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Il y a 8 ans, sur YouTube. Souvenez-vous : les YouTubeurs, de Mister V à Cyprien, multiplient les blagues potaches sur la police, l’école, dormir et les jeux vidéos, le tout dans un décor de chambre d’ado. Côté YouTubeuses, dont la queen de l’époque Enjoy Phoenix, on présente les dernières palettes Sephora et on se filme en train de déballer les vêtements qu’on vient de recevoir ou d’acheter (c’est le principe du “haul”). Si la binarité de genre de ces contenus reste à déplorer, qu’on se le dise, à l’époque, le succès est là. Exemple d’une stat’ : 45 millions de vues pour Cyprien et sa vidéo “Les pubs VS la vie”.
Aujourd’hui, pour de nombreuses stars de YouTube, le nombre de vues est en chute libre. Parce que la mode se démode, certains ont su rebondir, à l’instar d’EnjoyPhoenix et sa récente spécialisation dans le paranormal. Mais outre un virage éditorial à prendre, ces créateurs de contenu l’ont bien compris : pour exister, la diversification est nécessaire. Quitte à déserter (un peu ou beaucoup) YouTube pour d’autres plateformes vidéo.
« TikTok joue beaucoup sur les tendances »
« Il y a chez les YouTubeurs historiques cette prise de conscience de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier », analyse Vincent Manilève, streameur et auteur du livre YouTube derrière les écrans : ses artistes, ses héros, ses escrocs. Pour entrer dans la danse contemporaine de ce qu’est internet, ces créateurs de contenu misent notamment sur TikTok. Des YouTubeurs natifs comme Sulivan Gwed sont désormais plus présents sur le réseau social préféré de la génération Z que sur la plateforme détenue par Google. La principale force de TikTok ? Un format de type “snacking” rapide à produire pour le créateur et qui capte aisément l’attention du spectateur. « TikTok prend tout ce qui est intéressant chez les autres, dont YouTube. D’une certaine façon, c’est assez proche dans la machinerie, mais il joue beaucoup sur les tendances, en termes de musique, de danse, de thématiques », souligne Laurence Allard, maîtresse de conférences en sciences de la communication à l’Université de Lille, spécialisée en usages numériques. Et si YouTube a copié TikTok dans le format bref et vertical, avec ses “Shorts” lancés en 2020, l’engouement reste timide.
« TikTok comme Instagram sont devenus mes journaux de bord quotidiens. Sur YouTube j’aurais peur de “déranger” en étant trop présente par exemple », affirme Manon, de la chaîne Dairing Tea. Pour Sindy, de la chaîne Sindy Off, l’appli du géant chinois lui permet de produire des vidéos plus “fun” pour moins de contraintes. « Sur YouTube, il nous est impossible d’insérer des musiques commerciales, sous peine d’être démonétisé, regrette la créatrice de contenu. Si on pouvait les utiliser comme sur TikTok, notre contenu serait bien mieux. »
L’autre avantage de TikTok, c’est que son algorithme ne favorise pas uniquement les mastodontes de la plateforme. « Une vidéo peut percer du jour au lendemain, ce qui fait miroiter beaucoup de fantasmes chez les jeunes qui veulent se lancer », remarque Vincent Manilève. Pour poster, il n’est également pas nécessaire de maîtriser des logiciels complexes comme Final Cut Pro. Selon Laurence Allard, « le coup d’entrée créatif est moins compliqué » car TikTok permet en son sein de « tourner, monter, diffuser ». Avec son nouveau fonds de rémunération lancé début octobre, TikTok persiste et signe dans sa drague envers les jeunes influenceurs. Sous certaines conditions, la rémunération pour mille vues avoisine désormais les 1 euro… soit sensiblement pareil que ce que propose YouTube.
Twitch pour la spontanéité, le podcast pour l’honnêteté
Mais passons TikTok. D’autres concurrents de taille sont en effet venus donner un coup de vieux à YouTube. « Certains YouTubeurs sont partis sur Twitch, notamment dans le domaine du gaming. Ils ont trouvé sur cette plateforme des formats d’interaction plus réactifs », relève Laurence Allard. Sur YouTube, il est possible de faire un live, mais le format reste bien moins populaire que les vidéos classiques. « J’ai plus de 400 000 abonnés mais je ne rassemble que 2 000 personnes lorsque je suis en direct sur YouTube », illustre Sindy. Elle compte se lancer dans l’aventure Twitch prochainement. Plus récemment, le podcast a lui aussi convaincu les YouTubeurs les plus populaires : Anna Rvr, Lena Situations, mais aussi Dairing Tea. Parler dans un micro, « ça enlève une forme de pression, et ça ramène surtout une sensation de proximité avec les auditeurs », juge Manon. Une récente étude de Havas et du CSA montre justement que ce média est perçu comme le support de la tolérance, du progrès, de la douceur et de l’honnêteté.
A contrario, YouTube est régulièrement épinglé pour sa censure sur certains sujets. Sindy ne prend même plus la peine d’activer la monétisation de ses vidéos abordant le thème des violences sexuelles. « J’ai beau travailler des heures et des heures, je sais que cela ne passera pas », affirme-t-elle par expérience. Et ajoute, à propos de la modération des commentaires : « La plateforme ne protège pas assez contre le cyberharcèlement. Il y a des insultes comme “grosse merde” qui n’ont rien à faire sur YouTube ». Pour autant, il est inenvisageable pour Sindy de penser à une rupture. « J’aime trop l’image, la vidéo, donc je m’accroche. Même si un jour je dois faire un podcast, il y aura toujours une version YouTube », suggère Sindy. Et Manon de déclarer : « C’est très clairement mon premier amour. Je peux tout autant proposer un long format recherché qu’une story time de dix minutes durant laquelle je vais me maquiller ».
Fort de l’attachement des YouTubeurs à leur plateforme, le scénario n’est donc pas catastrophique. « Un peu comme la maison des parents le week-end, YouTube est un refuge, un repère. Et il ne faut pas oublier qu’il est leader dans l’hébergement de vidéos, avec Google derrière », rappelle Vincent Manilève. Pour Laurence Allard, les influenceurs ayant débuté sur YouTube resteront fidèles car ils y ont “une fanbase massive”. La chercheuse note également un fort “usage mémoriel” de YouTube (là où, en face, la concurrence est bien naze). « YouTube fait vivre l’archive », estime la spécialiste. Qui n’a en effet jamais été revoir un clip d’époque, par pure nostalgie ? Nous, c’est ce qu’on vient de faire. La vidéo ? “Le basket-ball”, par Mister V (2011).