Logo

Ville de la semaine : Cannes

Non, il n'y a pas que le festival du côté de la Croisette.

Par
Audrey Barbier
Publicité

L’histoire du Petit Chaperon Rouge pourrait se passer à Cannes, à la différence près qu’il porterait une cape signée Chanel et des Louboutin.

1. Les loges du Festival

Décollons immédiatement la grosse étiquette qui vient à l’esprit lorsqu’on mentionne le nom de ma ville, et tranchons dans le vif sur le champ. L’attrait majeur qui fait parler de Cannes depuis plus de 70 ans est le Festival International du Film. Communément appelé FIF chez nous, il fait partie intégrante de ta vie lorsque tu grandis à Cannes. Extérieurement considéré comme un festival superficiel où luxe, beauté et argent sont les mots souvent utilisés par les médias pour le décrire, il est surtout synonyme de fun pour nous. Résidant à l’année au coeur ou autour du noyau principal du centre-ville, nous voyons notre quartier revêtir ses plus beaux atours à quelques jours du début des festivités. La ville se transforme en un parc d’attraction, le prix d’un coca dans un bar atteint des sommets, et c’est tout le personnel hôtelier et les commerçants qui retiennent leur souffle. Qu’importe, c’est le festival et l’occasion pour nous d’en profiter.

Publicité

Adolescente, c’était l’excuse parfaite pour faire tout et n’importe quoi, sous prétexte que. Nous quittions l’école bien trop tôt, laissant des professeurs outrés, pour nous habiller nous aussi de nos meilleures allures, dans l’espoir de 1/ Paraître plus vieux; 2/ Réussir à entrer dans les soirées les plus VIP de la ville. Ce qui sera donc arrivé plusieurs fois et nous aura permis de rencontrer différentes personnalités. À l’époque (ça y est je parle comme ma grand-mère), le système de sécurité était plus flexible, la peur d’un attentat ou autre, moins omniprésente. Il n’était alors pas rare de croiser les stars dans la rue, ou à la terrasse d’un café. Certaines étaient même très ouvertes et sympas, dont ressortent notamment de mes souvenirs quelques mots échangés avec Angelina Jolie, Tarantino, Bill Murray ou Tim Burton. De plus, il nous était possible également de grimper sur le toit du Palais des Festivals pour assister secrètement à la cérémonie d’ouverture. Absolument impossible de nos jours, à moins de soudoyer le sniper planqué là-haut !

2. Le Marché Forville

Lorsque la ville retrouve son calme, elle reprend ses habitudes. L’une d’elles, convoitée de tous, est le plaisir de faire ses emplettes au Marché Forville. Très attachés à nos senteurs, épices et produits frais locaux, descendre à pied faire son marché est un moment absolument délicieux. Avec ses pavés usés, ses arcades orangées et sa grande horloge, le Marché Forville renferme plus d’un trésor. Pour s’y rendre, il est clairement recommandé d’oublier la voiture, et préférer l’usage d’un vélo, d’un scooter, ou simplement de ses jambes. À deux minutes du Vieux Port et de la rue d’Antibes, rue phare pour celui qui désire sa journée shopping et brûler sa carte de crédit jusqu’au dernier cent, tu feras ton marché seul ou à plusieurs, jeune ou vieux, classique ou excentrique, mais surtout, avec sourire et bonne humeur.

Publicité

Parce que s’il y a bien une chose que je retiens de ce moment-là, c’est la détente suprême. Il m’arrivait d’enfourcher ma petite Vespa jusqu’au marché juste pour m’y relaxer. Et le marché tient ses promesses ! L’odeur enivrante des fleurs, le sourire du fromager lorsque tu goûtes ses produits, la vieille dame suppliante « Ma petite, viens goûter mes tomates Coeur de boeuf, elles sont si sucrées ! » Et les enfants qui courent dans tes jambes, les chiens à la truffe béante, les marchands criant à la qualité, sans oublier ceux attablés chez le vigneron le temps d’un petit blanc frais, accompagné d’une tapenade avant de rentrer pour le lunch. Je me souviens de cette dame adorable, dont les deux yeux ne s’accordaient pas sur la même direction, qui m’apprenait au fil des semaines la culture des graines germées, leurs propriétés, et les plats dans lesquels tu pouvais les apprécier à leur juste saveur.

Publicité

3. Fromage, église et Irish Coffee

Si t’as l’humeur baladeuse après cette pause au marché, tu peux toujours te faufiler par les rues de la vieille ville et grimper jusqu’à la terrasse d’un bistro du sud comme on les aime chez nous, où le chef se fera un plaisir de s’occuper de toi jusqu’à l’orgasme (culinaire, j’entends). Petit conseil: prendre l’apéro à La Cava, la carte des vins est incroyable.

Ici, nous sommes au coeur du Suquet, la vieille ville, qui rejoint en son sommet la magnifique église du même nom, prédominant le Vieux Port qui reçoit chaque année des milliers de visiteurs internationaux, venus admirer des voiliers plus somptueux les uns que les autres, exposés lors du Salon Nautique. Au Suquet, on s’y installait souvent pour boire du vin en mangeant un bon camembert entre potes, parce que même si la plupart des ados boivent de la bière, nous on buvait surtout du vin.

Publicité

Cliché pour une Française, je te l’accorde. Excellente place, surplombant la ville, la baie, ses plages et les collines au fond. Quand le camembert est fini, on redescend jusqu’au Quay’s, pub anglais installé sur le quai du Vieux Port, et on se fait un Irish Coffee ou une pinte de Guinness en écoutant un band de rock, avant de rentrer dormir. À deux pas, on se retrouvait sur la digue près du phare, qui est un excellent spot pour regarder les vagues énormes se briser en période de tempêtes. Notons par ailleurs qu’en suivant le numéro des plages le long de la côte, on avait le plaisir d’y voir les surfeurs, torses nus ou pas, selon les températures. Cannes et ses allures hawaïennes, ça n’a pas de prix !

4. String panthère, béret et saucisson

Restons sur le littoral pour se rappeler également de bons souvenirs: les soirées plage. L’avantage quand tu grandis dans une région du sud de la France, c’est qu’il fait vraiment froid, un mois par an, c’est-à-dire 2 ou 3°c, et tout le monde chiale. Absolument ridicule pour un habitant d’Amérique du Nord, nous en conviendrons ! Il n’est pas rare de voir les gens continuer à se rendre à la plage jusqu’en novembre, et commencer à bronzer dès les premiers jours de mars. J’ouvre à ce propos une petite parenthèse pour te dire combien il est drôle de voir les habitants accrocs au soleil, la peau tannée simili cuir, ou les retraités en string discuter au bord de l’eau avec leur béret !

Publicité

Revenons maintenant à nos soirées. Je me souviens comme il était facile de faire une bonne soirée avec rien. Un coup de fil, on se retrouvait tous dans une épicerie pour acheter une bouteille de vin, du saucisson dit « sauciflard », un gros fromage dit « calendos » et une baguette de pain frais. Le tout pour à peine quelques euros s’il vous plaît. Assis les pieds dans le sable pendant des heures, quelques odeurs de barbecues provenant d’autres voisins de mer, les soirées se déroulaient ainsi, dans la plus belle simplicité. Allant parfois jusqu’au matin, nous profitions du lever du soleil sur une eau limpide. Ce sont les meilleurs souvenirs de soirée entre amis que je garde.

5. Cannes peut se vanter d’avoir ses Caraïbes

Dans le même ton, il y a les Îles de Lérins. Tu retrouves certaines de leurs images dans le célèbre film de Randall Wallace L’homme au Masque de Fer, mettant en vedette notre cher Léonardo Di Caprio dans le rôle de Louis IV. Bien que haut lieu d’un parcours touristique pour des vacances dans le sud, au même titre qu’un Saint Tropez ou Monaco, les Îles de Lérins vont de paire avec la délicieuse atmosphère provençale, cigales mélodieuses et vapeurs de pastis de mise. Évidemment, les îles sont plus appréciées en basse saison, là où elles retrouvent leur calme et toi, de la place. NB: les Îles de Lérins sont deux: Saint Honorat et Sainte Marguerite. La première est surtout visitée pour son monastère et les retraites spirituelles qu’elle propose.

Publicité

Un jour d’automne, vers l’âge de 14 ans, nous étions partis, un ami et moi, pour l’après-midi. Absorbés par la découverte d’un vieux cimetière face à la mer, nous avions oublié de prendre le dernier bateau à temps. Les îles étant peu fréquentées à cette période, personne n’était là pour nous le rappeler. Nos parents n’étaient pas au courant de notre escapade, sans compter que le cellulaire dans les 90’s était aussi rare qu’une fille classe sur le boulevard Saint Laurent en période de Grand Prix. D’abord inquiets, nous avons très vite trouvé la situation aventureuse, et il nous aura fallu moins de quinze minutes avant de nous considérer comme de jeunes Indiana Jones. Mais lorsque la nuit est tombée, accompagnée du froid et de la pluie, notre excitation s’est amoindrie. Après avoir imaginé que nous serions capables de voler un bateau de pêche pour faire la traversée, nous nous sommes finalement résignés à dormir dans la coque d’un voilier sur la plage. Le lendemain matin, aux alentours de 6h, les pompiers sont venus nous chercher. Une bonne raclée de nos parents nous attendait au port, mais le souvenir de cette nuit reste absolument génial !

Publicité

6. Le malheur des uns fait le bonheur des autres

Un autre souvenir vraiment cool de mon enfance là-bas, c’est les maisons abandonnées. Ok, ça donne des allures bizarres au contexte mais tu vas comprendre. Faut savoir que la ville est surplombée par une colline, peuplée de villas et appartements de luxe, dont le prix exorbitant se justifie par la vue imprenable sur la mer, et les raretés des emplacements disponibles de nos jours. On l’appelle modestement La Californie, ou Super Cannes, selon ta position. Beaucoup de millionnaires, pour la plupart des émirs, ou des russes, signent des permis de construire frauduleux pour se faire ériger des palais, au sens figuré du terme. Quoique. En cours de construction, la ville s’en rend compte et leur interdit de poursuivre l’édifice, jugé non conforme. Ceux-ci restent à l’abandon pendant des mois, voire des années, ouverts à n’importe qui. À quoi s’ajoutent de somptueuses résidences secondaires, désertes durant l’année. Voilà de quoi te concocter des après-midi sympas entre potes, ou des gros partys à plusieurs.

Publicité

Même deal avec certains yachts, dans lesquels il est toutefois moins facile de s’introduire. Le gardien du port n’est jamais très loin et connaît la plupart des propriétaires. Ce qui me rappelle d’ailleurs que durant l’été de mes 19 ans je travaillais sur une plage privée. Un soir, le jeune fils d’un émir me proposait de passer la nuit avec lui sur son bateau pour la modique somme de 3000 euros. Bien que parfois ingénue à cette âge, je préférais ramasser mes pourboires plutôt que ma dignité à la petite cuillère. À l’heure où la virginité s’estime aux enchères, ce sera dur à croire pour certains.

7. L’exhibitionniste du dimanche et mon chien Norbert

Non loin du quartier où j’ai grandi, un autre lieu a marqué mon adolescence pas mal folle, entre nous, je dois bien l’avouer. La Croix-des-Gardes, est une colline flanquée d’une croix en son sommet, un peu comme celle qui trône fièrement au sommet du Mont-Royal à Montréal. Au-delà de la grand-mère qui promène gentiment son chien Norbert, des enfants à bicyclette et des amoureux du dimanche, se planquent derrière les arbres à feuillage dense, des hommes et des femmes à la recherche de moments de plaisir volés. Dis comme ça, tu pourrais presque sentir ton côté sauvageonne se réveiller, pourtant crois-moi, ce qu’il se passe en ces lieux est bien moins glamour. Trafic de drogue, ok, dans les bois on s’en doute. Prostitution, ok, les Bois de Boulogne ont fait leur petit effet. Mais te faire proposer à 15 ans une partouze vers 14h30, alors que tu sirotes ton Candy-Up à la fraise en lisant Guy de Maupassant avec tes potes d’école face à la mer, au pied de la croix susmentionnée ? C’est moyen.

Publicité

Naïve, je pensais que 1/ Cela ne m’arriverait jamais; 2/ Seule la nuit laissait apparaître ces gens-là. Je n’sais pas, je devais les prendre pour des vampires, va savoir. L’histoire ne s’arrête pas là. Il était une fois, un beau dimanche ensoleillé. Grand-maman et moi promenions Norbert le chien, lorsqu’un homme fort aimable eut l’extrême générosité de nous montrer son zizi -lequel se trouvait dans une position fort agressive- après avoir eu l’élégance d’ouvrir son long manteau de cuir noir sous lequel se dévoilait un corps nu. Pauvre Norbert, je le revois mettre ses pattes sur ses yeux apeurés.

Publicité

8. Un tour au village et une poignée de lavande

Là, il me reste seulement trois points pour te parler de ma ville. L’étau se resserre et il devient difficile de faire le bon choix. Toutefois, la vie est ainsi faite, trop souvent frustrante. C’est donc un peu plus loin de ma ville que je t’emmène cette fois. En effet, cet endroit n’est pas dissociable de Cannes dans laquelle j’ai passé ma jeunesse. Élevée principalement par ma grand-mère, j’ai passé bon nombre de dimanches à me promener dans les villages de l’arrière-pays cannois. Nichés en campagne, dans la montagne ou près de la rivière, les véritables bijoux que sont ces villages provençaux s’inscrivent dans la lignée des valeurs inoubliables du sud qui font le charme de ma région.

Valbonne, où nous passions mon cousin et moi toutes nos vacances chez ma grand-mère, est un village qui, malgré son embourgeoisement récent, a su conserver sa beauté et son âme. La place principale, cernée d’arcades vieilles de quelques centaines d’années, apporte un coeur chaleureux aux longues soirées d’été. Gourdon, second village, quasiment désert hors saison, offre un pain d’épice tout à fait délicieux et une vue imprenable sur toute la côte. Au hasard des rues, on hume le thym, le basilic, la lavande, le romarin, le caramel ou la guimauve parsemer les embruns.

Publicité

9. Nudisme et Grand Canyon

Un autre lieu symbolique: les montagnes rouges qui se dévoilent lorsqu’on prend la direction du Var, par le bord de mer. J’ai toujours imaginé, dans mes rêveries d’enfant, que c’était notre Grand Canyon à nous. Chacun sur nos Vespa, les cheveux au vent, la chansonnette facile, quelques moucherons sur les dents et la serviette autour du cou, on partait vers Théoule-sur-mer et La Pointe de l’Aiguille. La contrainte de marcher dans les cailloux sous le soleil du mois d’août pour se trouver une crique adéquate où poser nos affaires pour la journée, n’avaient d’égal l’excitation de sauter des plus hauts rochers. J’ai grandi dans une ambiance où le skate, le rock, le surf et l’inconscience se conjuguaient admirablement avec le quotidien. Pour trouver ce genre d’endroits, il te faut prendre la route en direction du Trayas, et te garer là où tu peux sur le bord de la route lorsque ça commence à monter, et partir ensuite à la chasse du meilleur spot. Prendre garde toutefois à bien regarder où on pose ses affaires car les nudistes aussi ont la patience de chercher l’endroit le plus tranquille.

Publicité

10. Un skateboard pour le capitaine s’il-vous-plaît

Pour conclure cet agréable moment de nostalgie passé avec toi, j’ai eu envie de te faire revenir là où tout a commencé. Les potes, l’amour, les conneries, les doutes, les premiers kiss, et les cigarettes qu’on fume mal pour paraître plus vieux et cool.

C’est à la capitainerie du Port Canto (dit La Capit’), et au Sun7 (désormais fermé), LE bar de notre jeunesse, que l’apprentissage de la vie est né. J’y ai connu mon premier amour, mes premières longues et vraies amitiés, j’y ai bu mes premières pintes, fumé mes premières cigarettes, accroupie derrière un palmier avec deux copines dont l’une d’elles vomissait après trois bouffées. Toute la journée, on jasait de tout, de rien, on faisait du skate surtout, et on rigolait. La capitainerie est toujours là, prise d’assaut par les générations suivantes. En grandissant, nous avons bougé un peu plus loin sur la Croisette, là où des bassins vides servaient à réaliser les meilleures shoots de skate, et où le 3PLAT4 (constitué de trois marches, un plat, et quatre marches) devenait notre berceau. Au Sun7, avec une copine, on y rejoignait la nuit nos amoureux, après avoir descendu deux étages accrochées à un drap. J’ai fait des centaines et des centaines de kilomètres sur le dos de cette Vespa, vu défiler ces décors de carte postale qui jonchaient ma vie. Je ris parfois lorsque les gens me disent « Tu viens de Cannes ? Hmmm t’es une bourgeoise superficielle alors ?! » Sous prétexte d’humour, avec un fond de vérité. Parce que dans mon coeur, mon Cannes à moi, il ressemble à une balade en Provence, avec peut-être au loin, dans le fond du tableau, Paris Hilton qui promène son rat au prénom de fée. Très loin.

Publicité