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We Need to Talk About Cosby : discussion autour d’un agresseur

L'humoriste W. Kamau Bell a décidé de dédier une série documentaire à « la discussion difficile ».

Par
Benoît Lelièvre
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Peu importe votre opinion à propos de la culture du bannissement, on peut s’entendre pour dire qu’elle vise principalement deux catégories de personnes : 1) celles qui commettent une erreur de jugement. Par exemple, les gens qui racontent une blague déplacée à la télévision ou qui ne se rendent pas compte de leur privilège ou la gravité de leurs actions. Et 2) les criminel.le.s (oui, ça inclut les agresseur.euse.s qui n’ont jamais été dénoncés ou condamnés). On s’entend aussi pour dire que Bill Cosby appartient à la deuxième catégorie. Après tout, il a été condamné et mis en prison pour une atroce série d’agressions sexuelles.

Il n’y a pas de doute qu’on va se souvenir de Bill Cosby. Il aura laissé des dommages indélébiles chez ses victimes. Mais là où ça se complique, c’est que Bill Cosby a aussi fait tomber plusieurs barrières pour les personnes racisées dans le milieu du divertissement. Il a aussi milité contre le racisme et éduqué les populations à la réalité des personnes racisées à une époque où personne ne le faisait.

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Toute une génération d’humoristes et d’acteurs et actrices racisé.e.s a fait carrière aujourd’hui en partie grâce à lui. Parce qu’il a contribué à faire tomber les barrières invisibles de la représentation, mais aussi parce qu’il a inspiré ces artistes.

Que ce soit clair : faire le bien, ça n’excuse rien. Ça n’enlève rien à l’odieux des agressions qu’il a commises. Notre empathie va vers les victimes, on n’est pas en train de pleurer sur son sort, pas une seconde. N’empêche, comment parlera-t-on de lui dans le futur ? Comment ces deux réalités peuvent-elles se côtoyer ?

C’est un peu la grande question de la série We Need to Talk About Cosby, à laquelle les personnes ayant gravité autour de Cosby (et autres intervenant.e.s) tentent de répondre. La série est d’ailleurs réalisée par W. Kamau Bell, un humoriste noir inspiré par le travail de Bill Cosby.

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Les agresseurs et la gestion de l’image

Deux épisodes de We Need to Talk About Cosby ont été diffusés jusqu’à présent. Un troisième paraîtra ce dimanche et un tout dernier pour clore le projet, le 20 février prochain. Alors que le premier épisode met en contexte la carrière de Bill Cosby dans une perspective historique, c’est vraiment au deuxième épisode que la série commence à décortiquer les enjeux de son héritage.

Guidés par le témoignage de la thérapeute sexuelle Sonalee Rashatwar, on comprend que l’image publique de Bill Cosby était montée de toutes pièces pour inspirer la confiance. Il était surnommé « le père de l’Amérique » à l’époque du Cosby Show, l’émission de télévision la plus écoutée pendant cinq ans de suite au courant des années 80 et 90, une comédie de situation grand public où Cosby prenait parfois la parole pour s’adresser directement à l’audience. Il y parlait alors des dangers de la drogue, d’éducation et même de vaccination. Bref, il projetait l’image de quelqu’un qui sait de quoi il parle et (plus important encore) qui vous veut du bien.

« Plus souvent, c’est quelqu’un qu’on connaît. Qui a l’attention et le respect de notre entourage. Une personne qui fait consensus, donc qu’on ne remettrait pas nécessairement en question. »

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« Les agresseurs sont très souvent des visages familiers », explique Rashatwar, qui se spécialise en traitement du trauma sexuel. « L’agression sexuelle par un étranger dans une ruelle sombre, c’est quelque chose qui arrive. Plus souvent, c’est quelqu’un qu’on connaît. Qui a l’attention et le respect de notre entourage. Une personne qui fait consensus, donc qu’on ne remettrait pas nécessairement en question. C’est comme ça qu’ils opèrent. »

Ce qui ressort de We Need To Talk About Cosby, jusqu’ici, c’est que l’humoriste s’est bâti un personnage public tout usage pour lui permettre d’arriver à ses fins dans toutes les sphères de sa vie. Que voulait-il accomplir tout ce temps-là ? La série nous fournit des réponses en plongeant encore plus profondément dans les crimes de Bill Cosby.

Une question de pouvoir

Plusieurs victimes de Bill Cosby témoignent dans la série de W. Kamau Bell. Elles n’y sont pas toutes, mais leur nombre et les traits communs des agressions racontées parlent d’eux-mêmes : ses crimes étaient froidement planifiés.

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Cosby invitait systématiquement ses victimes à sa chambre d’hôtel en prétextant qu’il allait y avoir une fête. Là-bas, la victime se rendait compte que la définition de party de Bill Cosby consistait en la présence de deux personnes (Cosby et elle), d’alcool et de quaaludes, des pilules que les victimes consommaient souvent de leur plein gré. Le grand absent de la fête ? Le consentement à des gestes de natures sexuelles.

« Les gens peuvent très bien prendre de la drogue consensuellement s’ils croient qu’ils ne sont pas accompagnés d’un violeur. La prise de drogue n’est pas un consentement implicite pour ce qui va se passer par la suite. »

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« Il y a un mythe très tenace qui perdure à propos des agressions sexuelles facilitées par la drogue », explique l’expert en drogues Hamilton Morris, lui aussi intervenant dans We Need To Talk About Cosby. « Beaucoup de gens pensent qu’il existe une définition claire de la prise de drogue consensuelle et non consensuelle. Les gens peuvent très bien prendre de la drogue consensuellement s’ils croient qu’ils ne sont pas accompagnés d’un violeur. La prise de drogue n’est pas un consentement implicite pour ce qui va se passer par la suite. »

Le point final de la série de W. Kamau Bell est à venir, mais ce qui ressort des deux premiers épisodes, c’est la magnitude de la trahison de l’humoriste. Oui, Bill Cosby a fait tomber plusieurs barrières pour les personnes racisées, mais il en aura érigé d’autres par la suite.

Je vous invite à vous mettre à jour sur We Need to Talk About Cosby avant le prochain épisode. Parce que oui, c’est important de parler de Cosby l’agresseur et de Cosby l’artiste influent. Parce que les agresseurs sont des gens qui comptent sur notre silence pour perpétuer leurs crimes.

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