.jpg)
Victime de son succès, Marseille se vend à prix d’or
Marseille, trop chère ? En quelques années, les prix des logements de la deuxième ville de France ont explosé… La faute à la récente hype, additionnée aux confinements successifs et à la vétusté d’un parc immobilier que les Marseillais subissent sans arriver à s’en dépatouiller.
« C’est simple, j’ai arrêté de chercher », soupire Matteo en recrachant la fumée de sa roulée. Au beau milieu de la soirée, un verre de Ti-punch coincé entre les cuisses, le jeune homme rumine toujours son infortune : six mois qu’il tente d’acheter un trois pièces dans le quartier des Cinq-Avenues, sans succès. « À chaque annonce c’est le même constat, l’appart est beaucoup trop cher ou trop vite vendu… J’ai fini par lâcher l’affaire. » À voir le reste des convives opiner unanimement du chef, il n’est pas le seul concerné.
Le sujet est sur toutes les lèvres des Marseillais : jusqu’où les prix de l’immobilier vont-ils monter ? Passé le sentiment de fierté de voir leur ville enfin considérée comme une destination séduisante par le reste de leurs concitoyens, les habitants de la cité phocéenne n’ont pas tardé à regretter ce coup de projecteur. « Finalement, on était mieux quand tout le monde pensait qu’ici c’était la zone », constate Matteo.
Révolue l’époque où Marseille essuyait les railleries des Parisiens, champions dans l’art de moquer la rivale sudiste jugée trop pauvre, trop sale, trop dangereuse, trop cosmopolite… La pandémie aura eu raison de leur snobisme : pas un mois sans que la deuxième ville de France ne voie débarquer des hordes de Parigots – et pas qu’eux – trop contents de pouvoir télétravailler les pieds dans l’eau tout en boostant leur pouvoir d’achat. Ajoutez à ça un centre-ville et des immeubles en péril, des touristes avides de Airbnb et un parc immobilier rikiki… Et voyez Matteo se renfrogner : « À ce rythme-là, il n’y aura plus rien pour les Marseillais. »
« Parisien, rentre chez toi ! »
Il y a comme un air de déjà-vu : les Bordelais n’ont pas oublié 2017 et l’engouement pour la capitale girondine, conséquence directe de l’ouverture de la ligne TGV reliant Bordeaux à Paris. À l’époque, la ville avait subi une spectaculaire hausse des prix, dont les Franciliens avaient déjà été tenus responsables. Chassés du centre historique par des tarifs prohibitifs, les locaux n’avaient pas tardé à traduire leur agacement par des affiches sommant les nouveaux arrivants à rentrer au bercail.
À Marseille, sur les trottoirs de la corniche Kennedy, les slogans ont été recyclés. Si les origines de cet attrait soudain pour la cité phocéenne ne sont pas les mêmes que pour Bordeaux, la fronde des habitants reste comparable. Tracé à l’encre bleue face aux escaliers menant à l’anse de la Fausse Monnaie, le tag est sans équivoque : « Parisien, rentre chez toi ! ». À l’évidence, le message n’est pas passé.
« C’est la pandémie qui a rebattu les cartes », constate Christophe Lamazere, conseiller immobilier indépendant. « Le boom est clairement arrivé juste après le premier confinement. » Depuis juin 2020, l’agent commercial a vu s’allonger sa liste de clients parisiens, désireux d’acheter dans les 4e, 5e et 6e arrondissements, « plutôt proches de la gare Saint-Charles, ce qui facilite les aller-retours. » Avec l’avènement du télétravail, certains Franciliens semblent avoir trouvé la combinaison idéale : s’offrir un cadre de vie plus confortable, tout en continuant de télétravailler pour des salaires plus élevés que ceux des Marseillais.
« Ces arrondissements ont vu les prix des biens à vendre augmenter de 15 à 20 % », poursuit Christophe Lamazere. Avec l’arrivée de cette nouvelle faune, bars à vin, restos « bobo » et coffee shops ont instantanément fleuri le long de l’avenue Eugène Pierre, du boulevard Chave ou des rues du Cours Julien, signes manifestes d’une gentrification à laquelle la ville était jusqu’ici imperméable. « Pour 300 000 euros ici, on trouve un T3 ou un T4 d’au moins 80m2, ça change des surfaces parisiennes. »
Pauline et Ismaël* le reconnaissent, ils ont acheté leur appartement sans négocier. « À ce prix-là, avec deux chambres et une terrasse, pour nous c’était une affaire », se réjouissent encore les deux Parisiens, installés depuis peu dans un trois pièces proche de l’hôpital de la Timone. « On comprend l’hostilité des Marseillais, mais nous aussi on subissait les prix de la capitale… » Avec leurs salaires de documentaliste et de serveur, le couple peinait à payer un loyer d’environ 1700 euros. « On avait surtout fait une croix sur le fait de devenir propriétaire, c’est pratiquement impossible à Paris même avec d’assez bons revenus », argumente Pauline.
Mais d’après des locaux comme Matteo, le soufflé finira par retomber : « Quand ils vont se rendre compte que les transports en commun sont presque inexistants, qu’il n’y a pas une nouvelle expo tous les weekends et que l’hiver, la ville est à l’arrêt, certains vont regretter leur vie d’avant et repartir. » Ça, trop tôt pour le dire.
+ de touristes, – de Marseillais
Reste que les Parisiens ne sont pas le seul obstacle auquel les Massaliotes font face. Dopé par cette aura du « cool », le secteur des locations saisonnières n’en finit plus de faire son beurre. Marseille accueillait déjà un certain nombre de touristes venus profiter des calanques et des balades sur le Vieux Port, mais la pandémie – encore elle – a créé une nouvelle demande de la part des vacanciers français et européens, forcés de voyager à l’intérieur de leurs frontières. L’été dernier, sur les rochers de Malmousque, les « passe-moi la crème solaire » fusaient en français, en anglais, en espagnol et même en allemand.
Selon le site web Airdna, spécialisé dans la collecte de données en temps réel, 6 000 logements seraient actuellement disponibles à la location courte durée à Marseille. Un business juteux que le dernier conseil municipal tente de freiner. Il faut dire que Marseille a longtemps eu l’une des politiques les plus permissives de France en matière de résidence secondaire : jusqu’à peu, chaque investisseur pouvait louer plus de quatre résidences secondaires en meublés de tourisme sans avoir à fournir de compensation à la ville. Conséquence directe de ce laisser-faire, dans le 7e arrondissement – très prisé des touristes puisque proche de la mer – les petites surfaces se dealent toujours à prix d’or, pour se retrouver illico presto sur Airbnb…
D’après Patrick Amico, adjoint au maire chargé du logement, « les appartements disparaissent du circuit du logement familial classique alors qu’il existe une demande énorme à Marseille. Il y a aussi des rachats de grands logements pour les transformer en studio, ce qui est terrible, car cela crée un véritable manque. » Dans les pages de La Marseillaise, l’élu a fait part de son inquiétude : « Cette situation alimente un marché foncier totalement déraisonnable, où les gens qui ont besoin de se loger n’y arrivent plus. »
À force de voir ces logements leur passer sous le nez, bon nombre de Marseillais ont donc fait le choix de quitter la ville pour s’installer dans l’arrière-pays provençal voire plus au Nord, dans les départements alpins. « Les Marseillais font la même démarche que les Parisiens, ils vont là où c’est moins cher, tout en continuant à bosser en télétravail », constate Christophe Lamazere. « Dans certains villages des départements voisins, les prix partent aussi à la hausse. » Reste à savoir qui seront les prochains à pâtir de ce dérèglement sans précédent.
Immeubles en péril et champs de grues
« Il existe pourtant des coins où l’on peut encore acheter des immeubles entiers pour 300 000 euros », admet l’agent immobilier, qui tient avant tout à mettre en garde sur l’état de santé fragile de certains bâtiments. Personne ici n’a oublié les effondrements de la rue d’Aubagne et les huit morts. « Ce fut un électrochoc, un coup de projecteur sur tout ce que la ville compte de logements insalubres et d’immeubles en péril », se souvient Christophe Lamazere.
Ce vendredi matin, face au vide bétonné des numéros 63 et 65, la petite foule de victimes, de riverains et de journalistes fait silence. Trois ans, jour pour jour, après le drame qui a secoué l’une des rues les plus animée de Noailles, la colère est intacte. « On a l’impression que rien n’a changé et on ne sait pas ce que va devenir notre quartier », avoue une habitante. Si la rue d’Aubagne a été rouverte aux piétons, plusieurs riverains n’ont toujours pas pu réintégrer les immeubles alentour, condamnés depuis novembre 2018 par des mises en péril. « C’est une vie faite de centre d’hébergement, d’hôtels miteux et d’HLM », décrit l’un des membres du « Collectif du 5 novembre », inquiet de voir sa ville incapable de reloger dignement « des habitants déjà sur place. »
En trois ans, la précédente municipalité a ordonné l’évacuation de près de 5 000 personnes habitant dans plus de 600 immeubles marseillais. Un manque à loger qui vient s’ajouter aux 40 000 logements jugés insalubres éparpillés dans la ville. Et si la nouvelle mairie mène de nombreux travaux d’office, pour Christophe Lamazère, « elle n’a malheureusement pas les moyens de ses intentions. Marseille est une ville ruinée et les caisses sont presque vides. »
La pénurie immobilière a même poussé les investisseurs à jeter leur dévolu sur les populaires 1er et 3e arrondissements, jusqu’ici ignorés. Des abords du quartier de la Belle de Mai jusqu’aux étroites rues de Noailles, le paysage urbain n’est qu’échafaudages et ballet de grutiers. Des zones de Marseille, certes encore trop « populeuses » pour attirer les CSP+, mais où les bonnes affaires immobilières sont possibles, moyennant un petit pari sur l’avenir. Comprenez : miser sur la gentrification plutôt que sur la préservation du tissu social.
Face à cette situation de crise, personne ne sait encore si Marseille choisira la pilule bleue ou la pilule rouge : secourir ses habitants d’origine ou favoriser ses néoarrivants ? L’avenir le dira.
* Les prénoms ont été changés.