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Vivre un deuil durant les Fêtes : de la douleur à la gratitude

Linda et Rachel nous parlent de décès, mais aussi d’espoir.

Par
Malia Kounkou
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Sandra. Pendant longtemps, Linda s’est empêchée de prononcer ce prénom. Aujourd’hui, il alimente son urgence de vivre, mais fut une période où ces six lettres ne portaient en elles qu’un drame : celui du décès brutal de sa cousine en 2018. Plus les mois passaient, plus le poids du deuil devenait insoutenable, surtout à l’arrivée de Noël. « L’absence est encore plus exacerbée pendant les Fêtes, constate Linda. Elle te saute aux yeux. »

De la naissance du Christ aux toasts de bonne année, tout, durant cette période, est effectivement la célébration d’un joyeux renouveau. L’heure est donc à l’optimisme, aux rassemblements entre êtres aimés et aux décorations lumineuses. Mais lorsque l’euphorie festive générale se confronte à la souffrance inconsolable du décès, la dissonance peut se révéler brutale.

La fête est finie

Rachel n’avait pas encore quatre mois lorsque son père est mort d’un accident de voiture à une seule semaine de Noël. En grandissant, elle a tenté à sa manière de retrouver cette présence manquante. « Avoir connu la mort de mon père si jeune m’a fait chercher énormément mon identité et mes repères », écrit-elle dans un article intitulé Noël sans toi, Papa. « J’ai fait beaucoup d’anxiété. J’allais dans les excès pour combler le vide que je sentais. Je suis tombée souvent. »

« Quand tu perds quelqu’un que tu aimes, comment continuer la fête ? »

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En entrevue, elle confie également avoir souvent ressenti « une certaine nostalgie durant la période des Fêtes ». L’impression d’être ici sans y être, un pied dans le passé et l’autre dans un éternel « et si… ? ».

Linda nous témoigne de cette même déconnexion du réel pendant les temps de fin d’année. Pour elle, célébrer quoi que ce soit après le départ de Sandra a longtemps relevé de l’absurde, voire d’une mise en scène comique et insultante.

« C’est comme si c’était la société du spectacle, décrit-elle. Tu es en train de jouer à faire semblant d’être heureux, mais on sait tous que c’est un rôle parce que tu ne peux pas sincèrement être heureux dans une telle période. Quand tu perds quelqu’un que tu aimes, comment continuer la fête ? »

S’installe alors en elle une culpabilité lente et corrosive. Ressentir de la joie alors que Sarah, elle, ne ressent plus rien lui paraît soudainement être une trahison égoïste. « Je suis là en train d’être heureuse alors qu’elle, elle est morte : ça n’a pas de sens, souffle Linda. Je voulais que le monde s’arrête de tourner parce qu’il s’était déjà arrêté de tourner pour moi. »

Et un monde qui ne tourne plus est un monde qui se replie sur lui-même. Progressivement, Linda s’isole de son entourage et de sa famille pour ne plus rester qu’en tête-à-tête avec sa peine. Car en dehors d’elle-même, qui pourra comprendre avec justesse la portée de sa souffrance et avoir le bon mot pour la consoler ?

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Revenir à la vie

Puis vient le déclic nécessaire. Ce moment où le deuil devient enfin quelque chose de plus grand que son indicible douleur. Chez Rachel, ce changement de vision vient avec le bonheur de la maternité. « Depuis que j’ai eu mes petites filles, j’ai connecté avec l’importance et l’essence d’être parent, relate-t-elle. Cet amour inconditionnel qu’on a envers nos enfants nous fait changer et vouloir avoir une belle fête. »

Elle remercie désormais son père, « cet être [qu’elle n’a] pas connu », mais dont l’absence lui a appris à déceler de la beauté partout et en tout temps. « C’est important d’avoir de la gratitude envers ce qui nous est arrivé dans la vie, que ce soit difficile ou plus facile, réalise-t-elle. Ce sont toujours des cadeaux qui nous permettent d’évoluer et d’avoir plus d’amour, plus de compréhension, plus de joie de vivre. »

« J’inviterai ceux qui souffrent à tout s’offrir. »

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Le déclic de Linda, lui, passe par la simple prise de conscience de son cœur qui bat et de ses poumons qui respirent. « J’ai réalisé que j’existe encore et que je suis vivante, s’émerveille-t-elle. Pendant tout le processus de deuil, c’est comme si je l’avais oublié et que j’étais morte avec Sandra. » Ce décès symbolique fera du mal à des proches qui, eux, sont pourtant toujours là. Et ici commence sa seconde prise de conscience.

« Les morts, on les garde dans notre cœur, on leur fait de la place à l’intérieur de nous-mêmes, mais ils sont partis. J’ai encore des vivants autour de moi et moi-même, je suis vivante, discerne-t-elle. Alors je dois accepter de continuer à vivre et que le monde continue de tourner. »

Quitter le passé

Pour ce faire, l’isolation est le premier mal à combattre et la parole, un outil imparable. « Il faut parler de son deuil et mentionner le prénom de la personne », insiste Linda, pour qui nommer sa cousine était jusqu’à peu une étape infranchissable. « Ce n’est pas un gros mot ou un tabou. Elle a existé à un moment donné et même en étant absente, elle est toujours présente. »

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Un autre remède à la tristesse énoncé par Rachel serait de transformer ces énergiques temps de Fêtes en un temps de douceur pour soi. « J’inviterai ceux qui souffrent à tout s’offrir, pas seulement des cadeaux matériels, mais vraiment des moments simples comme une marche, du yoga, du spa…, énumère-t-elle. Parce que quand on ralentit, ça nous permet de visiter ces parties de nous-mêmes qui ont de la peine et qui finalement sont moins grosses qu’on le pensait. »

« Il faut essayer de rentrer dans la mouvance même si tout notre être nous dit le contraire. »

Ne plus s’isoler, c’est aussi se joindre aux autres pour quitter le passé et s’ancrer dans l’instant présent. Cela peut passer par des activités de groupe — décorer, cuisiner — qui permettent de s’extraire temporairement de la nostalgie et partager de précieux instants avec ses proches. « Le tout est de s’occuper pour ne pas rester dans ce vide rempli de l’absence de la personne perdue, développe Linda. Il faut essayer de rentrer dans la mouvance même si tout notre être nous dit le contraire. »

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Car ce n’est qu’en restant dans le présent que la mort peut prendre une signification nouvelle : celle d’une force qui, cette fois-ci, nous urge à vivre. « J’ai transformé ma tétanie du décès en carburant pour continuer à vivre », dévoile ainsi Linda, qui, en riant, compare ce processus à de l’upcycling. « Je peux mourir, tu peux mourir, n’importe qui peut mourir du jour au lendemain. Il n’y a littéralement pas de temps à perdre. »