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« You » et l’art de réinventer un concept moralement discutable

Joe Goldberg est encore une mauvaise personne, mais un petit peu moins qu'avant quand même.

Par
Benoît Lelièvre
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Dans n’importe quel autre contexte que celui d’une série de fiction, on aurait cancellé Joe Goldberg. Il serait fort probablement en prison aussi. Mais puisqu’il est le personnage principal de You, la création Netflix centrée autour des désirs malsains du romantique le plus dangereux de la Terre, il captive. Il divise.

Parce qu’il n’existe pas vraiment et ne fait pas de réelles victimes, Joe Goldberg symbolise nécessairement quelque chose d’intéressant.

Oui, You est un concept louche qui contextualise et humanise un protagoniste dont les comportements inquiétants peuvent aller du mensonge jusqu’au meurtre. La série en est néanmoins à sa quatrième saison et, pour le meilleur et pour le pire, on continue de regarder et même… d’aimer ça ? Pourquoi donc ? Qu’est-ce que le personnage magnétique interprété par Penn Badgley peut bien faire à nos esprits ?

La quatrième saison lève le voile sur certains des artifices narratifs de la série qui rendent les multiples transgressions de Joe Goldberg si séduisantes.

https://www.youtube.com/watch?v=3COY_HrMngc

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Quelque part entre être et exister

Dans cette nouvelle saison de You, Joe Goldberg traverse l’Atlantique en catimini après avoir assassiné sa femme Love (Victoria Pedretti) et simulé sa propre mort. Il trouve un boulot d’enseignant en littérature à Oxford (ça peut sembler ridicule comme ça, mais ça fait du sens dans le contexte de la série) et se met à fréquenter, un peu malgré lui, un cercle de gens extrêmement riches et désagréables.

Toujours obnubilé par la belle Marienne (interprétée par Tati Gabrielle), Joe essaie de garder la tête basse. Jusqu’au jour où ses nouvelles connaissances commencent à mourir.

Le problème avec lui, c’est sa façon d’analyser et de réagir à ces besoins problématiques et la maladresse avec laquelle il essaie de les combler est une idée à laquelle on peut s’identifier.

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La particularité principale du personnage de Joe Goldberg, c’est la dissonance entre ses sentiments (incarnés par la narration de Penn Badgley en voix off) et ses actions. À l’entendre, ses intentions sont irrévocablement pures. Goldberg est un personnage vulnérable, dévoré par un besoin insatiable d’amour et de validation. Le problème avec lui, c’est sa façon d’analyser et de réagir à ces besoins problématiques et la maladresse avec laquelle il essaie de les combler est une idée à laquelle on peut s’identifier.

Peu importe ce qu’on pense de Joe Goldberg, on ressent tous et toutes cette tension entre la personne qu’on est à l’intérieur et la manière dont les autres nous perçoivent. C’est cette tension qu’exploitent les créateurs de la série Greg Berlanti et Sera Gamble afin de rendre Joe sympathique.

Ça, c’est la stratégie canonique de You. Dans cette nouvelle saison, la série emploie deux nouvelles tactiques pour rendre son protagoniste moins problématique. La première est de l’entourer de gens encore plus superficiels et moralement répréhensibles que lui. L’artiste Simon Soo (Aidan Chang), un fils de riche et artiste conceptuel qui vole le travail des autres; Malcom Harding (Stephen Hagan), le voisin riche qui méprise les classes sociales inférieures; Adam Pratt (Lukas Gage), le playboy Américain sans intérêts en dehors de sa propre personne, etc.

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Bon. Aucun de ces personnage n’a commis d’actes techniquement criminels, sauf un, mais c’est toujours plus facile d’aimer quelqu’un qui se défend contre de mauvaises personnes qu’aimer quelqu’un qui fait souffrir des gens qui ne le méritent pas !

Métafiction et mauvaises personnes

La deuxième tactique narrative de recul employée par la nouvelle saison de You est l’emploi improbable de la métafiction, c’est-à-dire raconter une histoire dans une histoire. Dans ce cas-ci, un whoddunit, mieux connu en français sous le nom de « meurtre et mystère ».

La réinvention du concept offre une forme de prise de conscience à propos d’un personnage souvent difficile à aimer.

L’idée est emmenée de façon très nuancée par le scénario. Alors que Joe se retrouve embrouillé un peu malgré lui dans une histoire d’homicide, il interroge une de ses élèves à Oxford sur l’héritage d’Agatha Christie et du whoddunit. Il se met alors lui-même à agir comme un détective de fiction à la fois dans l’histoire comme dans les monologues intérieurs qu’il se raconte pour faire sens de ce qui lui arrive. De la métafiction dans tout ce qu’il y a de plus pur.

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Cette mécanique nous rappelle constamment que ce qu’on regarde est une construction qui rend hommage à un genre littéraire avant même d’être un commentaire sur une réalité sociale quelconque. À une époque où tout le monde déconstruit systématiquement toute forme de fiction afin de lui donner un sens (qu’elle n’a pas toujours), la métafiction est une tactique ingénieuse pour explorer l’inspiration derrière You et de se barder contre la suranalyse.

You n’est pas une série pour tout le monde et les personnes victimes de violences sexuelle ou conjugale ne sympathiseront probablement jamais avec Joe Goldberg. La réinvention du concept reste toutefois astucieuse et offre une forme de prise de conscience à propos d’un personnage souvent difficile à aimer.

La première moitié de la nouvelle saison de You est disponible depuis une semaine sur Netflix. La deuxième le sera dans exactement trois semaines. Un incontournable pour les fans de la série et les enthousiastes de personnages moralement compromis.

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