.jpg)
Je viens d’atterrir à Montréal, d’où je vivrai ma deuxième quarantaine en à peine un mois. Ma soeur a quitté son appartement du Plateau-Mont-Royal pour que je puisse y vivre pendant 14 jours, sans risquer d’infecter mon entourage (je vous rassure, je n’ai aucun symptôme!). Des post-its sont dispersés un peu partout pour que je me sente moins seul dans les prochains jours.
.jpg)
Longue histoire courte : j’ai passé les deux derniers mois à Paris dans le cadre d’un échange étudiant et, comme le veut la tradition, j’ai décidé d’arpenter le reste de l’Europe en backpack. Un de mes rêves était de visiter l’Italie, pays du vin, de la pizza… et du coronavirus.
J’ai eu la chance de visiter la botte tout juste avant le déclenchement de l’épidémie. Deux jours après mon passage à Milan, on bloquait les frontières au nord du pays. Le lendemain de ma visite aux Cinque Terre, on fermait l’accès à la Ligurie. J’ai terminé mon périple italien dans les ruines romaines de la capitale, où rien ne laissait présager l’éventualité d’une crise mondiale.
À mon retour en France, aucune vérification à l’aéroport. À peine quelques masques ici et là, mais vraiment rien d’inquiétant. La dolce vita. Mon université m’a tout de même demandé de me placer en quarantaine par mesure préventive, ce que j’ai fait volontiers. Sauf qu’après à peine 48h de confinement dans une ville aussi bouillonnante que Paris, l’envie de me déhancher dans un club du 11e m’a titillé. Mais on apprend à contrôler nos pulsions.
Le dilemme du hamster
Vivre en quarantaine, c’est avoir trop de temps pour réfléchir.
C’est passer des heures et des heures à remettre en question notre existence. C’est noter des banalités sur un bout de papier. C’est se dire que si un hamster habitait bel et bien ma boîte crânienne, il serait mort d’une crise cardiaque au rythme où naissent mes pensées. C’est ne pas souhaiter la mort d’un hamster.
Ça donne ça.
Être en quarantaine
Être en quarantaine, c’est réaliser à quel point Aristote avait raison : l’homme est un être sociable ; la nature l’a fait pour vivre avec ses semblables. C’est se dire que des écrits datant d’avant Jésus-Christ sont encore hautement pertinents de nos jours. C’est se dire WORD, Aristote.
Être en quarantaine, c’est googler « pyramide de Maslow ».
Être en quarantaine, c’est réaliser que pour une fois, Tom Hanks, Sophie Grégoire et Kevin Durant ont quelque chose en commun. C’est se dire que le virus fait fi des différences et s’attaque à tout le monde. C’est trouver ça cool in a weird way…
En parlant de cool.
Être en quarantaine, c’est trouver ça normal que quelqu’un te souhaite « bonne quarantaine ».
Être en quarantaine, c’est rire un peu jaune quand Patrice Roy demande aux « jeunes cools » de « suivre les consignes, pour une fois ». C’est ne pas y croire lorsqu’il renchérit : « vous pourrez être anarchistes plus tard ». C’est vouloir être anarchiste.
Être en quarantaine, c’est aussi rire dans sa barbe quand notre premier ministre nous dit que « c’est pas le temps de faire le party ». C’est finir par se dire qu’il a pas tort.
Être en quarantaine, c’est saluer le génie créateur du web et se bidonner face aux milliers de mèmes plus absurdes les uns que les autres qui tapissent la toile. C’est se demander ce qu’on ferait sans humour numérique.
Être en quarantaine, c’est trouver ça normal que quelqu’un te souhaite « bonne quarantaine ».
Être en quarantaine, c’est visionner des vidéos impertinentes. Jusqu’à la fin. Malgré leur durée totale de 48 minutes…
Être en quarantaine, c’est pouvoir binge watcher « C’est comme ça que je t’aime » sans se sentir mal de pas faire autre chose. C’est aimer encore plus François Létourneau. C’est être en pleine extase tellement c’est bon.
Être en quarantaine, c’est se dire que sans Art, le monde serait fade. C’est dire merci aux musiciens, aux cinéastes et aux écrivains qui permettent au temps de filer.
Être en quarantaine, c’est penser à ses proches, à ses amis et à tous ceux qu’on voudrait enlacer malgré la distance. C’est vaincre l’isolement, c’est craindre la solitude.
Être en quarantaine, c’est contempler l’ampleur du génie humain et sourire face aux initiatives citoyennes qui donnent espoir en l’humanité.
Être en quarantaine, c’est vivre une fragilité commune. C’est tendre la main, c’est s’unir dans l’adversité.
Être en quarantaine, c’est réaliser qu’on n’a pas l’habitude de vivre sans savoir. C’est comprendre que l’inconfort suscité par cette absence de réponses pèse lourd sur nos consciences. C’est réaliser que bon nombre de réfugiés vivent dans l’incertitude quotidienne depuis des semaines, des mois, des années. C’est se dire qu’on pourrait en faire plus pour leur venir en aide. C’est être empathique.
Être en quarantaine, c’est remercier notre personnel soignant qui travaille d’arrache-pied pour assurer un service de qualité. C’est prendre le temps de les nommer : préposés aux bénéficiaires, infirmières, médecins, pharmaciens, bénévoles et tous les autres. C’est les trouver courageux.
Être en quarantaine, c’est vivre une fragilité commune. C’est tendre la main, c’est s’unir dans l’adversité.
Être en quarantaine, c’est se poser des questions sur le rôle des médias. C’est avoir la certitude qu’il faut en parler, mais pas de n’importe quelle façon. C’est lutter contre la désinformation.
Être en quarantaine, c’est permettre à notre planète de prendre un break plus que mérité. C’est réaliser les effets concrets de l’activité humaine sur nos écosystèmes.
Être en quarantaine, c’est vivre sans savoir quand la vie reprendra son cours habituel, quand le sport sera de retour sur nos ondes, quand les travailleurs autonomes pourront dormir sur leurs deux oreilles et quand les compagnies aériennes arrêteront de nous manger la laine sur le dos.
Être en quarantaine, c’est souhaiter que la situation se règle rapidement et qu’on puisse vivre un été des plus festifs. C’est déjà visualiser les terrasses bondées et les parcs tapissés de beaux humains bronzés.
Être en quarantaine, c’est imaginer qu’après des semaines de confinement et de sacrifices, on renaîtra de nos cendres à l’image de notre printemps. C’est espérer un deuxième baby-boom, pour que nos enfants nous lancent à leur tour des «OK boomer» percutants en défendant les enjeux de leur époque.
Être en quarantaine, c’est prendre conscience de notre privilège quand notre première quarantaine (et notre deuxième) se passe finalement sans trop d’anicroches.
Comme disent mes amis Gaspésiens : ici on a pas l’heure, on a l’temps. Je comprends enfin de quoi ils parlent.