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Cassie Raptor vient de sortir son premier EP, puissant et politiquement engagé qui prend aux tripes. : 1984 sous WARRIORECORDS. Un label engagé et inclusif, fondé par l’illustre Rebeka Warrior – qu’on ne présente plus mais qu’on ne se lasse pas d’interviewer, comme ici pour la sortie de son Monument Ordinaire avec Mansfield.TYA. La maison Warrior, c’est le genre de famille protectrice qu’on se choisit et qui permet de s’exprimer librement artistiquement. C’est en tout cas la famille choisie par Cassie Raptor, figure montante de l’électro féminin. Une fois qu’on l’écoute, on a furieusement envie de danser. Si vous ne la connaissez pas encore : vous êtes au bon endroit.
Tu as sorti ton premier EP vendredi dernier : bravo et merci, il est vraiment super bon. Est-ce que tu peux nous parler un peu de sa conception ?
Merci, c’est mon tout premier en plus ! J’ai commencé à produire il y a 2 ans seulement. Entre le tâtonnement, la découverte et cet EP, j’avais envie de développer ma musique, de pouvoir raconter quelque chose. Je ne savais pas trop où ça allait me mener niveau sonorités mais par contre je voulais qu’il soit politique. Je suis quelqu’un d’assez engagée mais je ne prends pas forcément la parole. Les mots ne sont pas mon medium. À travers la musique, je voulais exprimer ce côté-là. Je suis loin d’être insensible à tout ce qui se passe actuellement. Et pour moi, la techno et le dancefloor sont politiques.
Je suis aussi très fan de romans d’anticipation. Quand j’étais petite, mon père m’a fait découvrir plein de choses qui n’étaient pas vraiment de mon âge (rires) ! Mais je me suis interrogée, très jeune, sur les messages qu’il y avait derrière. 1984, le titre de l’EP, je voulais que ça parle à tout le monde. Mais la techno n’est pas, au premier abord, le genre musical où on s’attend à écouter une histoire. Je voulais donc interpeler avec ce titre qui évoque le livre éponyme de George Orwell, pour que ça mette la puce à l’oreille. Et puis au niveau des tracks, on a 1984, Interdiction de danser et O.B.I.C.
Comment tu t’y prends niveau inspiration ?
Pour le côté musical, par rapport à d’autres artistes qui ont une vision assez claire de leur production, j’ai une approche beaucoup plus instinctive. J’adore, pendant mes sessions avec mes machines, jamer chez moi tranquille en mode impro totale. Et au moment où il se passe un truc, j’enregistre pour me faire une banque de sons que je vais réutiliser plus tard. Je marche vraiment au feeling. Pareil quand je suis dehors, ou sur des chantiers quand j’enregistre des sons de machines (qu’on retrouve d’ailleurs dans l’EP.) J’essaie de mélanger tous ces sons que j’ai capturés et quand il se passe “un truc intéressant”, je compose.
Penses-tu que la dystopie de 1984 nous a rattrapés ?
Bien sûr. Pour moi, on est complètement rattrapés par la dystopie. Ça fait un moment que ça nous pend au nez mais là on est en plein dedans. Moi, je suis révoltée tous les jours des décisions politiques et du manque de bon sens. Je m’interroge vraiment. Je ne suis pas du tout contre prendre des mesures qui sont pour la santé des gens, évidemment. Hier encore, j’étais collée dans le métro et à côté de ça, tu vois des armées de keufs sur les quais pour virer les gens parce qu’ils sont assis par petits groupes à prendre l’air.
Moi déjà je me fais arrêter par mon physique parce que j’ai une tête de teufeuse et que les keufs cherchent toujours de la drogue sur moi. Bref, je sens qu’il y a une véritable chasse aux sorcières vis-à-vis du milieu de la teuf. On est tous super stressé.e.s. Personne n’ose organiser quoique ce soit parce qu’ils sont hyper violents. En Suisse et en Allemagne, c’est pareil, les gens se font véritablement tapés dessus. Il n’y a pas de dialogue, ils rentrent et ils tapent direct. J’ai d’ailleurs fait un morceau qui s’appelle Kick or Talk. J’ai repris le discours de Darmanin, où il parlait de la rave party du 31 décembre en Bretagne. Ça me tenait à cœur de rebondir sur l’actualité. Je voulais parler de cette dérive qu’on n’aurait pas pu imaginer. Là, le politicien est hyper fier de dire qu’il a incarcéré des gens, que certains vont aller en taule et qu’il n’y avait que des délinquants. On est traité.e.s comme des criminels aujourd’hui et c’est hyper grave pour la culture.
Nous, on est marginalisé.e.s et montré.e.s du doigt comme les grands méchants. Je ne sais pas ce qu’on peut faire. J’en discute avec pleins de collectifs qui parlent avec des politiciens mais il ne se passe rien. Moi je rêverais de faire comme dans le film Mars Attacks! : une attaque sonore avec des fréquences légales et inoffensives. Des ultrasons par exemple pour immobiliser et ensuite permettre l’écoute parce qu’on ne nous écoute tout simplement pas. La révolution par le son !
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Tu as signé ton EP sous le lalel de Rebeka Warrior, WARRIORECORDS. Peux-tu nous parler de cette rencontre avec « Maman » ?
C’est arrivé presque par magie. Je suis fan de Rebeka depuis que je suis ado, je l’écoutais et j’allais la voir en concert. Elle m’a aidée assez jeune à développer cette dimension militante aussi. Elle a été une très grande source d’inspiration pour moi. J’ai même fait partie du collectif Barbi(e)turix où on retrouve cette dimension militante et inclusive que j’ai cherchée très jeune parce que j’ai connu des expériences d’exclusion et de violence vis-à-vis de mon orientation. Et quand je suis arrivée à Paris à 18 ans, j’ai eu besoin de me rapprocher de ça.
C’est grâce au collectif que j’ai pu me rapprocher de Rebeka Warrior, à force de la croiser en soirées mais je n’ai jamais osé lui parler. Et puis un jour, il y a un peu plus de deux ans, j’ai vécu plusieurs remises en question personnelles. C’était aussi le moment où j’allais me lancer dans la musique, et une amie m’a juste conseillée d’écrire aux gens que j’admirais. J’ai donc envoyé un message à Rebeka auquel elle a gentiment répondu. On s’est rencontrées et on a échangé sur la musique, le militantisme, sur des sujets queer, etc. C’était un échange d’humain à humain et d’artiste à future artiste (rires) !
Quelques mois tard, elle est venue me voir pour me proposer de signer sur le label qu’elle était en train de monter. J’avais juste sorti un track, elle m’a fait tellement confiance… Elle a vraiment cette dimension humaine qui prime sur tout. C’est d’ailleurs le plus important dans toute cette belle famille qui compose la maison Warrior : un espace familial d’entraide, de soutien, queer, inclusif, safe et bienveillant.
Comment ça s’est passé pendant la prod’ de ton EP sous WARRIORECORDS ?
Pendant toute la production de mon EP, j’ai pu envoyer mes tracks à Rebeka et échanger avec elle. Elle a toujours pris le temps et elle m’a donné des conseils et fait des retours avec beaucoup de bienveillance. J’ai la chance d’avoir un mentor comme elle, qui encourage la prise de parole et ne la bride à aucun moment.
Peux-tu nous parler de votre featuring O.B.I.C ?
La collab’ avec Rebeka Warrior, O.B.I.C, s’est faite assez vite. On était sur la même longueur d’onde : sur les propos et la dimension politique aussi. Elle a amené le côté encore plus revendicateur avec les mots et la mélodie. Moi, j’ai amené le côté techno. C’était une collaboration très intéressante pour toutes les deux. Je suis hyper heureuse d’avoir pu amener un petit quelque chose pour elle aussi. En fait, je suis super contente de cet EP et de la manière très fluide dont il a été créé.
Est-ce que tu penses que le monde de la musique est prêt pour une forme d’art plus politique ?
J’ai l’impression ! C’est un bon moment pour amener tout ce que j’ai envie de raconter, en tout cas. Avant, on pouvait les occulter les problèmes, on avait de quoi décompresser, de quoi se voiler la face, être dans une dynamique de consommation à tout-va. Et là, on est tous comme des cons, entre nos quatre murs, à fêter des anniversaires tout seul. Avec le Covid, les gens sont plus attentifs. Ils vont plus choisir leur consommation. Ça rebondit encore plus sur les réseaux, plus de discussions émergent. J’ai l’impression qu’on va plus en profondeur même pour les questions queer, et que les gens ont plus le temps pour intégrer, réfléchir et se faire leur propre opinion. Pour moi, les artistes qui, aujourd’hui, occultent complètement cette dimension politique, sont en train de rater un coche. Le but d’un artiste est aussi de questionner son époque. On a eu la période où c’était fun, tout allait bien et j’étais la première à en profiter. Mais maintenant, c’est une hérésie de faire comme si on vivait dans le monde d’avant.
Tu as à cœur aussi la visibilité des artistes féminines électro, est-ce que tu vois une amélioration ?
Je ne sais pas trop dans quel sens c’est en train de se faire. Un peu dans tous les sens. À la fois, tout le monde est un peu plus curieux et comme on est tous sur les réseaux, il y a une possibilité plus égale d’émerger. Je pense aussi que les femmes se servent bien des réseaux et arrivent à se faire connaitre davantage. Les questions du genre, de copinage et de business sont un peu effacés. Du coup, on voit aussi beaucoup plus d’artistes queer, trans, intersexes et autres apparaitre. En France, en plus, on voit une scène techno se développer qui est hallucinante, tous genres confondus. Ils ont envie de raconter des choses et redoublent d’effort, ils ne lâchent rien et ont envie de dépoussiérer les choses.
J’ai vu que tu étais programmée pour le Delta Festival à Marseille le 4 juillet prochain après Jeff Mills ! Est-ce qu’il est toujours prévu ?
Festival assis !! (rires) C’est génial que je sois programmée pour ce festival, en plus après Jeff Mills… Quand on m’a dit ça, je n’avais pas de mots. J’adorerais que ça se fasse mais à ce jour, je n’en ai aucune idée. On ne sait pas. Les choses changent d’une semaine à l’autre. Il y a beaucoup de gens qui dénoncent aussi le caractère aberrant de faire des festivals de musique électronique assis. Je sais que Rebeka Warrior va pouvoir faire des dates de festivals assis avec Mansfied.TYA mais pour le coup, ça s’y prête bien. Alors que la techno comme je la joue… Pourtant, les gens en ont besoin ! Tout le monde est médicamenté en France. C’est dramatique pour la santé mentale. À force de vouloir immobiliser les gens, tout le monde est en train de devenir fucked up !
Est-ce que tu travailles sur d’autres projets ?
Oui, je bosse en prod sur mon prochain EP qui sortira avec Possession en vinyle. Je réfléchis aux créas aussi avec d’autres artistes, photographes, graphic designers parce que j’adore collaborer. J’ai envie de développer de la scéno, du merchandising aussi avec d’autres artistes. J’adore cet esprit collaboratif, ça fait grandir. Je suis très curieuse du travail de plein de gens. Pour le prochain clip aussi. Il sera sûrement fait par des meufs réalisatrices comme mon premier clip. Quand les dates repartiront, j’aurai pu avancer sur la production musicale et me concentrer davantage sur les sets. Il y a toujours de quoi s’occuper, on s’adapte, on passe de l’un à l’autre…