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Vos cours d’éducation à la sexualité, à l’école, ont-ils été utiles ?
« Un cours de biologie sur la reproduction et la démonstration d’un préservatif sur une banane ». Les souvenirs autour des cours d’éducation à la sexualité en France sont souvent résumés ainsi. Car, s’ils sont aujourd’hui encore bien insuffisants, parfois même inexistants, leur contenu est souvent réducteur.
Nora, 36 ans, se souvient de « l’inutilité » de ces cours, en classe de 4e : « On avait regardé la vidéo d’un accouchement, caméra full frontal, sang et larmes, c’était horrible. Les garçons faisaient des remarques salaces ou imitaient des gémissements. C’était impossible de poser des questions. On nous a aussi présenté les organes reproducteurs, ce n’était pas de l’éducation à la sexualité, mais à la reproduction, on parlait seulement de pénétration ».
Guy, 66 ans, a bénéficié d’une rare séance d’éducation à la sexualité à son époque. « Les parents avaient dû donner leur autorisation, c’était une intervention d’un médecin, en classe de 3e, nous étions encore en non-mixité. L’approche était très médicale, il n’y avait rien sur le plaisir et même une condamnation de la masturbation. Le cours se concentrait sur le corps des garçons. On nous disait qu’il fallait faire attention à ne pas que la fille tombe enceinte, en se retirant avant d’éjaculer ».
Une aide pour la contraception
Tous les souvenirs ne sont pas forcément négatifs. « Ma prof de biologie au collège nous parlait d’adulte à adulte, en nous mettant en position de responsabilité vis-à-vis de notre corps. Elle nous mettait en garde sur le fait qu’on était capables d’avoir des enfants, mais aussi sur le Sida, car nous étions à la fin des années 1980. Je me souviens qu’elle nous avait bien engueulés en nous rendant des copies, en disant à certaines « Toi, tu risques de tomber enceinte ! » ». Pour Sophie, 52 ans, ce cours a ainsi été utile : « Elle nous a parlé de contraception (préservatif, pilule, mais aussi de la pilule du lendemain que j’ai découverte). Elle nous a mis en garde contre les méthodes naturelles qui restaient risquées. Elle a sûrement permis à beaucoup d’éviter des grossesses et MST. »
Pour Mathilde, 27 ans, les cours d’éducation à la sexualité ont aussi été un moment informatif pertinent. « On nous avait fait un grand tour des moyens de contraception, même si cela est resté centré sur la pilule et le préservatif pour pénis. On nous avait aussi parlé du Planning familial, qui permettait d’obtenir gratuitement et anonymement une contraception si l’on était mineure. Cela m’a permis à l’époque de faire mes choix contraceptifs : pilule, puis implant. »
Un cadre souvent maladroit
La plupart des témoignages recueillis pour cet article relatent d’une ambiance souvent « gênante », « des blagues malaisantes » ou « incomprises », « des rires » … Une ambiance collective pas du tout propice à la prise au sérieux du sujet, au partage, ni à la confiance. Annabelle, 34 ans, va jusqu’à dire que « le seul aspect positif de ces séances, a été l’après : les échanges avec les copines ».
Ulysse, 30 ans, se souvient d’une séance au collège : « Une femme présentait comment mettre un préservatif, et un homme ajoutait d’un air complice aux filles : “Quand vous faites une gâterie à votre copain”. Cette remarque nous avait beaucoup choqués, on était encore très immatures, cela ne semblait pas nous concerner et tout cela nous faisait beaucoup rigoler », admet-il.
Yann, 31 ans, a été marqué par le côté « négatif » de l’éducation à la sexualité. « En 6e, on nous avait parlé du consentement, avec une vidéo qui avait pour mot d’ordre « Mon corps c’est mon corps ». Le message était axé sur la défense, ce n’était pas très positif et j’avais trouvé cela infantilisant car elle visait un public de primaire. Au lycée on nous a parlé des IST, cela m’a bien fait flipper après ma première relation sexuelle ».
Le cadre de ces séances, sur un sujet aussi intime, est souvent relativement peu safe, comme en témoigne Yann : « J’avais conscience de mon désir pour les garçons, mais je n’aurais pas osé en parler devant toute la classe. C’est problématique que cela ait lieu en aussi grand groupe, cela n’aide pas à être en confiance. »
Des enseignements hétéronormés
Annabelle, mariée avec une femme, se souvient de s’être sentie en décalage : « Les lycéens pouvaient mettre leurs questions anonymement dans une boîte et où ensuite deux intervenants extérieurs y répondaient. Je trouvais que les propos étaient ultra hétéronormés, je ne me sentais pas concernée. Je me sentais seule dans mon lycée où les personnes homosexuelles étaient invisibles. J’étais en couple avec un mec, alors j’ai occulté le reste puisque pour tout le monde cela ne semblait pas exister. » Sentiment similaire pour Guy. « C’était une vision très hétérocentrée, sans la moindre indication d’une possible homosexualité. J’aurais voulu que les portes soient laissées ouvertes sur toutes les sortes de sexualités ».
Comment l’améliorer ?
Comment ces cours d’éducation à la sexualité auraient-ils pu être plus utiles, plus justes, plus adaptés ? La plupart des personnes interrogées ont bien sûr parlé de ces discours trop hétéronormés et orientés « reproduction ». Mathilde regrette aussi qu’« il n’y ait rien eu sur le consentement, j’aurais aimé être plus consciente de l’importance de s’en assurer et qu’il pouvait être retiré à tout moment. »
Pour Ségolène Roy, cocréatrice et coanimatrice du collectif SVT égalité, l’éducation à la sexualité doit être « instruite avec un point de vue féministe, centré sur le plaisir, pour apprendre à se connaître, exprimer ses limites et accepter les limites d’autrui. L’éducation à la sexualité n’est pas réductible au sujet des relations sexuelles. C’est tout ce qui est la relation au plaisir, à l’affection, à la communication, à la tendresse, ainsi que la connaissance de son corps (les menstruations, le clitoris, la prostate…). L’éducation à la sexualité doit aussi nommer la norme (hétérosexuelle, cisgenre, endosexe…) – pour pouvoir s’en affranchir – et montrer qu’il existe une variété de corps et de désirs. »
Claire, 26 ans, déplore aussi de nombreux manques dans les cours qu’elle a reçu : « on ne parlait pas du clitoris, il n’y avait aucune réflexion sur le consentement, le plaisir, le désir… Sur les risques on se concentrait sur le VIH, on ne parlait pas des mycoses par exemple. Je devais toujours me battre avec mes partenaires pour le port du préservatif, mes copines ne connaissaient pas leur anatomie… » Partant de ces constats, elle a décidé de créer une série de jeux éducatifs, Sexploration. De plus en plus d’initiatives similaires existent aujourd’hui, mais pour qu’elles puissent se développer à grande échelle, la question des moyens reste centrale.
Une éducation à la sexualité qui manque de moyens
Alexandre Magot, cocréateur et coanimateur du collectif SVT Égalité, plateforme collaborative en ligne qui propose notamment des ressources concernant l’éducation à la sexualité :
« Il y a eu très peu d’évolutions concernant l’éducation à la sexualité, voire plutôt des régression car la dernière circulaire indique que cela doit commencer dès la primaire, alors qu’avant c’était possible dès le début de la scolarité.
Depuis 2001, le code de l’éducation prévoit qu’au moins trois séances d’information et d’éducation à la sexualité par an et par niveau soient dispensées. Mais ce minimum est infaisable, cela se limite donc souvent à une séance en 4e et une au lycée. Les textes indiquent qu’elles doivent être menées par des enseignants formés. Or : il n’y a pas assez de formations. Cela devrait plutôt être inclus dans la formation de base de chaque enseignant… Enfin, il est conseillé de mener ces séances à deux, ce qui implique qu’au moins un des deux enseignants fera des heures supplémentaires, et les établissements n’ont pas les moyens de les financer.
Les cours d’éducation à la sexualité relèvent donc de la bonne volonté des enseignants, qui prennent le risque d’être confrontés aux critiques des parents. Nous manquons aujourd’hui de soutien institutionnel sur ces sujets qui peuvent être polémiques, et les parents qui veulent porter une autre éducation le voient. »