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Votre petit guide de l’Oscar du meilleur film

Un aperçu des forces en présence et une prédiction.

Par
Benoît Lelièvre
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La 94e cérémonie des Oscars aura lieu ce dimanche, au Dolby Theatre de Los Angeles. C’est là où a eu lieu la dernière cérémonie prépandémique, le 9 février 2020. Le film coréen Parasite avait alors remporté l’honneur suprême, créant un double précédent : c’était le premier film non anglophone à remporter l’Oscar du meilleur film et c’était aussi, à mon avis, la première fois où le meilleur film en nomination remportait les grands honneurs.

Les Oscars reviennent en présentiel. La critique voulant que la plus importante célébration du cinéma occidental est de moins en moins pertinente l’est aussi. On ne se mentira pas, les irréductibles qui regardent encore les Oscars en 2022 le font principalement pour six catégories : meilleur.e.s acteurs et actrices dans un rôle principal et de soutien, meilleure réalisation et, surtout, meilleur film.

Parce qu’on veut savoir c’est quoi le meilleur film, gueuler à propos du gagnant et des biais de l’académie pour un certain type de films (longs, accessibles, inspirés de faits vécus ou de l’histoire d’Hollywood) et revivre toutes les conventions étriquées en rapport aux Oscars qu’on prétendait détester il y a deux ans.

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Pour l’occasion, je vous ai préparé un petit guide de la catégorie du meilleur film, parce que je me fais un devoir chaque année de regarder tous les films en nomination pour que vous n’ayez pas à le faire si vous planifiez une soirée Oscars entre ami.e.s.

Belfast

Réalisé par Kenneth Branagh (Much Ado About Nothing, Thor, Death on the Nile), Belfast est à la fois un hommage et une réponse au film d’Alfonso Cuaron Roma, où le réalisateur replonge avec nostalgie et grandeur dans des moments marquants de son enfance. On y accompagne le jeune protagoniste Buddy (joué par Jude Hill) qui essaie de vivre une vie d’enfant pseudo-normale à travers les déchirements politiques et religieux de l’époque.

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Sincère et émotif, Belfast est à la fois une méditation historique et un projet personnel rempli de sentiments nobles. Ça manque peut-être un peu d’ambition pour remporter la statuette tant convoitée, mais c’est quand même un fort candidat. Le feel good et l’histoire révisionniste, c’est dans les cordes de l’Académie. Pas exactement le genre de film qui me fait rêver non plus, mais c’est très bien dans son genre.

CODA

Vous n’avez probablement pas vu CODA, mais vous avez peut-être vu le film duquel il est inspiré : La famille Bélier, du réalisateur Français Éric Lartigau. CODA, c’est un acronyme pour Children of Deaf Adult (enfant de parent sourd) et c’est exactement ce que le film raconte : l’histoire d’une jeune fille nommée Ruby (Emilia Jones) née dans une famille de pêcheurs dont tous les membres sont sourds, sauf elle.

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Sorti discrètement sur Apple TV+ après avoir tout cassé lors de sa tournée des festivals, CODA est d’abord et avant tout un film coming of age où une jeune protagoniste doit trouver sa place dans le monde. Pas le scénario le plus original, mais un film porté par de solides interprétations et qui présente un portrait positif des personnes malentendantes. Ça ne gagnera pas l’Oscar, mais sa victoire est dans sa mise en nomination.

Don’t Look Up

Un film que beaucoup ont vu à cause de sa date de sortie sur Netflix stratégiquement choisie (pendant le temps des Fêtes). À la fois un film catastrophe et une satire sociale dans la tradition des frères Coen, Don’t Look Up met en scène la découverte d’une comète qui se dirige droit vers la Terre et qui, par conséquent, scinde la société en deux : ceux et celles qui comprennent le désastre inévitable qui s’en vient et ceux et celles qui n’y croient pas du tout.

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Après mon visionnement de Don’t Look Up, je me suis senti discrètement mal de ne pas avoir autant ri ou même de ne pas avoir trouvé ça aussi brillant que je l’aurais dû. On y parle de problèmes pertinents. Le parallèle avec le réchauffement climatique est ingénieux. Il y a quelque chose de profondément inconfortable dans ce film. Sa satire n’est pas égalitaire et tombe un peu à plat.

Don’t Look Up aurait gagné facilement la statuette il y a dix ans, mais c’est un choix beaucoup trop autosatisfaisant pour gagner en 2022.

Drive My Car

Inspiré de la nouvelle d’Haruki Murakami du même nom, Drive My Car raconte l’histoire de Yusuke, un acteur et metteur en scène de théâtre qui peine à se remettre de la mort soudaine de sa femme. Engagé pour produire la pièce dans laquelle il a toujours voulu jouer (Oncle Vania, de Tchekov), il doit engager une jeune conductrice qui aurait l’âge d’être sa fille.

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Même si la prémisse peut sembler un tantinet louche hors contexte, Drive My Car est un film tout en douceur et en nuances, même dans les scènes où ça brasse un peu plus émotionnellement. Je ne crois malheureusement pas que ça puisse gagner puisque l’académie a déjà récompensé un film avec une mécanique similaire il y a quelques années (Green Book). Sa facture visuelle est aussi très sobre, ce qui place le film en désavantage face à ses compétiteurs à l’esthétique plus léchée.

Dune

Celui-là aussi, tout le monde le connaît. Réalisée par le québécois Denis Villeneuve, cette adaptation du classique de la science-fiction de Frank Herbert réussit finalement à transposer au grand écran la complexité et la nuance de l’œuvre originale après de nombreuses tentatives ratées au fil des années. En tout cas, de la façon la plus convaincante possible. Juste ça, ça mérite un Oscar, non ?

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Ce n’est pas dans les habitudes de l’Académie de récompenser des films dits « grand public », mais l’institution hollywoodienne a essuyé sa part de critiques pour ses choix élitistes depuis quelques années et pourrait choisir un film « grand public » avec une démarche artistique quand même poussée. Si Denis gagne, ça fera de lui le troisième membre de la royauté québécoise internationale après Céline et Georges St-Pierre.

King Richard

À mon avis, Will Smith devrait remporter l’Oscar du meilleur acteur dans un rôle principal pour son interprétation de Richard Williams, le père des immortelles du tennis Venus et Serena Williams. Il est solide et émouvant dans une prestation nuancée et minimaliste. Est-ce que le film dans son entièreté sera récompensé pour avoir raconté une histoire de succès à l’américaine comme on en raconte encore trop peu ? C’est matière à débats.

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King Richard est un de mes films favoris en nomination cette année. C’est une œuvre poignante qui raconte, à travers les yeux de leur paternel et entraîneur, l’histoire de deux femmes qui ont transcendé leur sport. Est-ce un film émotionnellement trop discret pour remporter les grands honneurs ? C’est difficile à dire. L’an passé, Sound of Metal, un film qui partage plusieurs qualités esthétiques avec King Richard, était passé inaperçu.

Licorice Pizza

Bon, vous direz que je suis biaisé et vous avez entièrement raison, mais à mon avis, Licorice Pizza est de loin le meilleur film en compétition pour la récompense ultime de la soirée. Une des oeuvres les plus simples de la filmographie de Paul Thomas Anderson, Licorice Pizza raconte l’histoire d’un adolescent ambitieux et d’une jeune femme de 25 ans qui cherche sa place dans le monde.

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Licorice Pizza, c’est un film lumineux, sophistiqué et nostalgique qui réveillera en vous des sentiments que vous ne vous rappelez peut-être pas. Avant d’être une ode aux années 70, c’est d’abord et avant tout une ode à la jeunesse et à ce beau et complexe gâchis qu’est l’adolescence. C’est beau. C’est triste. C’est drôle. C’est tout. C’est peut-être pas le film qui va gagner cette année, mais c’est le film qui mérite de gagner.

Nightmare Alley

D’entrée de jeu, je ne suis pas le plus grand fan de Guillermo Del Toro. Ses films sont un peu trop « pop gothiques » dans la veine de Tim Burton. Sombres, mais inoffensifs. Tristes, mais empreints d’espoir. Ça me fatigue un peu, mais c’est un problème très personnel. Il y a assurément un marché pour ce qu’il fait. La preuve : il a gagné lui-même la statuette ultime pour The Shape of Water en 2018.

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Ceci dit, sans être un chef-d’œuvre immortel, Nightmare Alley est le meilleur film du réalisateur depuis Pan’s Labyrinth en 2006. Librement inspiré de la tradition du film noir et adapté du roman de William Lindsay Greasham, Nightmare Alley raconte l’histoire d’un membre d’un carnaval ambulant qui se met à aider des particuliers à communiquer avec les morts. Ça ne gagnera clairement pas l’Oscar, mais c’est un film d’époque dynamique et divertissant.

The Power of the Dog

Il y a dix ans, ce film aurait gagné la palme haut la main. Basé sur un roman du XIXe siècle, The Power of the Dog raconte l’histoire de Phil Burbank, un cowboy qui vit dans le placard à une époque où l’homosexualité était considérée comme une déviance. Ce film de Jane Campion (The Piano, The Portrait of a Lady) est minimaliste, intense, et aborde un enjeu social de façon révisionniste, mais honnête.

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Bientôt vingt ans après Brokeback Mountain, avons-nous besoin d’un film qui traite des mêmes thèmes avec le même angle ? The Power of the Dog est un film bien écrit, bien réalisé… mais un peu trop sobre ? C’est un peu l’équivalent cinématographique de manger un repas santé qui manque d’assaisonnement. C’est bon, ça pourrait être mieux et on a encore faim (de divertissement) après avoir fini. Le symbolisme est aussi un peu lourd.

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West Side Story

Ça fait quelques années que Steven Spielberg essaie très fort de remporter une troisième statuette du meilleur film. Sa dernière victoire remonte à 1999 pour Saving Private Ryan. Depuis, il y a eu Munich, Letters from Iwo Jima, War Horse, Bridge of Spies, Lincoln et finalement The Post en 2018, à qui l’honneur ultime a échappé. Tous un peu trop évidents. Tous un peu trop « oscarisables » pour être oscarisés.

West Side Story est le film le plus simple et le plus facile à aimer de Steven Spielberg au XXIe siècle. Ce remake de la comédie musicale classique est tourné de main de maître et nous plonge à la fois dans notre propre passé et dans un univers parallèle où de jeunes voyous règlent leurs problèmes en chantant et en dansant. Si vous ne voyez pas la beauté là-dedans, je ne sais pas trop quoi vous dire.

*

Pour ce qui est de mon pronostic final, j’utiliserai la méthode mise de l’avant par Variety en nommant le film qui va gagner, le film qui pourrait gagner et le film qui aurait dû gagner. Parce que malgré les nombreux changements à l’Académie, elle se trompe encore souvent.

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Le film qui va gagner: Belfast. Un film à propos d’un enfant qui vit sa vie malgré des événements atroces autour de lui, c’est très 2022. Le réalisateur Kenneth Branagh n’aura clairement pas volé cette reconnaissance de l’Académie.

Le film qui pourrait gagner : Dune. Ça m’étonnerait malheureusement beaucoup que le film de Denis Villeneuve gagne, mais si l’académie plie devant les critiques qui disent qu’elle ne représente plus le vrai monde, ce sera le choix évident à faire. De toute façon, ça risque d’être le seul de ces films dont on se souviendra dans 20 ans.

Le film qui devrait gagner : Licorice Pizza. Le film ne remportera pas la palme, sauf si l’Académie décide de faire comme en 2018 avec Guillermo Del Toro et de donner l’Oscar à Paul Thomas Anderson pour l’ensemble de son œuvre. Éternel deuxième dans la course, le réalisateur propose un film trop intemporel pour gagner.