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Vous êtes fatigué·e mais vous procrastinez sur l’heure du coucher ? Vous n’êtes pas seul·e

Bienvenue dans le club de la « revenge bedtime procrastination ».

Par
Sarah-Florence Benjamin
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Il est passé minuit et mon lit est encore illuminé par la lumière bleue de mon téléphone. Je sais que chaque vidéo que je regarde sur TikTok me rapproche toujours un peu plus de l’heure où mon réveil va sonner. Je sais que je vais être fatiguée morte au travail, pourtant, je regarde une autre vidéo. « Plus je me couche tard, plus tard ce sera demain », je pense pour me justifier.

Si cette situation vous est familière, sans doute êtes-vous aussi des adeptes de la revenge bedtime procrastination, cette mauvaise habitude qui consiste à retarder l’heure du coucher pour passer plus de temps sur ses loisirs. Cela peut donner l’impression qu’on prend du temps pour soi, mais cela peut entraîner des conséquences négatives sur notre bien-être à long terme.

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報復性熬夜

L’expression viendrait du chinois 報復性熬夜 (bàofùxìng áoyè) qui se traduit à peu près par « procrastination vengeresse du coucher » en français. Sa traduction anglaise a été popularisée sur Twitter par la journaliste Daphne K. Lee en 2020. Le phénomène est généralement décrit comme une revanche de personnes n’ayant pas beaucoup de contrôle sur leur horaire qui décident de sacrifier leur sommeil pour s’adonner à des activités ludiques. Selon Lee, le contexte de la reprise post-COVID de la Chine et de ses interminables journées de travail est un contexte favorable à ce genre de réaction.

« Si on parle de vengeance, c’est qu’il y a probablement de la frustration liée à l’horaire de travail. »

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Pour Cloé Blanchette-Carrière, candidate au doctorat en psychologie de l’Université de Montréal et assistante de recherche au Centre d’études avancées en médecine du sommeil, on ne parle pas ici d’un trouble du sommeil. « Le but premier des gens qui procrastinent leur heure de coucher, ça ne serait pas de ne pas dormir. On chercherait plutôt à avoir du plaisir, le manque de sommeil en est une conséquence », explique-t-elle.

Elle est particulièrement intéressée par le côté « vengeur » du phénomène : « Si on parle de vengeance, c’est qu’il y a probablement de la frustration liée à l’horaire de travail. Après coup, on peut rationaliser cette procrastination en lui donnant une explication sociale, mais je ne sais pas si c’est toujours une pensée consciente lorsqu’on est en train de “procrastiner notre sommeil”. »

La faute du travail, de l’internet ou des deux

Le manque de temps libre durant la journée est la raison principale invoquée par les procrastinateur·rice·s pour expliquer leur décision. Le contexte de la pandémie a aussi eu pour effet d’allonger les journées de travail pour une majorité de personnes travaillant de la maison en plus de faire bondir les problèmes de sommeil à travers la population.

« Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il a pris une dimension nouvelle avec la pandémie. »

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Cloé Blanchette-Carrière pose aussi l’hypothèse que le télétravail a affecté plus que jamais la frontière entre le travail et les loisirs : « On travaille dans son lit, on répond à nos mails avant de se coucher. La distinction est devenue très floue, ce qui fait qu’on peut travailler toute la journée. »

Certaines études évoquent des facteurs psychologiques en lien avec la procrastination vengeresse du coucher. « Il existe déjà des recherches sur le sujet. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il a pris une dimension nouvelle avec la pandémie », explique Cloé Blanchette-Carrière. Selon une étude de 2014, les procrastinateur·rice·s du coucher auraient plus de difficultés à s’autoréguler, c’est-à-dire gérer leurs émotions et leur stress.

Cloé Blanchette-Carrière fait aussi des liens entre la procrastination du coucher, les dépendances, notamment à internet ainsi que les traits anxieux ou dépressifs. « C’est un peu l’œuf ou la poule. Est-ce que ce sont ces facettes de ma personnalité qui font que je passe ce temps sur internet au lieu d’aller me coucher ou c’est en réponse au stress que je vis pendant la journée ? »

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Cachez cet écran que je ne saurais voir

En plus de ne pas dormir pendant que vous scrollez à l’infini, vous aurez sans doute plus de difficulté à vous endormir le temps venu. « Les écrans a un effet connu sur notre horloge biologique », rappelle Cloé Blanchette-Carrière, « La lumière bleue des écrans vient freiner, voire inhiber, la production de mélatonine, ce qui nous maintient en état d’éveil. »

De plus, surfer sur internet est considéré comme un excitateur psychologique. « Lorsqu’on lit un livre, on risque de piquer du nez, mais avec l’internet, chaque nouvelle page qu’on ouvre vient renouveler cette excitation initiale. C’est sournois parce qu’on ne voit pas le temps passer. » De plus, le contenu qu’on peut consommer sur internet peut entraîner du stress, des ruminations ou des cauchemars qui nuisent au sommeil réparateur.

« Chaque nouvelle page qu’on ouvre vient renouveler cette excitation initiale. C’est sournois parce qu’on ne voit pas le temps passer. »

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À long terme, cette procrastination peut entraîner des troubles du sommeil comme de l’insomnie surtout au moment de l’endormissement. La réalité de la majorité du marché du travail étant ce qu’elle est, on n’a pas tous le choix de se lever en après-midi, donc on accumule beaucoup de manque de sommeil.

Alors comment se débarrasser de cette vilaine habitude ? « On ne va pas nécessairement suggérer de couper dans les loisirs. Il serait conseillé plutôt de trouver une activité moins stimulante à faire avant de se coucher et de la réaliser à l’extérieur de la chambre », assure Cloé Blanchette-Carrière.

Elle recommande aussi de faire une coupure plus claire entre le travail et le temps libre, même quand on travaille de la maison. « Le télétravail peut donner l’impression qu’on a beaucoup plus de temps, mais en réalité, on peut se retrouver à travailler continuellement. Alors, il faut protéger son temps libre, particulièrement au moment du coucher. »

Finalement, il faut s’attaquer à ces fameux écrans. Pour s’épargner de la tentation, l’assistante de recherche suggère de mettre l’appareil loin de son lit. « L’idéal, c’est de ne pas regarder d’écran du tout au moins 1 heure avant de dormir. »

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