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Pour sa première mixtape solo, Pierre III n’a pas voulu perdre de temps. Réalisé pendant le confinement, en parallèle de sa vie de famille, il a cherché à s’affranchir des règles et des contraintes. Sortie en juillet, « Cluster » est un voyage instrumental dans un univers construit de toute pièce par celui qui a officié près de 10 ans au sein du duo Housse de Racket. Si vous ne le connaissez pas encore, c’est normal: vous êtes au bon endroit. Rencontre.
Artistiquement parlant, comment te décrirais-tu ?
C’est compliqué. C’est toujours très compliqué de parler de sa propre musique et de qualifier son art. Grâce à mon groupe précédent, Housse de Racket, j’ai un background pop: c’est un gros chapitre de ce que je fais, de ce que je sais faire. C’est vrai qu’avec cette dernière mixtape (« Cluster »), j’ai un peu moins écrit de texte, j’ai un peu moins chanté. Ça m’a ouvert d’autres horizons : avec des instrumentaux, on peut dire parfois plus de choses qu’avec du texte. Alors comment définir mon univers ? Tout fonctionne un peu au feeling. C’est assez cinématographique aussi, je crois. Cette mixtape, c’est un voyage musical. C’est de la musique à écouter en voiture, en regardant les paysages défiler.
Elle est assez différente de ce que t’as pu faire par le passé. Comment expliques-tu cela ?
C’est une démarche totalement spontanée, ça n’a pas du tout été réfléchi. Comme tout le monde, j’ai été « coincé chez moi », et je me suis dit qu’il fallait mettre ce temps à profit. Je sais que ça a été dur pour beaucoup d’artistes parce qu’il y avait une sorte de pression à la productivité. On s’est dit: « Il faut faire quelque chose de ce temps, il faut l’utiliser ». Moi qui suis d’habitude quelqu’un d’assez lent à me mettre en route et à faire les choses, je me suis dit que c’était l’occasion de finir quelque chose dans un temps imparti. Le but de cette démarche était de faire quelque chose de pas du tout réfléchi, de spontané, de la musique pour me faire plaisir. C’est un patchwork qui grouille d’idées, c’est une démarche très pure. Le fait de devoir finir en un temps imparti a vraiment été le moteur principal, donc le résultat est très différent de ce que j’ai pu faire avant. Ça faisait longtemps que je voulais faire un morceau de 20-25 minutes, quelque chose d’un peu fleuve. Il a ensuite été découpé en plusieurs parties mais pour moi, c’est un seul et même morceau.
Tu as commencé à réaliser cette mixtape pendant le confinement. A quel moment as-tu eu envie de réaliser cet album ?
J’ai deux enfants maintenant, et un confinement avec des enfants, c’est compliqué: le temps libre est très restreint. Donc j’arrivais à m’octroyer une heure de temps à autre pour travailler là-dessus. C’était sans précédent ce qu’on était en train de vivre alors je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse quelque chose, que j’essaye d’exploiter ce sentiment de repli sur soi. Je m’en suis servi de manière positive, en produisant beaucoup de musique. Le mot « Cluster » colle avec l’actualité mais ça fait des années que je l’utilise, c’est un terme musical. J’ai toujours aimé cette double lecture, lorsqu’un terme musical passe dans le langage courant. Un cluster, c’est une grappe, un agglutinement. Comme c’est plein de petits morceaux de démos, je trouvais que ça collait et ça m’a inspiré.
Comment ton expérience dans la musique t’a aidé à réaliser cette mixtape ?
J’ai essayé de désacraliser le fait de sortir de la musique. Aujourd’hui, c’est très simple de sortir ce que tu veux et de le mettre sur les plateformes. Mon expérience, c’est aussi de ne pas attendre un label. Si j’avais voulu faire ça avec un label, le truc serait sorti dans 6 mois, 1 an ou jamais. Le but était aussi de coller le plus à l’époque, à l’actualité et à ce que l’on était en train de vivre. A la fin du confinement, il fallait que je sorte ce truc. Voilà, mon expérience m’a aussi permis de ne pas réfléchir, d’aller le plus vite possible. C’est moi qui ai produit et mixé. Le but était vraiment d’aller vite. Certaines choses auraient pu certainement être plus aboutie, mais ce n’est pas grave. Alors qu’avec Housse de Racket par exemple, on pouvait passer un ou deux ans sur dix chansons parce qu’on fignolait à l’infini. Là, je voulais vraiment faire l’opposé de ça.
As-tu une méthode particulière pour composer tes morceaux ?
Ça peut partir d’un morceau que j’écoute et je me dis: « Tiens, j’aimerais bien faire un morceau dans cette veine-là ». Je peux m’acheter du nouveau matériel, une nouvelle boîte à rythme, et d’un coup il y a un rythme, un beat qui va m’inspirer. Je peux aussi prendre ma guitare et trouver une suite d’accords cool. Ou alors, je suis sur Ableton, je boucle ou je sample des choses. Je n’ai pas de méthode particulière, tant que le flow ou que la musique arrive, j’y vais. J’ai un peu tout le temps des bouts de textes qui traînent et, en fonction du morceau que je suis en train de faire, j’essaie de voir quels bouts de texte pourraient coller au climat du morceau. C’est un puzzle géant.
Est-ce que tu peux nous parler de l’illustration de cette mixtape ?
J’ai travaillé avec le graphiste Valerian 7000. On avait déjà travaillé ensemble pour le clip du morceau « Touché ». Pour l’occasion, on s’était donné rendez-vous près du bassin de la Villette, où on avait pris un café pour parler du clip qu’on voulait faire. En face de nous, il y avait un cygne et je lui ai dit: « Faisons un logo avec un cygne ». C’est un animal très graphique, très mystérieux parce qu’il a la réputation d’être un animal très méchant, ça me plaisait.
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C’est marrant parce que lorsque j’ai fait écouter la mixtape à Valerian, il m’a dit: « Ça me fait penser à quelque chose entre (Stanley) Kubrick et les Kings ». Alors je ne suis pas spécialiste des Kings, mais j’étais en train de finir la biographie de Kubrick à ce moment-là. J’ai un peu regardé des films des Stanley Kubrick, et je sais que le générique de fin de « Orange Mécanique », c’est des gros aplats de couleur rouge, avec des typographies blanches dessus. Donc je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose un peu comme ça, de très simple, de très rétinien.
Un dernier mot ?
Si vous avez l’occasion d’écouter « Cluster », il faut vraiment l’écouter en entier. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour le faire mais ça a été extrêmement bénéfique. A l’inverse, je pense qu’il faut prendre le temps pour l’écouter. A la base, je voulais vraiment sortir un morceau de 20 minutes. C’est un peu l’antithèse des singles, des playlists Spotify et du zapping. C’est vraiment un voyage, comme lorsqu’on regarde un film. Ça dure 20 minutes, c’est long. Mais en même temps, on est tous capables de regarder un épisode de Game Of Thrones pendant cinquante minutes. Et surtout, si ça vous plaît, il faut en parler à tous vos potes, et l’écouter encore et encore. Je réfléchis déjà à la suite, une prochaine mixtape peut-être cet automne… mais je pars de zéro là.