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Un hommage au Kanye de College Dropout
Difficile d’être neutre à propos de Kanye West. Même ceux et celles qui n’ont jamais écouté sa musique ont une opinion sur l’homme, et elle est généralement négative. Bon, c’est sûr que depuis quelques années, Kanye est de plus en plus difficile à aimer et défendre. Ce texte n’est pas là pour justifier son pétage de plomb, ni même essayer de le comprendre. Non, aujourd’hui j’en profite plutôt pour donner un peu d’amour au Kanye originel, le Kanye que le grand public découvrait en 2014 à la sortie de son premier album College Dropout.
Étant un grand fan de l’œuvre de Yeezy, c’est difficile pour moi de dire quels albums de sa discographie sont mes préférés, mais à bien y penser, je crois que College Dropout est probablement au sommet, et pour plusieurs raisons. C’est un album qui est un peu méconnu, ou du moins pas assez discuté, parce que moins bourré des gros hits de Kanye qu’il a produit par la suite. Cela étant dit, cet opus-là cristallise pour moi le Kanye pur. Le Kanye candide, optimiste, affamé. Un Kanye qui devient difficile à s’imaginer aujourd’hui, mais qui a bel et bien existé.
Le Kanye comique
Une des choses que j’aime le plus dans College Dropout, c’est l’humour qu’on y retrouve. On est habitués aujourd’hui à un Kanye sérieux — quoique risible — mais à l’époque, celui qui nous offrait cet album savait traiter de sujets sérieux avec une certaine légèreté.
L’ouverture de l’album met tout de suite le ton, alors que son directeur d’école lui demande s’il peut chanter une chanson pour les enfants, et qu’il répond « Ah yeah, I got the perfect song for the kids ». Il enchaîne alors en chantant : « And all my people that’s drug dealing just to get by / We wasn’t supposed to make it past 25 / Joke’s on you, we still alive ».
Cette satire se répète plusieurs fois dans l’album. Sur The New Workout Plan, Kanye propose une routine d’entraînement pour les femmes qui aimeraient dater un rappeur, un joueur de la NBA ou au moins « un dude avec un char ». Bon, si le côté sexiste de la chanson vieillit mal, on comprend tout de même la démarche au deuxième degré.
Le Kanye politique
Au travers de ses différents skits humoristiques, Kanye arrive malgré tout à offrir un message politique sur différents sujets. Le principal est une critique vive du système d’éducation. Étant lui-même un ancien élève du college, il n’y va pas de main morte avec la culture du diplôme. Il revient souvent sur l’idée que l’école ne sert à rien, qu’il faut en sortir pour aller faire des choses concrètes. Laisse tomber les classes et va vivre.
«No I’ve never had sex, but you know what? My degree keeps me satisfied» dit DeRay Davis avant le début de School Spirit. Dans cette même chanson, Kanye insiste sur son statut de décrocheur avant la ligne suivante : «Told ’em I finished school and I started my own business / They say, “Oh you graduated?” No, I decided I was finished».
Malgré le thème principal de l’éducation, il tire également sur le racisme en rendant hommage à ses ancêtres sur la puissante Never Let Me Down avec Jay-Z. Ma préférée de l’album reste tout de même Spaceship, ode à tous ces jeunes rêveurs qui préféreraient suivre leurs ambitions, mais qui se retrouvent plutôt à travailler dans des jobs minables. Je dirais que c’est le genre de chansons qui me revient en tête quand je me sens aliéné par mon travail. Pis mon dieu … CE BEAT.
Le Kanye musicien
Bon ça, ça n’a pas trop changé avec le temps par contre : on peut dire ce qu’on veut de Yeezy, mais ça reste un putain de bon producteur. Cela dit, les beats de College Dropout m’impressionnent par leur versatilité. Le sampling de Kanye sur cet album est juste ailleurs. On se promène entre des beats gospels (Jesus Walks, I’ll Fly Away), à la guitare (All Falls Down), au r’n’b langoureux (Slow Jamz) jusqu’à des beats agressifs très durs comme Get Em’ High ou Breathe In Breathe Out.
Sur l’album, il y a une chanson pour chacun des moods du monde, et c’est pourquoi j’y reviens si souvent. On dirait que chaque jour, je peux écouter une chanson différente qui va se coller à mon émotion du moment.
Le Kanye combattant
Finalement, je dirais que ce qui me manque le plus du Kanye originel et qu’on a de plus en plus de misère à retrouver dans ses plus récentes productions est le côté guerrier du rappeur. Bien sûr, son combat maintenant c’est Jésus, mais il ne le mène plus de manière aussi frondeuse qu’auparavant.
On voit que Yeezy a fini par se faire dompter un minimum par son environnement, ses nouvelles responsabilités et son statut de célébrité. Alors qu’à l’époque, on sent qu’il n’a rien à perdre et cette arrogance lui permet bien des choses. C’est cette énergie d’ailleurs qui le fera rapper malgré le fait qu’il sort tout juste d’un accident de voiture et qu’il s’est fait opérer au visage. La bouche retenue par des câbles de métal, il se permet quand même d’enregistrer la chanson qui deviendra son premier vrai hit : Through the Wire (littéralement : À travers les câbles).
En 2004, à la sortie de College Dropout, c’est cet artiste enragé que le public découvre. Un rappeur fougueux et nourri par un feu sacré, rebelle. Un feu adolescent qui lui a permis d’abattre tous les murs qui se sont dressés devant lui jusqu’à présent.
Malheureusement, comme tous les ados en nous, il finira par s’épuiser à force de rencontrer des obstacles, d’être limité dans son potentiel, de douches froides.
Mais ce n’est parce qu’un feu est éteint qu’il ne reste pas quelques braises sur lesquelles souffler. Dans le cas de Kanye, ce coup de vent peut heureusement venir à tout moment.