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Ville de la semaine: Honfleur

«Un port ravissant plein de mâts, et de voiles, couronné de collines vertes, entouré de maisons étroites»

Par
Emmanuelle Dreyfus
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Cette semaine, on enfile sa plus belle marinière et on prend la direction de l’estuaire de la Seine (en rêve, hein) pour rejoindre le berceau de l’impressionnisme et ses 50 nuances de bleu et de vert. Deux jours avant l’annonce du confinement, on s’est dit, l’esprit encore insouciant : « Et si on allait voir la mer ? ». Direction Honfleur, une pépite normande qui n’a pas souffert des bombes durant la deuxième Guerre Mondiale.

Victor Hugo écrivait en 1836, Honfleur est «un port ravissant plein de mâts, et de voiles, couronné de collines vertes, entouré de maisons étroites». Quid aujourd’hui ? Malgré un bond de deux siècles, la bourgade donne l’impression d’avoir été conservée dans le formol ! Alors qu’on ne sait pas encore quand on pourra à nouveau humer l’air marin et sentir les effluves florales, on se surprend à vouloir explorer l’Hexagone, car ce n’est pas demain qu’on pourra s’autoriser des long-courriers. Alors on redécouvre le romantisme désuet des stations balnéaires de la Côte Fleurie et de la Vallée d’Auge.

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Un décor de carte postale

On entendrait presque claquer les fers des chevaux sur les pavés irréguliers qui habillent les ruelles fleuries de cette petite bourgade qui est tout de même la 4e attraction touristique de France ! En ces premiers jours de mars ensoleillés, je n’aurais pas imaginé un seul instant que pas moins de 3,5 millions de touristes se pressaient chaque année pour matraquer les maisons à colombages et écailles d’ardoises étroites collés-serrés sur les quais embrassant le Vieux Bassin, les barques de pêche et vieux gréements se reposant sur les eaux calmes du port gardé par la Lieutenance. Sans le savoir, c’était la période idéale pour profiter de la lumière incomparable d’Honfleur, à la croisée des flots de la Manche et de l’Estuaire de la Seine, celle qui tapa dans l’œil de nombreux peintres.

Cliché romantico-artistique suranné ? Assurément ! C’est qu’il en est passé du monde par ici : Monet, Corot, Courbet, Alphonse Allais, Baudelaire, Victor Hugo, Erik Satie (à voir absolument Les Maisons Satie), Françoise Sagan… Honfleur a autant inspiré les plumes que les pinceaux. Difficile, avouons-le, de résister à ce charme désuet qui convoque les muses. Sur l’échelle du kiff, le p’tit canon en terrasse sur le quai Sainte-Catherine quasi désert, marque pas mal de points.

Un bassin impressionniste

Cité des peintres, la ville maritime a été en effet croquée sous tous les angles et à toutes les heures de journée. Car la palette de couleurs et la lumière qui l’accompagne n’est jamais deux fois la même, il suffit même d’un espace-temps de 5 minutes, pour observer un bleu océanique qui s’enivre brutalement de vert. Ces variations de teintes, où le ciel se confond parfois avec l’eau ont durablement imprimer les rétines des peintres de l’école de Fontainebleau et de Barbizon qui dès la seconde moitié du XIXe siècle viennent s’installer à l’auberge Saint-Siméon pour se régaler autant des bons plats de la mère Toutain que de la vue.

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Eugène Boudin, surnommé « Le roi des ciels », né à Honfleur, venait souvent se reposer dans cette enceinte bucolique qu’il fit découvrir, entre autres, à Claude Monet et Jongkind. L’auteur bien plus tard des Nymphéas est complètement subjugué par ces lieux. « Tous les jours, je découvre des choses encore plus belles, c’est à en devenir fou ! Tellement j’ai envie de tout faire… La tête m’en pète !… On est admirablement à Saint-Siméon !… » Dans ce bouillonnement artistique où poètes et écrivains s’invitent, l’École de Honfleur née dans ce qu’est devenue la Ferme Saint-Siméon, un hôtel de luxe, gardien de l’histoire du mouvement impressionniste. On s’attable là-même où Courbet et Baudelaire échangeaient sur la poésie des paysages, et on peut même dormir dans la chambre de Monet avec vue imprenable sur l’estuaire. Ce n’est certes plus la modeste hostellerie d’antan où se jouait des coudes nombres d’artistes issus de courants différents, des aquarellistes anglais dont Turner aux pointillistes Georges Seurat ou Paul Signac en passant par le fauviste Raoul Duffy, mais la plongée dans l’histoire opère grâce à Xavier Parent, concierge depuis 1987 intarissable en anecdotes. Si le décor semble être resté à l’identique, au loin l’industrialisation avec ses cheminée des usines pétrochimiques, ne passent pas inaperçues, tout comme l’impressionnant pont de Normandie qui complète le panorama actuel. Fort heureusement, ciel, nuages, mer et bocages ont gardé leurs couleurs !

Sainte-Catherine, une curiosité

Pas de ports sans marins ! Sainte-Catherine c’est justement le quartier des pêcheurs mais aussi le plus pittoresque avec son lacis de rues pavées, ses maisons à pans de bois, son église elle aussi en bois et son clocher séparé pour ne pas fragiliser la charpente. On se sent comme dans un film de cape et d’épée même si les corsaires et flibustiers ont déserté depuis longtemps. Entre chien et loup, quand les derniers rayons de lumières s’évanouissent, il y règne une atmosphère théâtrale, du moins hors saison. Car l’on n’ose pas imaginer le changement de registre quand toutes les boutiques et galeries à touristes déballent leur camelotes, tout d’un coup l’imaginaire se retrouve bridé et Honfleur classée directement dans les destinations à fuir. Bon, ce serait une erreur, car qui n’est jamais entré dans un église bâtie toute en bois, ne connaîtra jamais cette sensation étrange de ne plus être dans un lieu de culte froid où les sons ricochent, réverbèrent et résonnent. On est, au contraire, surpris par l’ambiance feutrée de cet édifice unique en son genre, édifié par les maîtres de chantiers navals au lendemain de la guerre de Cent ans qui ont conçu des nefs en forme de coques de bateau renversées.

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Vue d’en-haut

Ce n’est pas un secret, la cuisine normande n’est pas des plus légères (crème, cidre et beurre, sont la base) et on ne saurait vous conseiller d’aller déjeuner à l’Auberge de la Source, à 4 kilomètres du centre où le chef, Yannick Bernouin, mitonne entre autres des suprêmes de volaille, crème vallée d’Auge et gratin dauphinois. Cette petite digression sert à introduire, une idée de promenade digestive, pour les marcheurs qui se tenteraient l’aller-retour à pied. Sur le chemin du retour, on emprunte la Côté de Grâce pour profiter du Panorama Mont Joli, le plus beau point de vue sur la ville. Mais le clou de ce détour, c’est une chapelle construite au XVIIe siècles toute tapissée d’ex-voto déposés par les pêcheurs de retour sur la terre ferme, sains et saufs. Chaque année, le week-end de la Pentecôte donne lieu à une procession des marins et pêcheurs de Honfleur, jusqu’à la chapelle Notre-Dame-de-Grâce. Mais il faudra sans doute attendre 2021 cette fois…

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Lors de cette escapade, on a certes vu la mer, mais qu’on se le dise, ce ne sont pas les plages qui font la réputation d’Honfleur… Pour la baignade, on privilégie soit Deauville ou encore mieux, Etretat.

Mais aussi…

Si l’envie vous prend, ne vous privez pas non plus d’aller voir: le musée Eugène Boudin qui présente quelques marines de l’enfant du pays, et maître de Monet; les Maisons Satie pour découvrir l’univers du musicien dans une scénographie musicale; Naturospace, la plus grande serre tropicale à papillons de France; le musée d’Alphonse, le plus petit de France renferme une collection d’inventions et d’objets vraiment insolites comme les boules Quies noires pour les personnes en deuil ou la machine à rendre impure l’eau potable. Et sinon vous pouvez aussi prendre le large en grimpant à bord d’un bateau… Bon vent!