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Vous les avez vues tweetées, retweetées, commentées sur les réseaux sociaux au début de la pandémie de Covid-19 : des cases de la BD Astérix et la Transitalique, parue en 2017, dans lequel un Romain se prénomme « Coronavirus ». Aux internautes de crier au génie ! Les héritiers de Goscinny et Uderzo, Ferri et Conrad, ont-ils eu une vision prophétique du mot le plus utilisé en 2020 ? Pas vraiment, en réalité. Le coronavirus n’est, bien sûr, pas né avec la Covid-19 et le terme est apparu pour la première fois en 2002, en Chine. Pour la prophétix, on repassera.
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Néanmoins, le 9ème Art a eu maintes fois le don de prédire l’avenir. Et cette année 2020 a été l’occasion de vérifier que les bulles prophétiques ne sont pas prêtes d’éclater. En voici 5 exemples.
S.O.S. BONHEUR DE GRIFFO ET VAN HAMME (1984)
S.O.S. Bonheur est une BD dystopique dessinée par Griffo et écrite par Jean Van Hamme, scénariste adulé des séries Thorgal, XIII et Largo Winch. Il imagine une société dans laquelle l’État-Providence étend ses prérogatives, en nationalisant les vacances ou en soumettant la Justice aux algorithmes. Mais l’une des spécificités les plus troublantes du régime est l’hygiénisme poussé à l’extrême : les citoyens qui ne respectent pas les règles sanitaires, et notamment le port du masque, se voient rayés du système de santé publique. Y viendra-t-on si les pays occidentaux, à l’instar de la Chine, se mettent à adopter pleinement la stratégie du contact-tracing ? Trois décennies plus tard, ce récit à la Black Mirror en est peut-être aux balbutiements de sa réalisation prophétique.
BLACK JACK D’OSAMU TEZUKA (1973)
Osamu Tezuka est considéré comme le dieu du manga au Japon. Ses personnages cultes ont bercé la jeunesse de millions de lecteurs (Astroboy ou Le Roi Léo par exemple, dont Disney s’est largement inspiré pour Le Roi Lion) et ses récits plus sombres (parmi lesquels L’Histoire des 3 Adolf ou Le Diletta, qui anticipa la naissance de la télé-réalité dès 1968 !) les ont accompagnés à l’âge adulte. Dans la liste des oeuvres les plus emblématiques de Tezuka figure Black Jack, un manga vendu à près de 180 millions d’exemplaires dans le monde depuis les années 70. Le héros est un chirurgien de génie qui sauve la vie des plus aisés contre des sommes astronomiques, afin de rendre une forme de justice locale très personnelle. Mégalo qui frise la misanthropie, le Docteur Kuroo exerce en dehors du système centralisé tokyoïte. Quitte à jouer les apprentis sorciers quand il s’agit de chercher de nouveaux remèdes. Bref, impossible d’être étonné de trouver des exemplaires de Black Jack dans la salle d’attente du Docteur Raoult.
PRÉFÉRENCE SYSTÈME D’UGO BIENVENU (2019)
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Cela a été le deuxième sujet sanitaire le plus discuté en France en 2020, après vous-savez-quoi : le déploiement du réseau 5G sur le territoire. Ses ondes électro-magnétiques sont-elles vraiment dangereuses ? Les quatre opérateurs historiques ont dépensé plus de 2 milliards d’euros pour en acquérir les nouvelles fréquences, donc la question, elle est loin d’être vite répondue ! Surtout que la 5G doit permettre le développement de l’Internet des Objets (IoT), et par là même empêcher la saturation des datas centers, possible graine du chaos. Mais quel rapport entre le Big Data et la BD ? Dans le magistral Préférence Système, Ugo Bienvenu imagine la France de 2055, où les données sont devenues tellement volumineuses que l’on en vient à effacer des oeuvres considérées comme non-essentielles. 2001, l’Odyssée de l’Espace en fait les frais, par exemple. L’art est devenu une denrée périssable et l’un des personnages prononce cette sentence irrévocable : « Nous nous sommes construits par les histoires et nous serons effacés par les données. »
TRUMP ÉNORME ! DE GARRY TRUDEAU (2017)
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Publié en France en 2017 sous forme de roman graphique, Trump Énorme ! compile 30 ans de caricatures de Donald Trump par l’auteur américain Garry Trudeau dans son célèbre comic-strip Doonesbury, qui lui a valu le prestigieux Prix Pullitzer. Dans les années 80, Trudeau se plaît à dénoncer les outrances de ce milliardaire new-yorkais sans foi ni loi qui fait un premier pas en politique en adhérant au Parti Républicain. Ainsi l’imagine-t-il, 30 ans en avance, accéder à la fonction suprême et pimper la Maison-Blanche en Trump Tower. Toute la vulgarité et l’arrogance du personnage étaient déjà présentes quand il régnait sur les années fric, et la pop culture s’en était déjà largement inspirée (coucou Biff Tannen). Mais Trudeau a eu ce génie prophétique de rendre probable l’improbable. En 2018, le magazine Rolling Stone lui demanda si la présidence de Trump l’avait surpris, et il répondit : « En aucune manière ! ». Morale de l’histoire : il faut relire Pascal Brutal de Riad Sattouf car peut-être qu’un jour, Alain Madelin accédera vraiment à l’Élysée.
LES SCHTROUMPFS DE PEYO (DEPUIS 1958)
Du lol, des trolls et des fake news : nous ne sommes pas sur Twitter mais dans le village des Schtroumpfs. Dans Le Cosmoschtroumpf, publié pour la première fois en 1967, Peyo imagine un scénario de faux alunissage, l’une des fake news les plus répandues depuis la mission Apollo 11. Dans Schtroumpf vert et vert Schtroumpf (1973), le village s’étripe autour d’un débat sémantique, comme Twitter le fait régulièrement en 2020, que ce soit avec « communautarisme ou séparatisme ? » ou avec « pain chocolat ou chocolatine ? ». Dans Les Schtroumpfs Noirs, publié en 1959, un Schtroumpf est piqué par une mouche adepte du black-face qui le transforme en troll malfaisant. Quant au Schtroumpf farceur, il impose sa tyrannie de la blagounette à chaque album. En somme, le village créé par Peyo, dépeint comme un microcosme anarcho-communiste dans le brillant essai Le Petit Livre Bleu d’Antoine Buéno, ressemble aussi furieusement à notre twittocratie.