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Une pandémie de reconversions professionnelles

« Ah, toi aussi t'as démissionné ? »

Par
Capucine Japhet
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Lorsque je me suis retrouvée confinée à travailler dans mon appartement de 25 m2, j’ai dû renoncer à ce qui me plaisait le plus dans mon métier : le terrain, les rencontres. J’ai abandonné des projets pour me concentrer sur l’instant présent. Il fallait travailler, produire de l’information à distance et payer le loyer. La période covid, rythmée de confinements, était difficile. Il m’arrivait de passer un mois, sans vendre une seule pige. L’idée fantasmée que je me faisais du métier de journaliste, s’évanouissait au fil du temps. Aujourd’hui, le quotidien est plus doux mais je continue de questionner perpétuellement le sens de mon travail et j’espère parfois, avoir le courage de me reconvertir.

Alaïs, elle, a très vite compris pendant le premier confinement qu’elle faisait fausse route. La jeune femme s’est installée à Berlin en mars 2020 pour un stage de fin d’études et s’est retrouvée en télétravail en raison du Covid-19, deux semaines après avoir pris son nouveau poste : « Ça a été très violent de me retrouver devant un ordinateur à ne plus bouger, parce que je suis quelqu’un qui a besoin de faire des activités, de contacts sociaux, c’est là où je trouve mes ressources, où je me nourris. »

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Alaïs est chargée de mener un projet d’accompagnement scolaire et un programme sportif pour des jeunes filles issues de quartiers prioritaires. « J’avais l’impression de faire dix mille petites choses mais qui ne donnaient pas de résultats parce que derrière, nous n’avions pas nos bénéficiaires, personne ne bénéficiait de notre travail donc j’avais un profond sentiment d’inutilité. »

« J’avais une pression sociale du fait de mon master, il fallait que j’aille vers des métiers de bureau, ça n’allait pas du tout, et j’avais une angoisse à l’idée de me retrouver derrière un bureau »

Après son stage, la jeune femme rentre temporairement en France pour achever son mémoire, puis le second confinement frappe à la porte. Elle se résout à postuler dans son domaine : « Je me suis retrouvée sur un marché de l’emploi submergé par des cadres au chômage et je ne faisais pas le poids face à des personnes qui avaient des années d’expériences dans le domaine. » Pourtant, depuis son expérience berlinoise, Alaïs sait pertinemment, qu’elle souhaite faire autre chose de sa vie : « J’avais une pression sociale du fait de mon master, il fallait que j’aille vers des métiers de bureau, ça n’allait pas du tout, et j’avais une angoisse à l’idée de me retrouver derrière un bureau, confie-t-elle. J’avais le sentiment de ne pas avoir de valeurs à mes yeux ou aux yeux de la société car jeune diplômée, pleine d’élan que j’étais, on me refusait tout et plus rien ne me donnait de perspectives réjouissantes. »

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Le déclic

La période si particulière du Covid-19 et les confinements à répétition ont encouragé certain.es à s’interroger sur leur travail. D’après une enquête BVA réalisée en juin 2021, 20% de la population active française a commencé à se questionner sur la possibilité d’un changement sur le plan professionnel durant la crise sanitaire, « une proportion d’actifs légèrement supérieure à l’année dernière. »

Après avoir effectué un bilan de compétences, Jessica cherche désormais un stage en tant qu’assistante vétérinaire. Une perspective professionnelle qu’elle cumule avec sa nouvelle activité de couturière indépendante. Cette ancienne développeuse informatique, passionnée par le code a enchaîné déception sur déception.

Lassée par une mauvaise expérience professionnelle, la période du covid a été propice à une remise en question. Au chômage partiel, Jessica a fini par s’essayer à la couture lors du premier confinement. Elle s’est alors rendu compte qu’elle pouvait y trouver une satisfaction là où elle ressentait un sentiment de frustration dans son travail. « En couture, je pouvais créer ce que je voulais et surtout je pouvais discuter avec les clients et les conseiller. Là, les gens étaient à l’écoute. » Jessica a créé sa micro-entreprise ainsi qu’un compte Instagram où elle y propose des accessoires en tout genre.

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Si la jeune femme a essayé de donner nouvelle chance à l’informatique après le confinement en intégrant une autre entreprise, elle s’est rapidement retrouvée à faire du code qu’elle juge inintéressant, tout en accompagnant des clients sur des projets peu épanouissants. « Une fois encore, je conseille et ils (les clients) préfèrent aller au plus vite, au moins cher donc je me suis dit, s’ils mettent fin à ma période d’essai, j’arrête tout. »

« Je n’étais pas très bien depuis plusieurs années. Aujourd’hui, je me sens beaucoup mieux, même si c’est précaire. »

Désormais, en plein processus de reconversion professionnelle, Jessica sait qu’elle renonce à un certain confort financier. Une décision qu’elle assume pleinement. « Si je suis auxiliaire vétérinaire, payée au Smic, et si j’arrive à développer mon entreprise de couture, je n’arriverai pas à me verser de salaires conséquents au départ mais je préfère ça car le temps que je vais consacrer à mon travail ne sera pas perdu : je serai heureuse de le faire. »

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C’est un peu ce que s’est dit Claire, en choisissant de se reconvertir à 32 ans. « Je n’étais pas très bien depuis plusieurs années. Aujourd’hui, je me sens beaucoup mieux, même si c’est précaire. » Désormais photographe professionnelle, Claire est diplômée d’une école de commerce et a commencé sa carrière comme consultante dans les achats. En 2019, alors qu’elle rejoint une start-up parisienne en tant que customer success manager, elle s’inscrit à un programme pour faire un bilan de compétences. « Il en ressort que j’avais besoin de plus de créativité dans ma vie quotidienne. » Elle décide de prendre des cours du soir de photographies, développe un site web et des projets. « C’est là que j’ai mis le doigt sur quelque chose qui me plaisait. »

Pour autant, la trentenaire poursuit sa carrière et s’accommode du quotidien. Le cadre de travail est agréable, et elle aime passer du temps avec ses collègues. Mais c’est finalement le confinement qui la motive à franchir le cap : « J’aimais bien ma boite, mes collègues, le fait de prendre des verres avec eux le soir et j’oubliais que ce que je faisais au quotidien ne m’allait pas. Je me suis retrouvée à bosser chez moi devant l’ordinateur et je me suis rendu compte que ça n’allait plus. »

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Quête de sens

« On a senti une accélération de cette tendance, de ces nouvelles aspirations, à plus de sens, à plus d’utilité, à l’envie de faire autre chose », assure Clara Delétraz, cofondatrice du programme Switch collective. Cette start-up qui propose de faire des bilans de compétences et qui a vu son activité augmenter de 100% depuis le premier confinement.

Si les aspirations au changement sont toujours les mêmes depuis des années, la crise a boosté la tendance. « Il y a vraiment la question du sens, de l’alignement avec les valeurs, de l’utilité qui revient beaucoup. Je pense qu’avec ce que l’on a vécu, forcément les gens se posent des questions sur la transformation du monde, et tout simplement interrogent la place de leur travail dans leur vie », explique-t-elle.

« d’un coup, tout change et tu te dis : « On vit vraiment des vies de cons » »

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Florence a justement redonné du sens à sa vie, suite à son licenciement en décembre dernier. A 53 ans, elle quitte un poste à responsabilité dans une grande entreprise de communication, et décide de faire du coaching professionnel, destiné aux jeunes adultes. « On m’a poussée dehors mais j’ai été triste une heure seulement ! J’étais déjà dans un processus de transformation qui a été accéléré par le confinement », confie-t-elle.

Si Florence était passionnée par son travail, la crise du covid lui a permis de changer de paradigme. « Le jour où t’es chez toi, avec ta famille, que tu prends le temps de cuisiner, de discuter, ce que tu n’avais jamais fait avant parce que tu rentrais à 20h, tous les jours, et bien tout d’un coup, tout change et tu te dis : « On vit vraiment des vies de cons ». » Une prise de conscience qui l’aide aujourd’hui à faire sa reconversion professionnelle, très sereinement. « Le covid m’a permis de me réapproprier ma vie, j’ai remis l’église au milieu du village. Ma vie, ce n’est pas que l’entreprise ! »

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Quant à Alaïs, plus question de remettre les pieds derrière un bureau, elle enchaîne désormais les jobs de terrain, en tant que serveuse ou sauveteuse en mer. Elle espère aujourd’hui devenir coach pour ouvrir des centres de bien-être physique et mental.

Cette vocation s’est dessinée en janvier dernier. Alaïs avait proposé à une amie en dépression, un programme sportif journalier pour l’aider à aller mieux. En diversifiant les séances de sport avec du renforcement musculaire, de la cardio ou encore du yoga, la jeune femme s’était transformée en une véritable coach. « J’ai voulu mettre en application ce que j’avais écrit dans mon mémoire qui montrait que le sport permettait l’empowerment des femmes, et j’ai toujours été intriguée par le fait que le sport pouvait permettre le bien-être mental. » Petit à petit, d’autres amies ont rejoint le programme et Alaïs a entraîné un groupe de 30 personnes. « Je ne faisais pas en sorte de viser la performance mais le bien-être mental. » L’expérience est une révélation. « Le covid m’a permis de définir ma voie », assure-t-elle.

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