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Vie et mort du swipe : que reste-t-il des applications de rencontre en 2022 ?

Entre lettres manuscrites, tendance « Régence » et angoisse du choix.

Par
Laïma A. Gérald
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Ça fait environ 10 ans que les applications de dating sont dans nos vies. Si celles-ci nous promettaient de faciliter nos rencontres romantiques et sexuelles en multipliant les possibilités, plusieurs utilisateurs et utilisatrices se butent aujourd’hui à l’angoisse du choix.

Et si on ajoute ladite angoisse à la peur du dating ressentie par certaines personnes célibataires au sortir de la pandémie, FODA (Fear of dating again ou la peur de dater à nouveau) pour les intimes, que reste-t-il du swipe en 2022 ?

PS – JE T’AIME !

Depuis quelques semaines, j’entends parler d’une tendance japonaise qui pique vraiment ma curiosité.

Plusieurs médias de partout dans le monde ont rapporté que la municipalité de Miyazaki mise sur les échanges de lettres pour favoriser les rencontres amoureuses.

Comment ? En encourageant les célibataires à investir dans les bons vieux papiers et crayons pour trouver l’âme sœur, et ainsi stimuler le faible taux de natalité.

«IL FAUT CHOISIR CHAQUE MOT AVEC SON CŒUR, EN PENSANT À LA PERSONNE À QUI L’ON ÉCRIT. C’EST CE QUI REND LES LETTRES SI PUISSANTES.»

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Rie Miyata, à la tête de l’entreprise commissionnée par la ville nippone pour mener cette initiative, affirme à l’AFP que comparativement aux applications de rencontre en ligne, « cela prend plus de temps et pousse chacun à imaginer la personne avec qui il communique. […] Ce n’est pas tant une histoire de plume. […] Il faut surtout choisir chaque mot avec son cœur, en pensant à la personne à qui l’on écrit. C’est ce qui rend les lettres si puissantes. »

On est loin des vulgaires « t debout ? » impersonnels nonchalamment envoyés à trois ou quatre dates à 1 h du matin, n’est-ce pas?

Depuis le début du projet lancé en 2020, environ 450 personnes se sont inscrites, soit le double des attentes initiales. Et détrompez-vous : ce ne sont pas que des personnes âgées, puisque 70 % des participant.e.s ont entre 20 et 30 ans.

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En lisant sur le projet, j’ai appris qu’à la manière d’une agence de rencontre, c’est Mme Miyata et son équipe qui assurent les matchs, à partir de quelques informations fournies par les célibataires : films et livres favoris, passe-temps préférés, valeurs fondamentales, etc.

Une fois le duo formé, les seuls détails dont on dispose sur son correspondant ou sa correspondante sont son nom, son âge, son métier et son adresse. Contrairement aux applications et aux sites de rencontre, aucune photo de profil n’est disponible.

32 PAIRES DE CÉLIBATAIRES SE SONT RENCONTRÉES DANS LA VIE RÉELLE, ET 17 COUPLES SE SONT LANCÉS DANS UNE HISTOIRE D’AMOUR.

« L’apparence est souvent décisive pour chercher son partenaire, mais dans les lettres, vous êtes jugé selon votre personnalité », explique l’entremetteuse de métier. Elle précise que les lettres sont d’abord envoyées à son équipe, qui vérifie l’absence d’obscénités ou d’insultes avant de les transmettre aux destinataires.

« Ok, mais est-ce que ça marche ? », vous demandez-vous.

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Eh bien, sachez qu’au moment d’écrire ces lignes, 32 paires de célibataires se sont rencontrées dans la vie réelle, et 17 couples se sont lancés dans une histoire d’amour.

Ça donne de l’espoir aux cœurs à prendre !

LA TENDANCE BRIDGERTON

À moins de vivre sous une roche, vous avez sans doute entendu parler de la très populaire série La Chronique des Bridgerton, dont la deuxième saison est sortie en mars 2022 sur Netflix.

L’histoire, basée sur la série de livres du même titre de Julia Quinn, se déroule dans la haute société londonienne lors de la Régence anglaise du 19e siècle. L’intrigue se concentre sur deux familles, les Bridgerton et les Featherington.

Avis à tous nos lecteurs et lectrices célibataires : si vous n’êtes plus capables des messages un peu grossiers de type « Salut sa va » et « Kesss tu fé » vous allez être content.e.s : la tendance Régence est de retour !

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Et oui, La Chronique des Bridgerton aurait bel et bien un impact sur la drague en ligne.

Des données récoltées entre février 2020 et mars 2022 par Tinder montrent une augmentation spectaculaire des mentions de certaines expressions très vintage dans les bios des utilisateurs et utilisatrices.

LA FRÉQUENCE DE L’EXPRESSION « FAIRE LA COUR » AURAIT AUGMENTÉ DE 81 % DANS LES BIOGRAPHIES DES UTILISATEURS ET UTILISATRICES, PAR RAPPORT À FÉVRIER 2020.

Selon l’application de rencontre popularisée en 2012, la fréquence de l’expression « faire la cour » aurait augmenté de 81 % dans les biographies des utilisateurs et utilisatrices, par rapport à février 2020. Précisons d’ailleurs que ces données concernent les utilisatrices et utilisateurs âgés de 18 à 25 ans, ce qui signifie que les célibataires de la génération Z semblent montrer un intérêt pour des formes de romantisme plus traditionnelles.

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Parmi les autres termes relevés dans les bios Tinder, l’expression « débutante » (comme dans Bal des débutant.e.s) a été utilisée 10 % plus souvent qu’en 2020 et une hausse de 12 % a été observée pour le verbe « courtiser ».

Les mots « duchesse » et « prétendant » sont aussi beaucoup plus populaires sur l’application.

Pour appuyer cette tendance, l’équipe de Tinder a conçu un petit guide de la drague à la mode « Régence » : le guide de « Lady Tinderdown », en référence au personnage de la série, Lady Whistledown.

Ce guide propose une traduction moderne de grandes envolées romantiques qui vous permettront de séduire celui ou celle qui fait battre votre coeur, du moins à travers votre écran.

Au lieu de demander « Comment peux-tu être encore célibataire ? », vous pourriez écrire « « Je présume que ton affection est déjà engagée ».

Voici d’autres exemples :

« Tu es réveillé.e ? » devient « Je brûle pour toi ».

« Je sais que tu m’as stalké sur tous les réseaux sociaux » devient « Dois-je honnêtement croire que vous ne connaissez pas déjà mon nom? »

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« Ne me laisse pas en plan » devient « La chose la plus parfaite à faire maintenant n’est pas de danser, mais de les laisser sur leur faim ».

« Tu es exactement mon genre sur papier » devient « Tu es la perfection même ».

Bien qu’il y ait quelque chose de romantique et de fleur bleue là-dedans, j’espère tout de même que les femmes font aussi la cour aux hommes, et que ça ne laisse pas présager un univers où ce ne sont que les hommes qui font les premiers pas.

La tendance Régence sera féministe ou ne sera pas !

Netflix
Netflix
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LA MORT DU SWIPE ?

Toutes ces lectures sur la tendance Régence m’ont fait penser à une étude canadienne récente parue dans New Media & Society, s’intéressant à l’état des applications de rencontre comme Tinder, Bumble et Match.com.

L’étude traite de la manière dont les applications de rencontre ont dû transformer leur modèle d’affaires depuis le début de la pandémie.

L’ÉQUIPE DE RECHERCHE RESPONSABLE DE L’ÉTUDE A CONSTATÉ UN VIRAGE VERS L’AUTHENTICITÉ, L’AMOUR ET LE ROMANTISME.

C’est qu’avant la pandémie, les applications de rencontre permettaient aux célibataires de faire des rencontres instantanées. Mais avec la crise sanitaire et la nécessité de pratiquer la distanciation physique, ces entreprises ne pouvaient éthiquement pas faire la promotion du « PRÉSENTIEL » (clin d’œil appuyé).

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Les applications de rencontre ont donc dû innover pour proposer d’autres options. Certaines ont mis au point leur propre outil d’appel vidéo, alors que d’autres ont publié des articles et des conseils pour pimenter les rencontres virtuelles – qu’on parle d’appels téléphoniques, de Facetime, etc. – et ont modifié leur logo pour accentuer l’effet « chez-soi ».

Au travers de ce nouveau virage, l’équipe de recherche responsable de l’étude a constaté un virage vers l’authenticité, l’amour et le romantisme. Les scientifiques soulignent que dans ce contexte hautement inhabituel de pandémique mondiale, les applications ont cherché à recréer un semblant de normalité sociale en valorisant la confiance, la monogamie et le mariage.

« Beaucoup de gens veulent s’ancrer en cherchant les relations, les affinités et la stabilité émotionnelle », affirme le chercheur Chris Dietzel.

À l’heure actuelle, la société amorce sa sortie de pandémie, mais plusieurs spécialistes en sciences humaines croient que les applications de rencontre conserveront quelques-unes de leurs nouvelles fonctionnalités, valorisant l’amour durable plutôt qu’éphémère.

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La chercheuse en communications Stéfanie Duguay croit d’ailleurs que « les applications de rencontre pourront recommencer à mettre de l’avant les rencontres en personne et les contacts physiques, tout en encourageant les utilisateurs à prendre leur temps ».

TROP DE CHOIX TUE LE CHOIX?

Dans son excellent blogue sexo-féministe La tête dans le cul, la sexologue et autrice Myriam Daguzan-Bernier, propose un article fouillé sur la question du dating virtuel : Applications de rencontre : est-ce que trop de choix tue l’amour?

«LORSQU’IL Y A TROP DE CHOIX, NOTRE PROCESSUS DÉCISIONNEL S’ENCLENCHE, MAIS IL SE BUTE À… D’AUTRES CHOIX. […] CELA VOUS MÈNE À CE QU’ON APPELLE LE “RELATIONSHOPPING”»

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On y apprend entre autres que selon une étude de 2022 intitulée The agony of partner choice: The effect of excessive partner availability on fear of being single, self-esteem, and partner choice overload [L’agonie du choix du partenaire : l’effet d’une disponibilité excessive du partenaire sur la peur d’être célibataire, l’estime de soi et la surcharge de choix], on recommande d’éviter le défilement ou le balayage des profils à l’infini.

En bref : est-ce que trop de choix tue le choix ?

« Lorsqu’il y a trop de choix, notre processus décisionnel s’enclenche, mais il se bute à… d’autres choix, écrit la sexologue sur son blogue. Le tout devient tellement épuisant qu’on préfère souvent ne rien choisir. Donc, pour le dating, vous avez d’abord le choix de l’app que vous voulez utiliser. Ensuite, l’app elle-même vous propose des options (encore plus depuis la pandémie). Et après, vous tombez dans le gigantesque bassin de partenaires potentiels. Cela vous mène à ce qu’on appelle le “relationshopping”. ».

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Avouez que ces informations donnent envie d’écrire des lettres à son prétendant ou sa prétendante, non ?