre des kilos, personne ne m’avait avertie qu’il faisait aussi prendre une énorme pression de la société. Dès le lendemain de mon mariage, on a commencé à me dire que je serai bientôt enceinte. On ne me pose plus la question, on m’ordonne presque d’enfanter, là, tout de suite, maintenant. On ne me demande pas mon avis, on ne me propose pas un choix, on m’impose un diktat. On suppose que forcément je vais avoir un enfant car le contraire est impossible. À l’idée d’une femme qui ne veut pas d’enfant, il y a une erreur 404 qui s’affiche dans leur tête. « Parce que cela va de soi ».
Depuis que je suis petite, j’ai cette envie profonde et irrépressible de ne pas être maman. C’est comme ça, c’est plus fort que moi, je ne pourrais l’expliquer.
La société, ce n’est pas une masse indigente d’anonymes qui n’auraient rien compris, la société c’est vous, c’est moi, c’est ma grand-mère. Celle qui me dit qu’un jour je recevrai un mystérieux appel du ventre. C’est une collègue qui me raconte ses galères avec son fils avant d’ajouter que l’année prochaine ce sera moi. C’est ma cheffe qui m’explique comment m’organiser pour mon congé mat’. C’est ce copain qui trouvant que j’ai grossi et que j’ai l’air fatiguée en ce moment, s’étonne que ce ne soit pas les signes d’une grossesse. C’est mon médecin qui ne me prescrit pas tel médicament car je compte tomber enceinte prochainement. C’est moi-même qui m’oblige à boire de l’alcool à toutes les soirées pour ne pas subir de réflexions. C’est encore moi-même qui enlève mon alliance avant un entretien d’embauche par peur que cela joue en ma défaveur. Ce sont toutes ces connaissances qui me demandent comment vont mes enfants. Sans parler bien sûr de toutes ces personnes qui me disent quotidiennement : « Ah tu n’as pas ENCORE d’enfants, c’est pour bientôt alors. »
Et puis un jour, j’ai enfin rencontré celui avec qui j’allais enfin ne pas fonder de famille.
Ou pas. Depuis que je suis petite, j’ai cette envie profonde et irrépressible de ne pas être maman. C’est comme ça, c’est plus fort que moi, je ne pourrais l’expliquer. Bien sûr, je pourrais vous donner tous les arguments les plus rationnels du monde, le fait est que c’est inscrit dans mes tripes: j’ai toujours rêvé de ne pas voir mon ventre s’arrondir. Et à chacune de mes relations, il y avait cette petite voix qui se demandait si ce mec pouvait être le non-père de mon futur sans enfants. Et puis un jour, j’ai enfin rencontré celui avec qui j’allais enfin ne pas fonder de famille.
Celui à qui on demande rarement : « Alors c’est pour quand les enfants ? » Alors que lui aussi, c’est un trentenaire qui vient de se marier. « C’est vrai que ma famille commence à se poser des questions mais ils n’osent pas trop m’en parler, ils se disent que ça viendra bientôt. Ils me font quelques réflexions mais sans plus. La plupart de mes collègues ont des enfants, alors on en parle tout le temps à la pause déj. Quand ils ont su que je m’étais marié récemment, ils ont supposé que c’était la prochaine étape. Quand je leur ai dit que ce n’était pas dans nos plans, ils m’ont juste dit qu’ils nous comprenaient. C’est tout. Je suis choqué quand j’entends toutes les réflexions que tu te prends en pleine face. C’est vrai ça, moi aussi, j’aimerais qu’on me mette la pression sur les enfants ! », me raconte Gaël, mon mari.
Un conseil: arrêtez de demander aux gens s’ils veulent des enfants ou le fameux, « c’est pour quand ? ». Parce que soit la personne n’en veut pas et elle se retrouve obligée de se justifier pour la millième fois (au passage, personne ne demande aux parents pourquoi ils veulent des enfants, autre sujet); soit la personne en veut et cette question est tout aussi blessante.
Bérengère, une amie de longue date, a toujours rêvé d’être maman. Nous sommes toutes les deux trentenaires et nous nous sommes mariées la même année. Alors que nous discutions de ce sujet, elle m’a dit que cette question la blessait tout autant et qu’elle aussi s’obligeait à boire même quand elle n’en avait pas envie, juste pour qu’on lui foute la paix. « Oui je veux des enfants et tout le monde le sait autour de moi. Sauf que j’en ai marre que les gens se mêlent de mon utérus. Ça ne regarde personne d’autre que moi. Parce que cette question me rappelle constamment que j’ai bientôt 35 ans, que j’ai peur de ne pas pouvoir tomber enceinte, que je ne peux pas répondre à cette question et que je me mets assez de pression moi-même sans avoir besoin qu’on m’en rajoute. Et puis, tu veux que je leurs réponde quoi ? Ah bah oui tiens, heureusement que tu me poses cette question: JE N’Y AVAIS PAS PENSÉ. » Depuis cette conversation, Bérengère est l’heureuse maman d’une petite fille, et maintenant on lui demande constamment : « Alors le deuxième, c’est pour quand? ». Parce que la pression ne s’arrête jamais. Non jamais. Même quand on entre dans la normalité établie par notre interlocuteur.
Au fond, je ne lui en veux pas vraiment à cet interlocuteur. Car effectivement, le mariage a été créé pour donner un cadre légal à la descendance d’un couple, c’est bien pour cela que l’on vous délivre un livret de famille à la fin de la cérémonie. Et force est de constater qu’autour de moi, la grande majorité des couples qui se marient ont un enfant dans l’année, même ceux qui en avaient déjà. Et aussi parce qu’en 2020 on suppose ENCORE que tout le monde veut avoir des enfants, sous peine d’être anormale, surtout quand on est une femme.
Demandez-lui plutôt comment elle va, quels sont ses projets. Cela évitera de remuer le couteau dans la plaie du patriarcat.
Mais s’il vous plait, arrêtez de poser cette question fatidique à une femme. Parce que même si elle en veut, vous êtes peut-être en train de lui rappeler qu’elle n’arrive pas en avoir. Comme c’est le cas de Marjorie*. « J’ai arrêté la pilule juste après mon mariage, je pensais tomber rapidement enceinte. Mais 3 ans après, j’étais toujours aussi infertile. Cette question permanente, c’était juste un rappel quotidien de mon impuissance. »
Arrêtez de demander parce que peut-être que cette femme est incapable de répondre à cette question, comme Pauline*. « Le jour même de mon mariage, tout le monde me disait que la prochaine étape c’était les enfants et voulait savoir quand on allait s’y mettre. Sauf que non, je veux d’autres étapes avant. Et puis, je ne sais pas si j’en veux vraiment, en fait. Bien sûr que je me pose cette question, vu qu’on me la pose constamment, je suis bien obligée d’y penser. Mais j’aimerais juste qu’on me laisse tranquille parce que je n’ai pas encore répondu à mes propres questionnements. »
Ou encore comme Samara* : « Comme je suis homo, en plus de me demander si j’en veux, je dois me demander comment y arriver. J’ai pas envie d’ajouter les questions des autres à toutes celles qui se bousculent déjà dans ma tête. »
Ou parce que cette femme en veut mais pas maintenant, un jour sûrement, mais elle ne sait pas quand, comme Maëlle, Marie ou Justine et comme beaucoup de femmes autour de vous. « Oui je viens de me marier mais je veux concrétiser d’autres projets avant d’avoir des enfants. »
Alors la prochaine fois que vous rencontrez une femme qui a la vingtaine, la trentaine ou n’importe quel âge, qui a une alliance ou pas, qui est en couple ou pas: demandez-lui plutôt comment elle va, quels sont ses projets. Cela évitera de remuer le couteau dans la plaie du patriarcat.
* Les prénoms ont été changés.