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Victoire du Maroc contre l’Espagne : miracle dans le “Petit Maghreb” de Montréal

Alors que les Marocains affrontent le Portugal ce samedi, retour sur une journée historique.

Par
Jean Bourbeau
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Les Lions de l’Atlas réussiront-ils à écrire une page d’histoire et à se qualifier pour leurs premiers quarts de finale ? L’équipe Cendrillon est en train de devenir la coqueluche de la Coupe du monde de foot.

À défaut de ne pas couvrir l’événement au stade de Doha, à Casablanca ou à Barcelone, me voilà à déambuler, mardi matin, sur Jean-Talon Est au cœur du Petit Maghreb à Montréal. N’ayant pas la moindre idée où regarder le match, je me laisse guider par trois jeunes habillés de maillots rouge et vert. Un truc vieux comme le monde, me dis-je en entrant dans un café bondé nommé Le Sable d’Or.

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L’établissement est un café pour le moins dépaysant. Il fait office de resto, de quincaillerie, de pharmacie et de boutique de jouets, bref un magasin général où l’on peut acheter autant une paire de bas, une lampe de poche que des pâtisseries du pays. Avec bien sûr, en arrière-plan, une machine à espresso qui jamais ne dérougit.

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Dernière équipe africaine en lice à la suite de la chute des Lions de la Téranga aux pieds des Britanniques, la troupe du royaume chérifien n’amorce pas la rencontre favorite contre son adversaire ibérique. Maroc et Espagne, deux nations dont les récits se tressent à travers les siècles, deux cultures séparées par le détroit de Gibraltar, sont aujourd’hui ennemis sur le gazon qatari.

Le Maroc n’a à son dossier aucune victoire en Coupe du monde contre les champions de 2010. L’équipe est classée au 22e rang des forces en présence avec une valeur marchande quatre fois plus petite que son voisin européen.

Si quelques rares femmes semblent accompagner leurs conjoints dans ce souk diasporique où l’on s’échange accolades, poignées de main et sucre de table en table, l’endroit est surtout occupé par un contingent d’hommes de tous âges, les plus jeunes arrivant fièrement le drapeau noué au cou. Malgré l’effervescence d’avant-match, point de musique outre celle du téléviseur commenté en langue arabe et le murmure du stress ambiant.

Je déniche de justesse l’une des dernières places disponibles en me faufilant parmi cette forêt de manteaux gaufrés.

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Arborant la précieuse télécommande dans sa poche, on reconnaît vite qui est le patron. Ce dernier se fait le grand chef d’orchestre du Tetris des chaises. Juste avant le coup d’envoi, nous sommes bien cordé.e.s comme dans un théâtre populaire.

Pas de chants pour l’hymne national, mais tonnerre d’applaudissements et de sifflements au coup de départ, puis hop! on ferme les lumières, plongeant la salle dans l’obscurité du rituel. Le ballon rond se fait cinéma.

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Au cours d’une première demie enlevante, la puissance du tiki-taka ne réussit pas à étourdir les félins maghrébins. Menés par les fourberies acrobatiques de Boufal, ils jouent sans complexe et avec fougue. Dans la pièce, les sourires ne font pourtant que de courtes apparitions sur les visages, chaque action vient avec ses mains dans les airs. Le foot et ses traditions.

Mi-temps toujours sans pointage au tableau. Pour soulager le stress, la foule opte pour des petits gâteaux, joints et cigarettes sur la terrasse. Les deux baristas, qui portent d’ailleurs la même coiffe à la mode que les joueurs à l’écran, reprennent le grand bal des espressos.

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Au retour, la Roja appuie, jongle et met la pression sans pouvoir s’inscrire. L’avantage de la deuxième appartient aux hommes de Luis Enrique. L’aiguille du stress dans le café tangue vers le rouge. On me traduit quelques expressions. Mon cœur comme celui de mes voisins bat à toute allure. Une pleine salle gorgée à la caféine devant 120 minutes de foot sans un seul but est une expérience électrique.

Le sifflet se fait entendre. Les deux royautés iront en prolongation.

L’ambiance est si tendue que l’on pourrait aiguiser un koumia entre chaque vague d’applaudissements, tou.te.s impuissant.e.s devant le spectacle des attaques espagnoles qui frappent à la porte.

Poteau !

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Pendant de longues minutes supplémentaires en territoire marocain, les mains s’essuient le long des cuisses pour revenir couvrir les visages. Un spectacle proche de la torture, mais plus le cadran avance, plus l’inévitable devient une formalité. Le gagnant sera départagé aux penaltys.

Il n’y a pas plus tragique que les tirs de barrage. Le Saint-Graal du sport.

La salle se crispe comme l’espoir rejaillit. But du Maroc suivi d’un arrêt de Bounou, natif de Côte-Des-Neiges. Explosion. Un autre but des Lions, un autre arrêt du Montréalais d’origine. Le café chante le nom du héros. Le Maroc va l’emporter, oui, maintenant on y croit.

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Concrétisation de Hakimi avec une panenka mystificatrice que personne n’a vraiment vue à travers l’euphorie. Tempête de cris dans Le Sable d’Or. L’Espagne peut faire ses valises.

Pour la première fois, le Maroc atteindra les quarts de finale. Le café, les bras levés sur la ville, rugit. « C’est un grand jour pour notre pays ! Je n’ai jamais connu ça », me lance Ayman, dans la quarantaine, avec un regard émerveillé.

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Vite, il faut prendre la rue et danser l’Histoire sous la pluie de décembre. Le café se vide en un clin d’œil alors qu’une centaine de jeunes célèbrent bruyamment la victoire surprise tandis que les plus vieux les contemplent amusés, clope au bec et sourire impossible à effacer.

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Les forces de l’ordre bloquent plusieurs artères de l’arrondissement Saint-Michel, permettant à l’attroupement festif d’entonner en chœur des chants populaires. Les voitures prennent le quartier d’assaut et déambulent dans un océan de klaxons et de drapeaux rouges. Les négligés l’ont emporté.

Le rêve marocain peut continuer.