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Une nouvelle page à République pour Les mots à la bouche

La librairie pionnière LGBTQI+ a déménagé.

Par
Isabelle Delorme
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Elle s’apprêtait à fêter ses 40 ans mais c’était sans compter sur l’impitoyable loi du marché immobilier parisien et l’apparition d’un virus planétaire. La première librairie LGBT de Paris, Les Mots à la Bouche, a ouvert ses portes dans le 18ème arrondissement de Paris en 1980, mais c’est en déménageant rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie en 1983 qu’elle est devenue une véritable institution dans le Marais. Un quartier devenu gentrifié, qu’elle a dû quitter pour mieux renaître dans le 11ème arrondissement. Entre-temps, les masques se sont invités dans le quotidien des Parisiens. Un contexte particulier pour la réouverture de la librairie, le 5 juin.

«C’était une démarche militante, en pleine époque de visibilisation du mouvement et d’affirmation identitaire», raconte Nicolas Wanstok, libraire aux Mots à la Bouche depuis 13 ans, lorsqu’il évoque la création de la librairie pionnière en France par Jean-Pierre Meyer-Genton en 1980. Les ouvrages LGBTQI+ – et autres, car la librairie est aussi généraliste – ont fait leur baluchon pour la deuxième fois dans leur histoire, après avoir attiré pendant 36 ans les lecteurs dans le Marais.

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Déménagement forcé pour quitter un Marais embourgeoisé

En 1983, le Marais n’était pas le lieu de rassemblement gay qu’il est devenu par la suite. En installant ses rayonnages rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, la librairie a participé à en poser les fondations, rappelle Nicolas Wanstok. Une époque où les loyers étaient encore bas…

«J’ai vu un peu la fin du processus, raconte celui qui a pris ses fonctions en 2007. Le Marais est passé de quartier pauvre et populaire à gentrifié, puis hyper gentrifié avec l’installation de grandes marques de luxe ces dix dernières années. L’aspect communautaire a décliné et la population du quartier est partie, faute de moyens». Un départ massif d’habitants, mais aussi de commerces. «Dans le segment de la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie où nous sommes, il y avait 10 bars gays il y a quinze ans. Aujourd’hui il n’y en a plus un seul», constate le libraire.

Des changements qui ont fait grimper la valeur locative du quartier, ce qui n’a pas échappé au propriétaire de la librairie. Lorsqu’il décide de ne pas renouveler le bail commercial et d’augmenter de 2 à 3 fois le montant du loyer en juin 2019, il met un point final à l’histoire des Mots à la Bouche dans ces lieux. Ce sont les chaussures Doc Martens qui ouvriront un nouveau chapitre.

Renaître à République en pleine crise de COVID-19

Même devanture bleue et blanche, même équipe et même engagement… Au 37 rue Saint-Ambroise, les fidèles des Mots à la Bouche peuvent retrouver leur repaire – et repères – depuis le 5 juin. «A République, nous ne sommes pas loin du centre et il y a déjà un début de communauté LGBT+ avec quelques bars pas trop loin», se réjouit Nicolas Wanstok, qui a par ailleurs réalisé que la moitié de sa clientèle habite le quartier.

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Mais entre-temps, le coronavirus s’est invité dans la capitale. Une situation compliquée pour assurer les travaux, rouvrir le commerce et célébrer son quarantième anniversaire. «Nous avions prévu une chouette fête, souffle le libraire, et c’est évidemment repoussé». Le nombre de personnes dans la librairie étant limité, c’est une perte de chiffre d’affaires pour le commerce, mais aussi et surtout de contacts pour ce lieu à vocation communautaire.

Les habitués ont été néanmoins nombreux à suivre virtuellement la librairie sur les réseaux sociaux depuis sa fermeture. «La peur liée au virus va jouer, mais la plupart de nos clients trouvaient inadmissible que les librairies ne soient pas considérées comme essentielles», confie Nicolas Wanstok qui a décidé de tourner cette nouvelle page avec enthousiasme. «Nous aménageons un nouveau lieu et c’est extraordinaire à faire ! Nous y mettons toute notre énergie et cela aide à remonter le moral par rapport au fait que tout ne se soit pas passé exactement comme prévu à cause de la pandémie».

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Positif, Nicolas Wanstok l’est un peu moins lorsque nous évoquons l’évolution de la société française ces dernières années. «J’ai été surpris par les Manifs pour tous et nous étions nombreux à être en colère, et même un peu terrifiés, de voir autant de monde. Nous en subissons sans doute encore les conséquences, en tout cas SOS homophobie fait le lien avec la violence ciblée sur les homosexuel(le)s que l’on observe. Car cela n’a pas disparu : on se fait encore casser la gueule pour cette raison au lycée ou dans la rue».

Mais le libraire se réjouit de constater qu’Internet a changé les choses et que les ados sont pour la plupart mieux informés aujourd’hui. «Je pense que cela avance doucement, mais ce n’est pas magique et cela ne se fait pas sans militants. Nous sommes très loin d’avoir mis un programme en place en France à l’école pour faire réfléchir les enfants et les ados à ces questions». Une génération dont on espère qu’elle pourra faire beaucoup mieux, pas seulement en matière d’environnement.

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