.jpg)
Vous êtes addict à Blablacar et Vinted ? Calmez-vous, vous n’êtes pas écolo
Un Français possède une empreinte carbone annuelle s’élevant à environ 16 tonnes (un chiffre qui varie selon les méthodes de calculs). Si l’on veut respecter les Accords de Paris – qui consistent à rester en dessous de la barre des 1,5°C de réchauffement climatique en 2050 (haha MDR lol meilleure vanne), il faudrait faire baisser cette empreinte à 2 tonnes. Voilà l’topo.
Alors on fait quoi ?
On change nos habitudes. On remplace nos ampoules classiques par des LED, on bazarde notre vieille charrette pour une électrique, on mange bio et on achète du seconde main. Bref on consomme “responsable” (c’est pas moi qui le formule comme ça, c’est le gouvernement). Ça veut pas dire qu’on consomme moins, mais plutôt qu’on consomme “mieux” parce qu’il faudrait voir à pas oublier d’injecter tout le pognon qu’on n’a pas dans l’économie française m’sieurs dames.
La croissance verte a bon dos quant à elle, elle permet à plein d’entreprises de voir le jour en se donnant des airs de sobriété. Suffit de se pencher sur deux d’entre elles pour voir que leur prétendue écoresponsabilité ne pèse pas lourd : Blablacar et Vinted. L’une se vend comme une solution incontournable pour diminuer la pollution dans les transports (en prenant la voiture, donc), l’autre nous fait croire qu’on fait un éco-geste en revendant une jupe Claudie Pierlot à 80 balles sur sa plateforme. Mais comment a-t-on pu se faire empapaouter de la sorte ?
ALERTE DISCLAIMER : je n’attaque pas frontalement Vinted et Blablacar, je connais pas leurs PDG Thomas Plantenga et Frédéric Mazzella ils sont sans doute très sympas (et peut-être même Sagittaire). Bien entendu, sur le principe on peut difficilement leur jeter la pierre. Oui c’est mieux de faire du covoiturage que de conduire solo dans son SUV. Et oui c’est mieux d’acheter ses fringues d’occasion que de poncer SheIn. Mais ces beaux discours n’auraient-ils pas juste comme vertu de flatter l’écolo moisi qui sommeille en nous ?
Travers de transports
Si vous vous prêtez au jeu de calculer son empreinte carbone (beaucoup moins fun qu’une partie de Uno je vous l’accorde) vous verrez que le secteur des transports nous met rapidement dans le rouge. Pas étonnant, depuis 1998 c’est celui qui émet le plus de gaz à effet de serre en France. Rien qu’en 2022, on lui imputait 30% des émissions. Et si l’on y regarde de plus près, la voiture reste la grande criminelle de nos déplacements. Elle représente 53 % de notre empreinte individuelle (contre 3% pour l’avion, ce qui ne veut pas dire que l’avion pollue moins, mais juste qu’une minorité de Français l’utilise). Emmanuel Macron l’a bien dit “Moi la bagnole, je l’adore”. En réalité, il parle surtout de la bagnole de son chauffeur parce que a priori il ne se déplace pas avec pour aller acheter du pain à la boulangerie. Or c’est bien de ça qu’on parle, la grande majorité des trajets effectués en voiture en France font moins de 5 km. Dans ce contexte, Blablacar vient jouer les sauveurs en proposant un service de mise en relation aux relents d’asphalte. Fabien Ginisty a sorti une enquête sur les rouages de cette entreprise porteuse d’une idéologie ultra-capitaliste. Et pour ceux qui vomissent l’esprit de la start-up nation, c’est un délice.
Une fausse histoire de confiance
La confiance a une place fondamentale dans la construction de l’image de Blablacar, il suffit de voir ce TedX où Frédéric Mazzella nous tartine la couenne avec son amour inégalé pour la confiance. Selon ses dires (source “mon cul sur la commode”) on perd chaque mois 5 heures à construire des relations de confiance. A l’échelle européenne, cette perte de temps (qu’il évalue à 18 euros de l’heure on-sait-pas-pourquoi) coûterait 405 milliards d’euros par mois (je n’invente rien, tout est dans ce TedX savoureux). Heureusement que Blablacar est là pour nous faire gagner du temps sur ces liens de confiance. La plateforme n’hésite pas à pousser l’absurde en déclarant sur son propre site “Nous faisons presque autant confiance à un utilisateur d’une plateforme collaborative en ligne qu’à un ami”.
Bien sûr, toute cette histoire de confiance sert avant tout à nous faire gober la part de commission exorbitante (environ 30%) de ce service devenu payant, l’air de rien, en 2011. Il était alors trop tard pour faire marche arrière, la plateforme dominait largement le marché du covoiturage. Les rares blogs confidentiels proposant quelques trajets sans commission sur des distances peu prisées n’avaient aucune chance de trouver preneur. En économie c’est ce qu’on appelle “l’effet de réseau” : le gagnant rafle tout et ne laisse même pas les miettes. Plus que de confiance, c’est une relation de dépendance qui s’est donc mise en place avec Blablacar.
Sans compter que l’appli s’est spécialisée dans le covoiturage longue distance. Pourtant, l’impact réel d’un covoiturage efficace – écologiquement parlant – devrait cibler avant tout les déplacements quotidiens (pour aller au travail par exemple). Et il faut bien avouer que dans ce cas, on se passe bien rapidement de l’appli puisqu’on a “perdu” du temps à tisser des liens de confiance avec des passagers que nous sommes amenés à revoir régulièrement ce qui sera moins le cas sur un voyage longue distance occasionnel.
Etre écolo en cramant de l’essence : LOL
Si le covoiturage peut avoir des avantages indéniables sur le plan financier et permet de limiter son empreinte carbone. Il faut rester raisonnable. Selon Blablacar le calcul est simple : plus de covoitureurs, ça veut dire moins de voitures donc moins de pollution (ce qui leur permet de se vanter d’éviter chaque année l’émission de 1,5 million de tonnes de CO2). Ça sonne crédible, mais comme dirait l’autre “les calculs ne sont pas bons”. L’Ademe a en effet publié une étude en 2015 mettant en doute l’impact réellement positif du covoiturage. Pour que le covoiturage soit efficace, il faut que nous soyons dans la situation de laisser notre voiture au garage pour covoiturer (une situation pas du tout représentative des comportements usagers actuels). En réalité, dans 69% des cas, les passagers de Blablacar délaissent surtout le train pour le covoiturage. Donc, plutôt que de vider les routes, le covoiturage sur Blablacar vide les trains (le moyen de transport le moins polluant).
A ceci on ajoute que Blablacar a un deal assez obscur qui le lie au pétrolier Total depuis 2012. Un deal permis par l’Etat français qui a mis en place depuis 2005 un dispositif de “pollueur-payeur” qui ne consiste pas à taxer directement les entreprises responsables de polluer mais à les forcer à investir dans des dispositifs d’économie d’énergie. MALIN. C’est comme ça qu’on se retrouve avec des cartes cadeaux Total d’une valeur de 20 euros pour les nouveaux inscrits sur Blablacar. Total s’achète ainsi une âme au rabais en investissant dans ces “certificats d’économie d’énergie” (C2E). En gros, en lâchant ses petits chèques-cadeaux aux utilisateurs de Blablacar, elle “compense” puisqu’elle investit dans une entreprise “écologique” (j’ai plus assez de guillemets en stock pour illustrer mon ironie).
Du côté de Vinted, c’est encore une autre histoire. Pas de deal avec des entreprises ultra-polluantes sous couvert de compensation carbone à déclarer, c’est déjà ça de pris ! Toutefois le mastodonte lituanien de la seconde main se targue aussi d’avoir évité 3,6 milliards de kilomètres en voiture. Le calcul est là encore assez lunaire : on part du principe que 2,56 pièces achetées sur l’appli équivalent à une pièce neuve non-achetée, ce qui représenterait une empreinte carbone égale à 15 km en voiture. Mouaif.
Les joies de l’effet rebond
Phénomène que l’on retrouve bien souvent dans l’innovation et qui se produit quand on est face à une économie d’énergie (Blablacar = j’économise mon budget déplacement ; Vinted = j’économise mon budget fringues) qui entraîne paradoxalement une surconsommation. Dans un cas comme dans l’autre, on va être amené soit à voyager beaucoup plus parce que justement on a accès au service de Blablacar, soit à acheter 10 fois plus de vêtements parce qu’on a accès à Vinted. On ne saurait mieux le résumer qu’avec les mots de Philippe Bihouix “Historiquement, les gains d’efficacité ont toujours été annihilés ou surpassés, à l’échelle globale, par l’accroissement du volume de consommation”.
La voilà la consommation “responsable” drapée de sa plus belle parure : on pense qu’on fait des éco-gestes sans jamais remettre en question nos besoins. Vinted a juste réduit à peau de chagrin les dons faits à Emmaüs tout en nous faisant croire qu’on était des bons soldats de l’écologie capable de consommer mieux en achetant les articles SheIn encore moins cher que leur prix neuf. Bonjour l’engagement écologique en carton (non recyclable).
Selon la chercheuse Anne Beyaert-Geslin, une appli comme Vinted répond à une satisfaction immédiate de valeur écologique existentielle “prête à réaliser”. C’est à dire qu’un geste qui en principe n’a rien d’écologique est transformé dans notre imaginaire en “bonne action” tout en faisant de nous des prestataires de services. Les vendeurs sur Vinted tout comme les conducteurs de Blablacar seront ainsi notés sur la qualité de leur prestation dont ils sont devenus des employés bénévoles dans la joie et la bonne humeur (sous réserve d’avoir assez d’étoiles dans leur notation). Dans un contexte global de précarisation, d’inflation et de catastrophe climatique, tout nous pousse à accepter cette ubérisation ultime de notre quotidien, jusque dans nos déplacements et le contenu de notre penderie. C’est beau non ?
Merci de noter cet article qui a été payé en bon d’achats Blablacar et en carte cadeau Vinted.
En savoir plus : Blablacar et son monde de Fabien Ginsity