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Élections présidentielles: les séries peuvent-elles prédire l’avenir?

Trump va-t-il être réélu? Tout est-il déjà écrit? D’une certaine manière, oui. Décryptage.

Par
Stéphane Moret
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Les prochains grands rendez-vous politiques ont-ils déjà trouvé leur conclusion avant même de s’être joués ? On fait évidemment allusion aux élections présidentielles américaines de novembre 2020, et à celles qui auront lieu en France en 2022. Tout est-il déjà écrit? D’une certaine manière, oui. Certaines fictions diffusées à la télévision ont déjà, par le passé, prévu le résultat d’élections, que ce soit le premier président noir américain, ou les montées du populisme. De quoi répondre à la question qui brûle les lèvres de nombreux observateurs politiques mais également du grand public : Trump va-t-il être réélu? La réalité pourrait bien se trouver dans la fiction, les scénaristes de séries TV politiques étant devenus les prophètes des temps modernes.

Pour savoir ce qui va se passer après 2020, retour en 2005. The West Wing (A la Maison-Blanche) est diffusée depuis 6 saisons sur NBC. Elle suit les aventures du cabinet du président démocrate Bartlett (Martin Sheen), qui arrive au terme de son deuxième mandat. Ne pouvant se présenter de nouveau, il faut un nouveau candidat pour le parti. Il s’agira de Matt Santos, issu de la communauté hispanique. Sans le savoir, les Américains viennent de rencontrer leur futur président, qui sera élu 3 ans plus tard. Tout au long de cette dernière saison, on suivra donc en parallèle les dernières décisions du président, et la campagne du candidat, qui sera élu à sa succession. Pour inspiration de ce personnage de fiction, le scénariste Eli Attie et son équipe s’inspirent en fait d’un jeune gouverneur de Chicago, qui s’est fait remarquer à la dernière convention démocrate : Barack Obama. Si le vrai politique fait partie de la communauté noire, le personnage de fiction portera les couleurs latinas, mais restera issu d’une minorité. La série s’achève au soir de cette élection, en 2006. Et ironie du sort, la président Barack Obama s’inspirera régulièrement du personnage de Matt Santos pour garder le cap de certaines réformes pendant ses premiers temps à la présidence. Mais le hasard n’est pas si anodin: Eli Attie, scénariste de la série, est un ancien auteur des discours d’Al Gore, il baigne donc déjà dans ce domaine, et s’inspire de plusieurs personnages qu’il a croisés pour en faire des sujets de fiction.

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C’est un peu la même chose pour la série française Baron Noir, qui arrive à anticiper d’un temps ou deux tous les évènements de la vie politique en France. La présidente Amélie Dorandeu (Anna Mouglalis) précède Macron en 2016 : une ancienne conseillère du président élue en lâchant son étiquette de gauche, et s’associant avec des représentants de droite. La série parle aussi de la mort de la gauche quelques mois avant la revente de Solferino et la multiplication des courants. Dans sa dernière saison, elle crée la renaissance d’une gauche unie, les contestations sociales, et même une figure populiste qui se présente à l’élection présidentielle, et arrive au second tour.

Alors, en 2022, la gauche reviendra-t-elle au pouvoir comme dans la série?

Ces dernières semaines, l’humoriste Jean-Marie Bigard a soulevé les foules sur les réseaux sociaux à l’instar du personnage de Christophe Mercier (joué par Fred Saurel). Mais ce personnage est également prof de sciences, alors les scénaristes auraient-ils anticipé Didier Raoult, comme principal frondeur ? Ou bien sa logique, et ses enregistrements face caméra depuis sa bibliothèque le rapprochent-ils de Michel Onfray ou Alain Soral ? Un mélange de tout cela, sans doute. Ici, le scénariste Eric Benzekri s’inspire aussi de personnages ou d’idées croisés tout au long de sa précédente vie, lorsqu’il travaillait pour le parti socialiste. Par exemple, Julien Dray est la principale inspiration du personnage de Philippe Rickwaert (Kad Merad), mais pas la seule. Impossible de ne pas penser à Jean-Luc Mélenchon en voyant Michel Vidal (François Morel). Alors, en 2022, la gauche reviendra-t-elle au pouvoir comme dans la série ? Ou bien le scénariste a-t-il si bien écrit son personnage d’Amélie Dorandeu qu’elle pourrait représenter une autre femme à la voix rauque et qui fume beaucoup ?

En Ukraine, l’humoriste Volodymyr Zelensky, qui jouait le rôle du président dans une série télévisée, l’est devenu lui-même.

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En tous cas, à travers les séries politiques, on peut dire que la vérité n’est pas ailleurs, et que le scénariste ne fait qu’anticiper les grandes lignes politiques, tel un analyste. Benzekri ne sort pas le représentant populiste de sa poche. Il s’est inspiré de ce qui s’est passé ces dernières années, avec des populistes élus à l’étranger : Trump, Bolsonaro, Johnson, et l’a juste appliqué à la France. Fiction et réalité se nourrissent très régulièrement, jusqu’en Ukraine, où l’humoriste Volodymyr Zelensky, qui jouait le rôle du président dans une série télévisée, l’est devenu lui-même, cette fois pour de vrai, lors de la dernière élection. De quoi donner le tournis. En France, Baron Noir est très suivie par les politiciens. C’est certainement pour cela qu’on commence à entendre les mots « Union de la gauche » dans certaines bouches, et qu’Emmanuel Macron prend soin d’appeler chaque personnage populaire/populiste qui fait parler de lui médiatiquement, pour prendre le pouls de ses intentions et le calmer un peu. La vérité s’inspire de la fiction.

Ainsi, on peut voir des signes dans toutes les séries, rétrospectivement. Lorsque la série 24 Heures Chrono a été mise à l’antenne, elle mettait en vedette le premier président noir, joué par Dennis Haysbert. Une révolution. Quelques années après, c’est devenu un fait, avec Barack Obama. Les Simpson se sont souvent amusés à imaginer une présidence de la figure médiatique populaire la plus improbable à l’époque : Donald Trump. Les Simpson anticipent beaucoup de choses, ce qui est inquiétant sur l’état de la société car leurs situations sont toujours ubuesques. Preuve que l’on est de moins en moins sensés. D’autres voudront se rassurer en se disant que Veep a fait le portrait de la première vice-présidente féminine avec Selina Meyer (Julia Louis-Dreyfus), qui attend que le président passe l’arme à gauche. Les scénaristes auraient-ils pu imaginer Kamala Harris à l’époque de la création de la série en 2012 ? Il est indéniable que les séries se sont fait elles-mêmes dépasser par les évènements ces dernières années. Quand on voit les premières saisons de House of Cards, on trouve forcément le personnage répugnant, plus grand que nature. L’élection de Trump l’a fait passer pour un pupille de la nation, un modèle déjà dépassé.

A force de multiplier les possibilités d’un avenir différent, on finit par tomber sur l’une d’entre elles.

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Et aujourd’hui, tout est imaginable. D’abord parce que le monde est de plus en plus «surprenant», mais aussi parce que les fictions se multiplient avec le nombre de chaînes et de plateformes. Enfin, parce que la qualité des séries politiques comme The West Wing, Borgen, ou House Of Cards a donné le goût de ces intrigues au public. Si bien qu’on imagine tout : un ministre de seconde zone, prêt à se faire virer, qui devient le président suite à un attentat dans Designated Survivor, avec Kiefer Sutherland. En France, la série Les Hommes de l’ombre avait imaginé la première femme Présidente de la République, en la personne de Nathalie Baye, mais qui s’en souvient encore ? Après Baron Noir, Canal+ a creusé le sillon de la série politique avec Les Sauvages, dans laquelle joue Roschdy Zem. Il y interprète le premier président d’origine maghrébine. A force de multiplier les possibilités d’un avenir différent, on finit mécaniquement par tomber sur l’une d’entre elles. Les scénaristes, pour se différencier, inventent des dystopies, des utopies. Ou bien reviennent à la réalité. Ainsi, la présidence Trump a été si intense depuis 2016 que de nombreuses fictions s’en inspirent, et deviennent des séries. The Comey Rules, par exemple, portera à l’écran, dès l’automne, ce qui est arrivé en réalité à James Comey, l’ancien directeur du FBI, dans sa relation avec le président américain joué par Brendan Gleeson.

Revenons alors à notre question initiale : Trump va-t-il rester au pouvoir ou Joe Biden sera-t-il élu? Si l’on s’en tient aux personnages de fictions, aucune série n’a anticipé réellement la victoire du démocrate : pas de candidat âgé, pas d’ancien vice-président devenu président en guise de héros de série. Et si l’on en reste aux prévisions des analystes, rares sont les ex-vice-présidents élus : Al Gore en est, bien malgré lui, le dernier exemple marquant. Enfin, les 3 derniers présidents (Clinton, Bush, Obama) ont tous eu un double mandat. En France, les politiques peuvent regarder des séries autant qu’ils veulent pour préparer 2022, ils devront garder les pieds ancrés dans la réalité aussi. Car le scénario de la saga politique sera toujours, quoi qu’il arrive, dans les mains des électeurs. Et ça, ce n’est pas de la fiction.

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