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À la télé, ils font tous du (faux) Pernaut

Tous les jours, c'est l'hymne de nos campagnes. Et c'en est trop.

Par
Stéphane Moret
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Délocalisation enclenchée. Depuis quelques mois, impossible de regarder un journal télévisé ou une émission sans qu’il n’y soit présenté un volet « Nos régions ont du talent ». Comble du ringard pendant plusieurs années, les régions et ce qui s’y passe sont devenues tendance, au point que tous les groupes médias se jettent sur le moindre village ou agriculteur, comme des vampires assoiffés de sang. Voilà comment on en est arrivés là.

Dans les années 70, FR3 a été créée pour mettre en avant les régions. D’ailleurs c’est marqué dans son nom : France Régions 3. L’idée : proposer des décrochages régionaux de journaux ou d’émissions, pour qu’on arrête de parler uniquement de « Paris et les cons de parisiens » à la télé, et sortir un peu de cette communication étatique. Mais comme les moyens techniques sont souvent plus faibles que les antennes nationales, le rendu est un peu moins « professionnel ». Et puis, il n’existe pas forcément une actualité folle dans chaque région chaque jour, ce qui fait que les JT vont s’intéresser un peu plus à des portraits ruraux, des événements légers : bref, tout ce qui fait le succès des quotidiens régionaux. Il n’en fallait pas plus pour que tout cela dégage une image désuette, et il est alors de bon ton de se moquer de cette chaîne. Jusqu’à ce qu’à la fin de années 80, un journaliste de TF1 devienne le Don Corleone de la région, dépositaire du genre pour des décennies à venir : Jean-Pierre Pernaut.

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Il va réinventer le genre du 13h, en plaçant des journalistes dans chaque région, pour remonter le pouls de « La France Profonde », avec des micro-trottoirs, des visites de marchés, des portraits d’artisans ou des traditionalismes régionaux oubliés, aussi bien culturels que gastronomiques. Résultat : 50 à 60% de parts de marché chaque midi, ce qui va commencer à aiguiser l’appétit des concurrents et des journaux du soir. Un pont qui cède pendant une inondation ? JPP est premier sur l’info. Il faut expliquer pourquoi une région vote plutôt à droite, à gauche, ou ailleurs ? Regardez les reportages de JPP, tout était déjà dit dedans. Un côté « Touche pas à ma France » qui sera caricaturé, moqué, encore une fois, aussi bien dans « Les Guignols » que dans d’autres émissions. Paris et son intelligentsia aiment à se moquer des ruraux, avec un sentiment de supériorité. Tous ceux-là semblent oublier qu’ils viennent très souvent eux-mêmes de province, et si ce n’est eux, c’est donc leur père ou leur mère.

Et puis fin 2020, était annoncé l’inimaginable : Don Pernaut quittait son siège de présentateur du JT de 13h. Tous les Consigliere se voyaient déjà reprendre la tête du Capo. Et surtout, le confinement ayant eu lieu, l’envie des Français de voir des reportages sur des choses plus proches d’eux n’avait jamais été aussi forte. Ainsi, Marie-Sophie Lacarrau a gardé la même ligne que JPP pour son journal, depuis qu’elle l’a repris en main. Julian Bugier, pourtant avec une image de fils de bonne famille parisienne, et à l’image plutôt « 20 heures » jusque-là, récupère les clés du 13h de France 2, et va y aller sans vergogne sur le même chemin, multipliant les « Votre 13 heures », « Vos idées pour la France », « Nos régions ». Bref, on n’est pas loin de Poujade, et on a envie de dire à Julian derrière notre écran : « Tu en fais un peu trop ».

Entre deux bulletins météo, ils diffusent des reportages dignes de la plus grande époque Pernautienne : le fabriquant de sabots, l’éleveuse de fleurs, le fabricant de tuiles en pierres, le tout basé en régions.

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D’autant plus qu’au même moment, sur France 3, il y a une autre offre du genre : « Météo à la Carte », présenté par Laurent Romejko et Marine Vignes. Entre deux bulletins météo, ils diffusent des reportages dignes de la plus grande époque Pernautienne : le fabriquant de sabots, l’éleveuse de fleurs, le fabricant de tuiles en pierres, le tout basé en régions. Très honnêtement, c’est la meilleure émission des 3, car totalement déconnectée de l’actualité. Et donc, pas de sujet superflu. Et si vraiment vous étiez en manque, vous pouvez faire un tour sur le 12:45 d’M6, qui propose aussi ses sujets régionaux. En fait, depuis que Jean-Pierre a laissé son trône, et même avant, les régions sont partout, commençant à être traitées partout de la même façon, frôlant la caricature.

Jean-Pierre Pernaut n’a pas encore dit son dernier mot : il a lancé un site Internet reprenant tous les sujets « locaux » du 13 heures. Increvable, on vous dit.

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Dernière idée des groupes audiovisuels : investir dans les chaînes locales, comme BFM, qui a ouvert (ou racheté) une dizaine de chaînes locales, pour tenter de damer le pion à un autre groupe qui avait le vent en poupe, Vià, avec des chaînes en Occitanie ou GrandParis, mais qui a depuis été dissout. L’objectif derrière tout cela : vendre des publicités locales, et ciblées. La même idée que les radios et leurs décrochages locaux. Pour les chaînes nationales, l’idée est d’attirer des annonceurs moins urbains, et chérir la cible des seniors, traditionnellement devant leur télé à cette heure. Les chaînes trouvent également un intérêt éditorial : avoir des sujets « en réserve » et qui plaisent à tous, les jours où l’actualité nationale ou internationale est moins forte.

Bref, si vous frôliez l’overdose, mieux vaut éteindre vos télévisions, parce que c’est parti pour durer. D’autant que Jean-Pierre Pernaut n’a pas encore dit son dernier mot : il a lancé un site Internet reprenant tous les sujets « locaux » du 13 heures. Increvable, on vous dit.

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