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Je suis tombé, sûrement comme vous, sur ce post il y a quelques jours.
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J’aurais pu commenter, liker, partager, afficher mon soutien publiquement sur les réseaux. Mais j’ai tiqué dès la première phrase. « 5 racailles colorées détestant notre culture nationale française. » Je me suis perdu dans les milliers de commentaires, écœurants, haineux, racistes, dont je vous passerai les détails. J’ai fait un tour sur le groupe « Justice pour Augustin » qui compte déjà plus de 10 000 abonné.e.s, j’ai remarqué cette belle flopée de comptes suspects, aux photos de profils sans visage, aux feeds sans historique et sans ami. Ces comptes qui affirment être des cousin.e.s, tantes ou membres éloigné.e.s de la famille d’Augustin. Tous ces profils qui rêvent d’une France « libérée de la racaille ». J’ai cherché celui d’Augustin, lui aussi exempté d’historique, avec une photo de profil mise à jour lundi matin à 9h (alors qu’il était à l’hôpital) et dont le compte a été supprimé quelques heures plus tard. J’y suis allé de ma petite enquête personnelle, et tout cela m’a assez naturellement ramené au Ernotte Gate, cette histoire de faux témoignage orchestré par le FN il y a un an.
On a souhaité en discuter avec un expert sur le sujet, Serge Barbet, directeur délégué chez le Clémi (Centre pour l’Education aux Médias et à l’Information). D’emblée, il nous a avoué avoir été particulièrement saisi par le fait que tout a été déclenché à partir du simple témoignage du frère d’Augustin, sur Facebook. De son côté, il a évidemment effectué le même travail d’enquête qu’à la rédaction d’URBANIA.
« Je suis allé voir les comptes, j’ai constaté, comme vous, que ces comptes avaient été créés récemment, j’ai remarqué la tante, la cousine et la famille nombreuse d’Augustin. Et puis j’ai été agacé, encore une fois, par l’emballement qui s’est produit autour de ce fait divers. »
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Quand on lui parle du compte Facebook d’Augustin, supprimé dans la foulée, Serge Barbet n’est absolument pas surpris. « Parce que sur ces réseaux sociaux, à partir du moment où l’on a un profil actif, nous délivrons un nombre conséquent d’informations. Quand ce genre de fait divers se produit, cela donne de la matière à l’enquête, pour rechercher des affinités ou idées politiques, par exemple. Et ce que je regrette, comme vous l’avez mentionné, c’est que dans le post du frère, il y avait un champ lexical caractéristique de l’extrême droite. Pourtant, ça n’a pas interpellé beaucoup de médias locaux ni de responsables politiques locaux ou d’acteurs associatifs. Ils se sont plutôt emparés de cette situation, du cas tel qu’il était décrit sans mettre à distance ce post, sans le décrypter et sans en analyser les termes. »
Rien de bien nouveau du côté de l’extrême droite: des faux témoignages, des fausses photos, de supposés auteurs d’infractions et de crimes. « On l’a déjà vécu, ça fait longtemps qu’on vit ce phénomène. Je tiens à rappeler, à titre d’exemple, que dans une affaire assez récente, celle du chauffeur de bus agressé à Bayonne le 5 juillet dernier, une polémique avait éclaté puisque la présidente du rassemblement national, elle-même, avait diffusé la photo d’un innocent en le désignant comme le présumé coupable d’une agression. Derrière tout cela, n’oublions pas qu’il y a mort d’homme. Alors évidemment, elle a ensuite expliqué que c’était une conclusion hâtive, elle s’en est excusée, mais le mal était fait. Cette photo a été diffusée à l’infini dans la fachosphère. »
On pourrait aussi rappeler l’affaire Papy Voise, en 2002, 2 jours avant les élections présidentielles qui avaient vu accéder Jean-Marie Le Pen au deuxième tour. Papy Voise, ce grand-père qui avait été passé a tabac, son cabanon incendié. « Il y avait eu un emballement médiatique pendant 48h avec des dizaines, voire centaines, de reportages qui tournaient en boucle à la télévision pour parler d’un pays qui sombrait dans la barbarie la plus tragique. » Des journalistes ont fait ce travail d’enquête et d’investigation, un livre est sorti… « Rien n’était établi, on n’a pas réussi à remonter le fil, on a surtout fouillé dans le passé de cette victime pour montrer qu’il y avait beaucoup d’éléments contredits dans son témoignage. Ce phénomène, on le connait, et il va se reproduire dans les mois qui viennent. Plus on va avancer dans le contexte électoral, plus il y aura des tentatives d’instrumentalisation de faits divers dans un contexte de fragilisation de la société. Des populations fragilisées dans leurs fondements sont prêtes à s’emballer parce qu’elles sont désœuvrées, parce qu’elles sont inquiètes. »
Nous ne sommes donc plus totalement dans ce registre de la « société du spectacle » mais bien dans celui de « l’émotion, de la victimisation ».
Des pratiques qui interrogent grandement sur l’éthique, la déontologie, la responsabilité de chacun.e. « Des pratiques d’immédiateté et de réaction à chaud qui jouent sur les précautions, puisque ces personnes là ont bien compris le fonctionnement des réseaux sociaux. Bien compris que l’ampleur de la diffusion, la viralité d’un contenu d’information dépendait de l’émotion que ce contenu pouvait susciter. » Nous ne sommes donc plus totalement dans ce registre de la « société du spectacle » mais bien dans celui de « l’émotion, de la victimisation ». Sauf que derrière ces émotions, ces conclusions hâtives, on en oublie les fondamentaux : à savoir, la vérification des faits.
Impossible non plus d’aborder le sujet sans se pencher sur le cas des Etats-Unis. On se retrouve face à des plateformes numériques, des réseaux sociaux comme Facebook qui montrent leur « incapacité à combattre les fake news, mais également à dissoudre des communautés qui se retrouvent sur ces réseaux autour de motivations particulièrement dangereuses. On doit engager la responsabilité des plateformes numériques d’une façon beaucoup plus forte. » On pense aussi à Whatsapp qui a joué un rôle énorme dans la campagne de Bolsonaro, au Brésil.
N’oublions pas que dans le cadre de l’affaire Augustin, il y a eu agression, c’est indéniable. « A partir du moment où un coup est porté. » Mais là, c’est dans la nuance qu’il faut aller « pour montrer que ce n’était pas un lynchage en bande organisée qui était orchestré, tel qu’il a été décrit et rapporté au départ, mais bel et bien une rixe avec un coup de poing cédé à un jeune homme, dans des conditions et des circonstances que l’enquête se doit encore de prouver. » On a quand même eu, dans l’intervalle des émissions de télévision sur CNEWS par exemple, où le propos n’était absolument pas informatif puisqu’on veut offrir « un spectacle qui effraie la population et qui peut capter l’attention des publics sur la base des peurs et des émotions. » Nous sommes alors non pas dans une approche rationnelle de l’information mais bien dans un « commentaire passionnel de l’actualité à des fins partisanes. »
Ce n’est pas anodin si l’emballement fut tel dans le paysage lyonnais. Lyon a un passé particulier, avec l’affaire Marin, « encore dans l’esprit de tous : affaire qui a traumatisé l’opinion publique lyonnaise ». Mais aussi celle d’Axelle où, là aussi, on l’a bien vu , « il y a eu une tentative de récupération par l’extrême droite sur les réseaux pour alimenter un climat de haine ». Tout cela s’est fait au mépris des règles élémentaires de l’enquête et au profit d’une tentative de récupération de cette tragédie par l’extrême droite.
« C’est le rôle du CSA, de rappeler à leurs obligations les médias qui diffusent de fausses infos »
Deux conseils afin de ne pas tomber dans ce genre de piège, puisqu’il s’agit bel et bien d’un piège: vérifier les sources, croiser les sources. La difficulté c’est qu’il y a, au sein même de la classe médiatique, des pratiques qui peuvent être dangereuses. On pense aux chaînes d’information en continu où l’information est donnée dans l’immédiateté et prend souvent le relais des réseaux sociaux. « Ces chaînes ont une responsabilité très grande puisque parfois, par manque de rigueur et de déontologie journalistique, on se permet de diffuser des informations approximatives. Or, cela a des conséquences dramatiques puisque certaines personnes, à partir du moment où cela passe à la télévision, sont convaincus. » Il y a un travail à faire au sein des rédactions et un rappel à l’ordre quand nécessaire. « C’est le rôle du CSA, de rappeler à leurs obligations les médias qui diffusent de fausses infos ou dépassent le cadre de l’info, pour faire des commentaires. »
« Il est crucial de se forger une véritable culture numérique, pour les nouvelles générations mais aussi pour les générations adultes susceptibles de diffuser des fausses informations et de tomber dans les pièges de l’internet. » La mise à distance des contenus d’information est cruciale. Des groupes de journalistes, à l’international travaillent dans des entreprises de fast checking. Il faut mentionner qu’il y a un progrès considérable qui a été fait. La campagne américaine de 2016 a servi d’exemple pour la présidentielle française en 2017, lors du débat final entre les deux candidats: on pouvait démentir, quasiment en direct, les informations qui étaient diffusées par la fachosphère sur les réseaux sociaux. » Il n’y a pas que le mal qui progresse mais restons vigilants.