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« WHO TF DID I MARRY? », ou comment survivre à une personne mythomane
Assise au volant de sa voiture, des bigoudis dans les cheveux, la créatrice de contenu Reesa Teesa est à mille lieues d’imaginer, en ce début du mois de février, que ses presque sept heures de récit s’apprêtent à casser Internet. C’est pourtant l’exploit que relèvera sa série de TikToks nommée « Who TF Did I Marry? » dans laquelle sont narrés en 50 parties les invraisemblables mensonges de son ex-mari, « Legion », au fil de leur relation.
De son casier judiciaire à son numéro de sécu en passant par son passé marital ou même l’existence des amis auxquels il semblait téléphoner quotidiennement – spoiler alert : Monsieur se parlait finalement tout seul pendant des heures et des heures – : chaque nouveau mensonge plafonnait aussi haut que les millions de vues générées par la TikTokeuse.
« En fin de compte, la seule chose qui s’est avérée exacte était son nom et sa date de naissance », indique Reesa Teesa dans l’une de ses vidéos.
Aujourd’hui, Reesa Teesa est la personnalité Internet du moment que s’arrachent le New York Times, l’émission Good Morning America, la marque automobile BMW et le réalisateur hollywoodien Tyler Perry.
Toutefois, la créatrice de contenu sait que son aventure n’attire pas la sympathie de tous. Beaucoup – y compris certaines des marques qui l’approchent – en sont venus à douter de son intelligence, ne comprenant pas qu’elle soit restée malgré l’accumulation de red flags.
« [Les marques] ont vu une femme vraiment naïve qui prenait de très mauvaises décisions. Je pense qu’à un certain niveau, ils voulaient capitaliser sur le côté : “Est-elle toujours aussi stupide?” », déclare-t-elle en riant (jaune) dans une entrevue exclusive donnée au magazine The Cut.
Sauf qu’il ne s’agit pas ici d’un partenaire lambda, mais d’un « menteur pathologique », comme le précise Reesa Teesa dans ses vidéos.
MENTIR COMME ON RESPIRE
Un autre terme plus juste serait « mythomane », soit une personne chez qui le mensonge est routinier, perpétuel et toujours dans l’escalade, quitte à dépasser l’entendement. Et ce sera fait de façon si convaincante que même face à l’évidence du mensonge, vous ne pourrez vous empêcher de douter de la vérité.
« Les mythomanes, contrairement aux menteurs, croient à leurs propres histoires. Ils en sont tellement convaincus qu’ils parviennent à convaincre les autres. Aucun geste, aucune attitude, aucune rougeur ne les trahissent […] », détaille dans La Presse le psychanalyste Pascal Neveu.
À la source de cette pathologie, une « faille narcissique » qui ne peut être comblée que dans le regard admiratif, voire adorateur, de l’autre. Le mythomane y puise toute sa dopamine quotidienne, n’hésitant pas à surenchérir dans le mensonge pour provoquer cet émerveillement.
« Il a cette coupure avec le monde réel qui l’empêche d’éprouver le moindre sentiment de culpabilité », poursuit Pascal Neveu.
Et s’il est facile de crier à la naïveté d’un point de vue externe, il est certainement plus difficile de distinguer la couleur de ces drapeaux rouges lorsqu’on est directement impliqué dans cette situation. Olivia (prénom fictif) et Anastasiya, toutes deux victimes de mythomanes en amour et en amitié, en connaissent un rayon.
OLIVIA – Moi VS Monsieur « Seven days of the week »
« J’ai rencontré J en septembre 2021 sur Tinder. À l’époque, je voulais tranquillement me remettre à faire des rencontres, sans prise de tête.
Avec J, le courant passe immédiatement. On s’appelle au bout de trois jours de discussions sur l’application. On s’aperçoit qu’on ne vit même pas à 5 minutes à pied l’un de l’autre. Le premier rendez-vous se passe dans un bar dans lequel il travaillait. Il me présente ses collègues qui nous offrent des verres.
Je ne sais pas si c’était un premier vrai déclic, mais lors du rendez-vous, j’ai été très déstabilisée par sa transparence.
Il m’a tout de suite parlé de son passé et m’a confié que son ex et lui avaient perdu leur enfant en bas âge. J’ai trouvé ça étrange, car on n’avait pas encore abordé des sujets du genre et nous n’étions pas encore assez proches pour le faire. J’ai réalisé plus tard que c’était juste une tactique pour m’amadouer et solliciter mon empathie. Eh bien, ça a fonctionné.
On fréquentait des salles de sport voisines, on allait au cinéma, on faisait des promenades. Je le voyais plusieurs fois par semaine et rien ne me semblait étrange, à première vue. Le temps passe et il affirme vouloir être en couple avec moi et aborde de lui-même l’envie de partir en vacances ensemble et de choisir la destination. Il rencontre un membre de ma famille et un déjeuner de rencontre avec mes parents est prévu.
Mais curieusement, je commence à avoir de mauvais pressentiments qui me poussent à vérifier ses réseaux – ce que je n’avais pas encore fait. J’écris un message à plusieurs de ses abonnées en visant celles qui pourraient être son genre de femme. J’ai aussitôt une réponse… mais pas celle que j’espérais : “Je ne suis pas attirée par J. J’ai juste une relation professionnelle avec lui. Je suis sa planificatrice de mariage.”
Le coup de massue.
Cette femme m’apprend que J devait se marier depuis l’été 2020, mais qu’à cause de la pandémie, cela avait été repoussé. Toutefois, la cérémonie était imminente.
“Je pensais que tu savais, mais que tu t’en fichais de briser une relation. Plusieurs personnes savaient que tu existais”, continue la planificatrice.
Après ça, sept jeunes femmes me répondent au compte goutte qu’elles entretiennent aussi une relation avec J. Certaines depuis plus longtemps que moi et d’autres depuis plus récemment. J’ai remarqué qu’on avait toutes des traits de personnalité communs ou certaines blessures similaires. J nous a prises pour cible pour une bonne raison.
Toutefois, je ne voulais pas en rester là.
J’ai gardé mon calme et après quelques jours, j’ai créé un groupe WhatsApp avec toutes les autres jeunes femmes en question. Puis, j’y ai invité J.
Je ne cherchais pas de la violence physique, mais juste à l’humilier suffisamment pour qu’il réalise que les femmes ne sont pas des idiotes et peuvent être solidaires entre elles.
Il a suivi la conversation, a ouvert toutes les pièces jointes sans réagir. Puis, il a bloqué toutes les filles, sauf moi, et a essayé de me contacter par écrit. Dans cette conversation, pas une seule excuse de sa part ni aucune prise de responsabilité – il aurait pu nous transmettre des maladies!
Je lui ai dit : “Tout ce que tu sais faire, c’est mentir, mentir, mentir”, et il m’a répondu : “OK, si tu le dis”.
Depuis, je l’ai bloqué partout et je n’ai plus jamais entendu parler de lui. Je pense qu’il a tout de même fini par épouser sa fiancée (une maman solo avec une carrière). Je suis aussi restée en très bons termes avec l’une des autres femmes et nous prenons régulièrement des nouvelles l’une de l’autre.
Depuis, évidemment, j’ai du mal à retourner vers l’amour ou même à y croire, car c’est une expérience qu’on n’oublie pas. Quand on nous a menti sur tout, on peine à faire à nouveau confiance ou même à croire en son propre discernement.
J’ai réalisé que beaucoup de mes proches n’avaient aucune empathie face à ma situation, comme si c’était quelque chose que j’avais cherché ou voulu.
Je précise que je ne suis restée avec J que six mois. Toutefois, cela m’a suffisamment marquée pour mettre ma vie sur pause. La leçon que j’ai retenue, c’est : ce n’est pas parce que tu ne mens pas que les autres se retiennent aussi de le faire. »
ANASTASIYA – Quand l’amitié devient une expérience sociale
« Quand j’avais 14 ans, je me suis fait des amies en ligne sur la section d’écriture d’un forum de jeu. Une de ces amies-là, qu’on va appeler Joséphine, était super sympathique et aimée de toutes et nous racontait qu’elle souffrait d’un trouble alimentaire. Elle en parlait dans notre groupe et dans ses écrits.
Elle nous a présenté l’une de ses amies de la vie de tous les jours et nous a avoué peu de temps après être hospitalisée pour son trouble alimentaire.
Puis, d’un coup, l’amie de Joséphine nous a annoncé sur le forum que Joséphine s’était suicidée la veille. Je n’en revenais pas.
Elle avait été mon amie pendant plusieurs mois, voire un an. Je lui avais révélé des informations que je ne disais à personne. Ça m’a complètement dévastée. J’étais désorganisée, je culpabilisais de ne pas l’avoir vu venir…
D’autant plus que Joséphine était dans un autre pays et que je n’avais aucun moyen d’entrer en contact avec sa famille ou ses proches. Je n’avais pas son nom complet, juste son prénom et quelques photos d’elle et de sa ville. J’ai essayé par tous les moyens de la trouver, ne serait-ce que pour avoir la date des funérailles… en vain.
Six mois plus tard, je suis sur le forum d’un nouveau jeu et je tombe sur un profil qui me rappelle drôlement celui de Joséphine. Toutefois, elle se présente avec le même prénom que son amie.
Je commence à discuter avec elle et, au fur et à mesure, je me dis de plus en plus qu’elle est probablement Joséphine… J’en parle avec une autre amie, puis, en deux clics, celle-ci trouve le profil de Joséphine sur Facebook. Sa photo de profil datait de quelques jours.
D’un coup, on a réalisé que Joséphine n’était pas morte. Je l’ai confrontée à cet effet, lui disant à quel point c’était inacceptable.
Elle a banalisé son geste et nous a avoué qu’elle s’est inventé une vie de toute pièce pour “tester” la naïveté des gens sur Internet.
Elle a même eu l’audace de dire que c’était de notre faute si on l’avait crue… Morale de cette histoire : faites confiance à votre instinct. Quand quelque chose vous semble louche, c’est probablement parce que ça l’est ! Et ne croyez pas tout ce que vous voyez sur Internet. »