On m’avait prévenue : on y revient toujours un jour ou l’autre, à Nîmes. Me concernant, l’expatriation aura duré deux ans, à peine. Le/la Covid-19 a précipité mon retour dans cette ville pleine de contrastes, qui ne se laisse pas dompter (ici certains diront “toréer”) si facilement. Et c’est ce qui fait tout son charme.
Ironie du sort en ce printemps 2020, décidément pas comme les autres : le 2 juin, les bars nîmois reprennent du service après une fermeture de plusieurs semaines imposée par la pandémie. Et les Nîmois sont à la hauteur du rendez-vous, honorant comme il se doit les bars en fête.
Vous seriez passé exactement un an plus tôt, même heure, même endroit, vous auriez probablement trouvé une cité endormie, éteinte, déserte. Car les lendemains de Pentecôte sont un peu léthargiques dans la capitale du Gard, voire désenchantés. Ils ressemblent à une gueule de bois collective. Il faut bien se remettre des quatre ou cinq jours de feria qui viennent de mettre la ville sans dessus dessous… Cette année, c’est vrai, Nîmes avait perdu de sa superbe pour la Pentecôte, comme mise sur off, mais il n’aura fallu que quelques heures à cette ville peu ordinaire pour faire preuve de résilience et réveiller les comptoirs de zinc endormis depuis mi-mars.
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La résilience, cette cité aux 140 000 âmes connaît. Marquée à jamais par les terribles inondations de 1998 (45 000 sinistrés), dont certains quartiers portent encore les stigmates, intempéries ayant englouties des boulevards, des voitures et des caisses de souvenirs, ayant emporté la vie de onze personnes, Nîmes s’est toujours remise debout. Le point serré, la ville s’est reconstruite et s’est forgé un cœur résistant à toutes les épreuves. Les leçons du passé ont été plus ou moins retenues et en 2020, des chantiers ont toujours cours pour tenter de résister aux éventuels nouveaux caprices du ciel.
« Même pas peur », tel pourrait être le slogan de cette ville dont l’emblème est un crocodile. Coincée entre Montpellier et Marseille, on dit souvent de Nîmes qu’elle ne s’est pas épanouie avec autant d’éclat que sa voisine héraultaise. Nous, ici, on dit que Nîmes est, certes, restée plus discrète et moins gargantuesque (au niveau économique comme territoriale) mais elle n’en souffre d’aucun complexe d’infériorité. Bien au contraire. Elle a su cultiver ses spécificités.
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Nîmes est une ville qui revendique son identité et qui la clame haut et fort : elle est romaine avant tout et en garde un esprit « reboussier » (comprenez : toujours un peu grognon et qui ne se laisse pas dicter des choix comme ça), elle est sportive dans l’âme et supportrice dans les victoires comme les défaites. Elle est taurine et rien, non rien, ne lui enlèvera ce signe particulier et l’une de ses plus grandes fiertés : ses arènes. Colisée le mieux conservé d’Europe, excusez du peu, ce monumental épicentre est la couronne d’une reine dans toute sa splendeur.
Sous le cagnard insupportable de ses étés, au cœur même de ses entrailles, elle reçoit ici les plus grandes stars du moment. On y a vu passer ces deux dernières décennies David Bowie, PJ Harvey, Noir Désir, Manu Chao, Leonard Cohen, Lenny Kravitz et bien d’autres. Même les Cowboys Fringants étaient annoncés pour juillet. En pleine ferias, qu’il s’agisse de la Pentecôte ou des Vendanges, ce sont les plus grands noms de la tauromachie qui s’y succèdent. Et bien que là encore, 2020 soit une exception à la règle, le Nîmois de souche comme d’adoption ne se laissera pas imposer une météorologie estivale du moral en berne, ce serait mal le connaître.
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Nîmes ne se regarde pas le nombril, elle vit. Et plutôt dans la joie. Festive, drôle, gourmande (impossible de manquer ses Halles, magnifique marché couvert plein de vie et de bons produits), elle a le tutoiement facile. Elle est séductrice par tout un tas de petites choses qu’on apprend à découvrir lorsque l’on y vit : son cinéma le Sémaphore, son Prolé, les Jardins de la Fontaine et sa Tour Magne, sa « bodeg’ » Pablo Romero, ses bistrots, ses cafés, sa maison Carrée, sa brandade de morue, son Carré d’art, ses contre-affiches de feria, sa Placette, son bosquet et les joueurs de pétanque, ses murs en pierre sèche, Yannick Agnel, le bois des Espeisses mais sans les sangliers, son « Pepe Linarès », l’Expo de Ouf, sa boutique les Pâtes fraiches, le Spot et le Périscope, sa Smac… Toutes ces choses qui nous font sourire et fermer les yeux sur les déjections canines (pourtant trop nombreuses) qui ornent les trottoirs tout autant que les poubelles improvisées en plein air.
Chaleureuse comme glaciale les jours de Mistral, populaire et provinciale-bourgeoise, parfois même raffinée, Nîmes est une ville chic et choc. Elle maîtrise à la perfection les contradictions et pas seulement parce qu’on y trouve des feux rouges sur les ronds-points. QG de Cacharel et de la jet-set parisienne à une certaine époque (il faut remonter aux années 90), elle est aussi une ville où se répand la pauvreté à grande échelle. Capable de voter Mélenchon au premier tour d’une élection présidentielle mais de flatter la droite voire l’extrême droite aux élections locales. On la dit protestante, mais elle est aussi catholique, ou inversement. Riche d’un passé antique, mais désormais fière de son architecture contemporaine. Aussi Cévenole que Camarguaise, allez donc comprendre tout ça, vous !
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Malgré tout, Nîmes est une ville attachante parce qu’elle ne fait pas semblant. Elle est fidèle, parfois un peu trop (sur le point de maintenir dans son fauteuil un maire en place depuis 2001!). Mais pour accompagner ses Crocos, l’équipe de foot jusqu’en L1 en 2018, les Nîmois s’en sont donnés, du mal, et surtout de la voix. Depuis toujours, l’ambiance dans le stade des Crocos est unique et franchement, sans jouer les chauvins, très dynamique. Idem lorsqu’il faut remplir le Parnasse, tous derrière ses handballeurs. «Y’a de l’joie», comme dirait Trénet qui, d’ailleurs, ne venait pas de si loin…
Ce grain de folie nîmois est un atout tellement rare et unique. Son duende, que cette ville plurielle puise dans ses influences espagnoles voire andalouses, lui procure une âme sensible et à fleur de peau. Elle est flamenca dans ses gênes, touchante et rebelle, secrète et colérique, chaleureuse et capricieuse… Nîmes n’est pas comme les autres, et ne veut ou ne peut pas plaire à tout le monde. Elle baigne dans une lumière franche, indomptable. Il faut donc faire preuve de patience pour apprivoiser cette ville au capital sympathie XXL. N’ignorant ni ses défauts, ni ses faiblesses, je fais partie du fan club, ad vidam eternam.
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