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*** URBANIA et SEPT magazine unissent leurs forces pour vous proposer une série d’articles autour du thème de la gourmandise.
N’hésitez pas à soutenir ce média papier indépendant a lancé son nouveau numéro ce 4 mai sur le thème de la luxure. ***
MES CHÈRES SŒURS,
Nous avons été élevées en rivales. Comme les proies, comme les bourreaux les unes des autres. La faute sans doute à tout ce qui nous fait pousser de travers, particulièrement aux modèles qu’on nous donne à mâchouiller parce que, oui, « la culture est la nourriture de l’esprit ». Parfois elle donne plus envie de tout recracher que de continuer d’apprécier. Notre fameuse rivalité féminine, nos crêpages de chignons, nos langues de vipères, nos médisances, notre envie dévorante d’attiser la haine des nôtres n’est pas innée, elle est surtout acquise. Des Walt Disney qu’on nous propose dès l’enfance en guise de réconfort aux Lolita Malgré Moi et tout le tsoin tsoin de l’adolescence, jusqu’aux savamment dits chefs d’œuvres culturels avec lesquels on se construit à l’âge adulte, le paysage n’est pas reluisant. Certain·e·s se sont penché·e·s sur cette supposée théorie implacable : la rivalité féminine. Heureusement, parce que ce n’est plus tolérable que les références culturelles (et professionnelles, et affectives) soient d’une part si éloignées de la réalité. D’autre part, si toxiques qu’elles nous font parfois douter qu’en fait, les relations entre nous sont douces, coriaces, brûlantes, intelligentes et profondes.
NOTRE PRISON CULTURELLE
Révisons ensemble les principes de bases qui ont bâti cette prétendue guérilla des meufs. On peut dire qu’il y a plusieurs sphères à décortiquer, les unes entremêlées aux autres. Comme dit plus haut, en voici le ciment : nos références culturelles et professionnelles.
En grandissant, on nous impose, directement ou indirectement, d’être la plus belle d’abord, la plus cool ensuite, parfois la plus intelligente – mais pas souvent. Si on observe les modèles traditionnels proposés aux « petites filles » le constat picote. Blanche Neige est détestée par la Reine pour sa beauté (et par voie de conséquence le fait qu’elle pourrait plaire davantage à ces messieurs), Cendrillon est tyrannisée par ses demi-sœurs pour l’amour du prince charmant. Cady Heron dans Lolita malgré moi commet l’abject écart de tomber amoureuse du mec de la plus populaire (et plus jolie) fille de son école. D’ailleurs, petite parenthèse le synopsis de ce film est assez terrifiant mais plutôt parlant : Cady Heron atterrit un beau jour dans un lycée de l’Illinois, où elle découvre un univers encore plus exotique, plus mystérieux et plus dangereux que toutes les jungles : le monde des filles… Vous voyez le genre ?
Bref, comme il y a de tout sur cette Terre, des têtes pensantes se sont posées sur la question, du style : C’est quoi cette merde ? Pourquoi les meufs sont supposées se détester ? Et pourquoi on en redemande ?
Katha Pollitt invente (le nom, pas le principe) le syndrome de la Schtroumpfette en 1991. L’idée est assez simple : tandis que les personnages masculins se multiplient tant dans leur nombre que dans leurs personnalités, les personnages féminins sont peu ou pas représentés ou alors tiennent des rôles assez pourris. D’après elle, dans de nombreuses séries il s’agit « d’un groupe de copains, accompagnés d’une seule femme, en général définie de manière stéréotypée… Le message est clair. Les garçons sont la norme, les filles la variation ; les garçons sont centraux quand les filles sont à la périphérie ; les garçons sont des individus alors que les filles sont des stéréotypes. Les garçons définissent le groupe, son histoire et ses valeurs. Les filles existent seulement dans leur relation aux garçons. » Cette particularité cinématographique va bien sûr être un des facteurs de mésentente entre les filles, une sorte de réflexe inconscient : « les filles c’est nul, les mecs c’est mieux. Et si en tant que meuf je suis acceptée parmi les garçons, il faudra que je sois la seule ou en tout cas la plus cool. Même si ça veut dire faire la vie dure à mes consœurs. » On ne va pas se le cacher, personne n’aime être un stéréotype ambulant, et pourtant on a bien intégré ce satané message.
La dessinatrice de bandes dessinées Alison Bechdel a, aux côtés de Liz Wallace, mis au point un test visant à mettre en évidence cette sous-représentation des femmes dans les œuvres de fictions : le test de Bechdel-Wallace. Voici les trois critères pour, disons, réussir le test : qu’il y ait au moins deux femmes nommées (nom/prénom) dans l’œuvre. Que ces deux femmes discutent entre elles, et que lorsqu’elles le font, leur sujet de conversation n’ait pas de rapport avec un homme. À l’heure où ces lignes sont écrites, d’après le site collaboratif bechdeltest.com seulement 56,6% des films répondent aux trois critères. À peine la moitié donc.
Tout ça permet de mettre le doigt sur les premiers parasites qui sèment la maladie de l’envie entre femmes. Même si nous en faisons l’expérience durant l’enfance et l’adolescence, nous ne voyons que très peu à quoi ressemble la compassion, l’affection, l’amitié voire l’amour sain et serein entre femmes. Nous sommes trop préoccupées à avoir le meilleur rôle aux yeux de la gent masculine. Les graines germent, poussent, et nous devenons adultes. Dans ce monde une nouvelle rivalité est prise à partie. Nommons-là rivalité au travail. Demandons-nous pourquoi, dans le monde du business, les critiques sont toujours plus faciles envers les femmes.
DAME DE FER
À ce qu’il paraît, dès qu’une femme bosse avec une ou plusieurs femmes, ou dès qu’elle est la supérieure d’autres personnes, elle se transforme en une espèce de monstre malfaisant. En 2021, le Workplace Bullying Institute, spécialisé dans les problématiques de harcèlement, est arrivé au constat suivant. Il est vrai que les femmes harceleuses choisissent dans la majorité des cas (68%) des cibles féminines. Néanmoins, elles font partie de la minorité des personnes qui harcèlent, la majorité étant des hommes (69%). Selon une autre étude menée par l’ONG Catalyst, les trois quarts des femmes interrogées soutiennent d’autres femmes. Autrement dit, tout le contraire que de se mettre la misère. Les femmes ne seraient donc pas plus terribles entre elles au travail que les mecs – on les remarquerait juste davantage.
Encore une fois tout ça est le résultat de mécanismes de défense intégrés, de stéréotypes non digérés. Dans un milieu professionnel à majorité masculine, les femmes ayant une position d’autorité tentent d’adopter les codes de leurs pairs. C’est ce qu’on appelle le Queen bee syndrom. D’après cette théorie, les femmes se refuseraient à accompagner leurs consœurs dans leur ascension professionnelle, au risque de ne plus être la meilleure d’entre toutes. Pourtant cette pseudo hypothèse a été décousue par une étude de la Columbia Business School de New-York. Alléluia ! Cette étude s’est penchée sur les comportements de 1 500 entreprises sur une période de 20 ans. Elle a bien sûr mis en avant le fait que les femmes qui ont des postes à responsabilité ne s’amuseraient pas à saboter l’ascension de leurs consœurs en les humiliant, voire en les rabaissant. Disons-le, peut-être que ces dames n’ont pas que ça à faire. Il s’avère juste que les désaccords entre femmes sont plus mal vus, à conflit égal, que ceux entre hommes ou ceux entre un homme et une femme. On en revient donc à la même conclusion : on ne s’engueule pas plus, on ne descend pas plus nos congénères, nos engueulades sont simplement systématiquement plus montrées du doigt.
Que les conflits entre femmes soient perçus comme malsains n’est pas anodin. Les femmes doivent être douces, tendres, diplomates et tout ça, même dans le monde du travail. Inconsciemment on s’attend à ce qu’elles restent les individus sensibles aux besoins et ressentiments des autres. Dans l’idée, c’est beau. Ça donne même envie. Mais c’est justement pour ça qu’on leur reproche si facilement d’être des tyrans. Aucun écart n’est toléré, chaque écart est maximisé. Il est donc impératif d’abandonner l’idée que si une femme n’est pas contente du travail d’une autre, ce n’est pas une garce. Elle fait son boulot, c’est tout.
« SI TU BRILLES, JE BRILLE »
Après tout ça, je crois qu’il est temps de mettre en avant une autre théorie. Un exemple qui réchauffe le cœur d’une part, qui correspond plus à nos expériences de vie d’autre part.
Proposons donc la théorie suivante : la théorie de la brillance, développée par les podcasteuses américaines Aminatou Sow et Ann Friedman. L’idée est simple : « Je ne brille pas si vous ne brillez pas » et donc « Si vous brillez, je brille. » Une proposition de collaboration plutôt que de rivalité. Et des exemples, il y en a, des beaux, des très beaux. L’un des plus connus est certainement celui qui s’est déroulé à la Maison Blanche, sous la présidence de Barack Obama. Étant donné que les deux tiers des chef·fe·s de cabinet et conseiller·e·s étaient des hommes, le dernier tiers, féminins donc, à décider de mettre en place une stratégie solidaire qu’elles ont nommée : l’amplification. Grosso modo, lors d’une réunion si une femme développe une idée intéressante, une autre la répète en créditant celle qui l’a énoncé en premier lieu. Le but : se soutenir, montrer que la parole de l’autre a de la valeur, plutôt que se comparer (et éviter qu’un mec se l’approprie au passage). Ce phénomène est devenu mondial.
À grande échelle cette théorie est peut-être l’une des plus représentatives de ce que pourraient devenir nos relations et notre futur commun si nous tentons de nous extraire de cette pseudo rivalité féminine. Et chaque jour de nouvelles initiatives se mettent en place. C’est beau.
ALORS MES CHÈRES SŒURS,
Aimons-nous, puisque personne ne nous a appris à le faire.
Admirons-nous, puisque personne ne nous a appris à le faire.
Parce que que nos corps, nos âmes, nos forces et nos faiblesses ne sont pas les mêmes, sublimons-nous.
Parce que si une est abattue, si une connaît la peur, c’est nous toutes qui subissons.
Parce que si une connaît la gloire et le pouvoir, c’est nous toutes qui en profitons.
Aimons celle qui est plus intelligente,
plus brillante,
plus éloquente,
plus intimidante,
plus bienveillante que nous.
Car celle qui l’est, l’est pour nous toutes.
Amélie Malinet pour 7 magazine
Numéro « Envie »