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« We Own This City » : revivre « The Wire » 20 ans plus tard (ou presque)

David Simon et George Pelecanos ravivent l'esprit de leur série culte sans essayer d'en copier les idées.

Par
Benoît Lelièvre
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Pour comprendre à quel point la télévision a changé depuis 25 ans, il faut avoir connu le monde avant l’avènement d’internet. Ça peut sembler condescendant envers les plus jeunes générations, mais c’est difficile de comprendre à quel point ça a changé le monde si on ne l’a pas vécu. Aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux qui dominent notre quotidien. On s’y terre compulsivement à chaque temps mort de la journée en quête éternelle de dopamine. Avant Facebook, Netflix, MSN et mIRC, c’était la télévision qui occupait ce rôle-là dans nos vies. Le format et l’appareil.

Le contenu y était forcément très différent. Sans l’accès à l’univers de données personnelles pour lesquelles les grandes compagnies de divertissement déboursent une fortune aujourd’hui, on y présentait la programmation la plus grand public possible. Seinfeld, Friends, The Fresh Prince of Bel-Air, Beverly Hills 90210, toutes ces séries avaient comme but d’accompagner l’audience et de lui faire passer un bon moment, mais pas nécessairement de l’impliquer au maximum sur le plan émotionnel. C’était le boulot du cinéma. Comme l’explique le critique Chuck Klosterman dans son dernier ouvrage The Nineties, « à l’époque, les spoilers n’existaient pas à la télévision. Si vous aviez raté un épisode d’une série, vous l’aviez tout simplement raté ».

The Wire, c’est comme le chemin de Compostelle de la télé. C’est long, difficile, mais extrêmement gratifiant.

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L’une des premières séries à galvaniser les foules, c’était The Wire. Présentée sur les ondes de HBO de 2002 à 2008, l’œuvre de David Simon a redéfini ce qu’il était possible de faire à la télévision. Inspirée par l’expérience de Simon comme reporter à Baltimore, l’émission présentait à travers des personnages mémorables une ville complexe, souffrante, façonnée par les inégalités sociales et le racisme systémique. Encore aujourd’hui, elle occupe une place de choix au panthéon télévisuel. Admettre qu’on ne l’a pas vue, c’est accepter de se faire dire : « Quoi ? T’as pas vu The Wire ? Il faut que tu regardes The Wire. »

C’est comme le chemin de Compostelle de la télé. C’est long, difficile, mais extrêmement gratifiant.

Ça fait 15 ans que l’internet au grand complet harcèle David Simon pour qu’il retourne nous faire vivre des émotions sur les rues de Baltimore et il a finalement cédé à la pression populaire. Avec son partenaire d’écriture de longue date George Pelecanos, il nous offre la série We Own This City. Est-ce que c’est aussi bon que The Wire ? Est-ce que c’est même possible ? C’est difficile à dire, mais c’est quand même du gros calibre.

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The Wire 2.0 ou pas ?

Basée sur le livre We Own This City de Justin Fenton, qui raconte l’histoire vraie de la corruption d’un département de la police de Baltimore, la série met en lumière les agissements des membres du Gun Trace Task Force chargés de traquer les armes à feu illégales dans la ville. Les huit membres de l’escouade sont aujourd’hui en prison pour une litanie de chefs d’accusation allant d’extorsion à fraude d’heures supplémentaires.

Mettons les choses au clair tout de suite : We Own This City n’est clairement pas The Wire. C’est une minisérie de six épisodes qui raconte une histoire bien précise et moralement pas ambiguë pour deux sous. Les policiers de l’escouade anti-armes à feu ne sont pas le produit d’un environnement social hors de contrôle, ils en sont la cause (en tout cas, partiellement).

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Dès le premier épisode, l’accent est mis sur le meurtre bien réel de Freddie Gray comme catalyseur de chaos dans la ville. Gray avait subi des blessures mortelles dans des circonstances mystérieuses après son arrestation. Malgré les observations du coroner, le système de justice avait blanchi les policiers et inexplicablement déclaré la mort de Gray comme étant un suicide.

We Own This City est un retour aux sources, mais qui est fait en toute humilité, avec la conscience qu’il n’y aura jamais un deuxième The Wire .


On retrouve cependant une familiarité réconfortante. Tout comme The Wire, We Own This City offre un récit polyphonique qui explore les nuances de la corruption systémique. Chaque personnage est impliqué à différents degrés et pour des raisons qui lui sont propres. L’ampleur et les conséquences de la corruption policière y sont révélées graduellement, avec patience et subtilité. Bref, le ton et l’objet de We Own This City sont on ne peut plus différents de ceux de la série culte de David Simon, mais la manière de raconter les tourments de Baltimore est la même, et ça, c’est incroyablement satisfaisant.

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We Own This City est un retour aux sources, mais qui est fait en toute humilité, avec la conscience qu’il n’y aura jamais un deuxième The Wire tout comme on ne peut pas revivre les meilleurs moments de notre vie sur demande. C’est un exercice qui ravive une flamme oubliée, mais qui souligne aussi l’importance de passer à autre chose.

Pour en finir avec la nostalgie

L’une des forces de We Own This City, c’est que la série n’a pas d’âge. Les événements qui s’y produisent auraient pu, à peu de choses près, se produire dans le Baltimore qui a rendu David Simon célèbre de 2002 à 2008. La réalité (le travail de Simon a toujours une base documentaire) y est toujours aussi laide et révoltante. La classe privilégiée consolide ses positions dans l’échelle sociale alors que les moins fortuné.e.s continuent de perdre du terrain.

En nous présentant une série limitée peuplée de personnages corrompus et de bureaucrates au regard éteint, David Simon nous pose silencieusement la question : qu’est-ce qu’on cherchait au juste à travers The Wire ? La série nous a-t-elle fait comprendre la réalité d’une ville aux abois ou nous a-t-elle simplement diverti.e.s ?

The Wire, c’était la bonne série au bon moment. We Own This City n’a pas le même ton ou les mêmes visées, mais c’est aussi la bonne série au bon moment.

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Avec We Own This City, Simon et Pelecanos enfoncent le clou du commentaire social avec plus de verve et de colère qu’à l’époque. Le sujet s’y prête mieux, mais c’est également un projet qui va au-delà des ambitions esthétiques. En prenant le nom de l’œuvre source et en affichant ouvertement l’inspiration documentaire de la série, Simon et Pelecanos racontent dans un langage accessible et séduisant les injustices qui minent le tissu social de Baltimore. En relatant le passé à travers un médium populaire, la paire d’auteurs envoie une mise en garde à propos du futur. Bien sûr, ils ne sont pas les premiers à caresser cette ambition, mais une série comme We Own This City a le matériel source, le médium et peut-être même le timing pour le faire. C’est une série qui veut changer les choses et qui sort à une époque où le commun des mortels veut que les choses changent .

The Wire, c’était la bonne série au bon moment. We Own This City n’a pas le même ton ou les mêmes visées, mais c’est aussi la bonne série au bon moment. Assistons-nous à un renouveau de l’art contestataire sur les plateformes grand public ? Dans vingt ou trente ans, ce serait cool de dire qu’il y a eu un avant et un après We Own This City.

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