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WhatsApp ou le poumon de la diaspora africaine

Une simple application pour certains, un univers entier pour l'Afrique.

Par
Malia Kounkou
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Les vétérans se souviennent des voyages que nous faisaient faire nos parents jusqu’au tabac du coin, un billet de dix euros froissé dans la paume, pour acheter une carte téléphonique « Amis d’Afrique ». Il fallait ensuite gratter l’arrière et récupérer un code à composer pour que soient finalement débloquées cent précieuses minutes d’appel — tout un rituel.

Puis 2009 est arrivée et, avec elle, la révolution WhatsApp. Pour une première fois, la communication à l’international ne dépendait que de deux choses simples : un numéro et une connexion. Que ce numéro soit prépayé et, cette connexion, un wifi public seulement détectable au bas d’un lampadaire éteint, si ces deux conditions étaient réunies, le compte pouvait fonctionner sans limitation et, depuis 2015, sans facturation.

En 2017, WhatsApp était responsable de la moitié du trafic Internet du Zimbabwe entier.

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À raison, l’Afrique entière s’est aussitôt emparée du concept. Les statistiques sont d’ailleurs criantes. En 2013, WhatsApp devenait l’application gratuite la plus populaire d’Afrique du Sud avec 15 millions d’utilisateurs, surpassant Facebook, Twitter et BBM (rip). En 2017, WhatsApp était responsable de la moitié du trafic Internet du Zimbabwe entier. Et actuellement, en 2021, les trois pays où l’application détient le plus haut taux de pénétration de marché mondial sont respectivement le Kenya, l’Afrique du Sud et le Nigéria.

Le poumon de l’Afrique

J’aime souvent comparer WhatsApp à un organe vital, car, grâce à lui, la diaspora africaine est maintenue en vie.

Car vous ne le savez peut-être pas, mais un monde parallèle s’organise sur cette interface.

Avec Internet, océans et frontières ne sont plus des obstacles à la socialisation. Dans la culture africaine, la famille est un cercle large, mais soudé, où le proverbe « pas de nouvelles, bonnes nouvelles » n’a pas sa place. Appeler ses oncles, ses tantes et ses cousins — des titres qui ne se limitent d’ailleurs pas aux liens du sang — est donc un devoir de bienveillance et d’entraide que permet la communication démocratisée de WhatsApp.

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Et, tout comme le souligne la journaliste Heidi Vogt, l’option des messages vocaux favorise largement l’expansion de l’application en la rendant accessible qu’importe notre niveau individuel de littératie. Il en va de même pour les dialectes strictement oraux de certains pays d’Afrique qui ne peuvent être retranscrits à l’écrit — sinon en phonétique approximative. S’ajoute à cela la durée d’enregistrement illimitée permise par WhatsApp, option fort préférable aux vocaux d’une minute maximum offerts par Facebook Messenger.

Presque par survie, Facebook l’a rachetée courant 2014 pour la modeste somme de 19 milliards de dollars, neutralisant ainsi toute menace.

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Mais au-delà des fonctions basiques, WhatsApp possède aussi une fonction hybride, presque détournée : celle du réseau social. Car vous ne le savez peut-être pas, mais un monde parallèle s’organise sur cette interface. Un monde où sont quotidiennement échangés des vidéos humoristiques, des clips musicaux — je ne compte plus le nombre de fois où j’ai reçu le célèbre hit « Jerusalema » —, des blagues, de l’actualité plus ou moins vraie et, grand classique : des versets bibliques.

Cette plateforme couteau suisse s’est donc rapidement érigée en concurrente directe de Facebook, gagnant du terrain sur le continent africain. Presque par survie, Facebook l’a alors rachetée courant 2014 pour la modeste somme de 19 milliards de dollars, neutralisant ainsi toute menace. Mais bien qu’un tel investissement lui ait conféré un indéniable avantage, les tout récents évènements nous ont montré le clair revers de la médaille.

Si Facebook coule, tout le monde sombre avec lui.

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Désarmer l’Empire

Le premier lundi d’octobre a eu lieu une panne temporaire mais sans précédent sur l’ensemble du groupe Facebook, rendant WhatsApp indisponible le temps de plusieurs heures. Bien que les choses soient revenues à la normale depuis, une telle coupure réanime de nombreux questionnements quant à la mainmise de Facebook sur le monde du virtuel. N’est-ce finalement pas dangereux de centraliser autant de réseaux sociaux influents — voire vitaux — entre les mains d’une seule et même entité ?

L’entendre m’a directement fait penser à la plus grande force de WhatsApp, qui est également l’une de ses plus grandes faiblesses : le partage libre de l’actualité.

Sans compter qu’il ne passe jamais un semestre entier sans que ladite entité ne soit accusée d’un traitement obscur des données confidentielles de ses utilisateurs. Lorsqu’on sait qu’il a été récemment ordonné proposé aux deux milliards d’inscrits sur WhatsApp de partager leurs informations personnelles avec Facebook, le retour des craintes d’antan se comprend.

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Et avec les anciens questionnements s’en éveillent aussi de nouveaux, encouragés par les révélations chocs de Frances Haugen. Ex-salariée de longue date chez Facebook, elle a récemment accordé une entrevue à CBS qui détaille, preuve à l’appui, la manière dont son ancien employeur encourage les discours de haine et de conspiration via des algorithmes de recommandation. Selon elle, l’attaque terroriste du Capitole survenue le 6 janvier dernier a été directement permise par une mise en avant de contenu violent et un manque délibéré de censure.

« Facebook a réalisé que s’ils changent l’algorithme pour qu’il soit plus sécuritaire, les gens passeront moins de temps sur le site, ils cliqueront sur moins de publicités et [Facebook] fera moins d’argent. »

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L’entendre m’a directement fait penser à la plus grande force de WhatsApp, qui est également l’une de ses plus grandes faiblesses : le partage libre de l’actualité. Cette actualité peut être partiellement vraie et manipulée à des fins politiques ou encore entièrement fausse et répandue telle une traînée de poudre dans toute la diaspora. Il en résulte une désinformation à échelle planétaire aussi colossale que celle observable avec l’actuelle campagne de vaccination.

Facebook, à qui WhatsApp appartient, oeuvre-t-il à faire de ses plateformes un espace plus régulé ? Absolument pas, selon Frances Haugen. « Facebook a réalisé que s’ils changent l’algorithme pour qu’il soit plus sécuritaire, les gens passeront moins de temps sur le site, ils cliqueront sur moins de publicités et [Facebook] fera moins d’argent », explique-t-elle.

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Pour un espace de partage plus sain et confidentiel, espérons donc qu’une pause comme celle-ci incite Facebook à plus de transparence envers sa large communauté. Le cas contraire, sans doute sera-t-il temps de créer une nouvelle Afrique virtuelle ailleurs.