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Après plus de dix ans d’attente, la Procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples lesbiens et les femmes seules s’est imposée en France, l’an passé, le 28 septembre. Un an plus tard, les couples lesbiens continuent de se tourner vers l’étranger faute de réponse en France. Certains couples ont même dû renoncer à des projets de parentalité et une partie des personnes trans a été laissée de côté à cause d’une loi mal écrite et peu inclusive.
Du fond du lit, avec Cookie le troisième chat de la famille, Agathe, 26 ans, décrit ce ventre qui se tord à l’idée de pas avoir d’enfant, ces vêtements pour bébé qu’elle achète depuis des mois et ce livre de prénoms dans lequel les Post-It s’accumulent. Avec sa compagne, Elodie, 28 ans, elles se sont lancées dans un parcours PMA en France en décembre 2021. « Je suis infirmière et loin d’une frontière, explique Agathe. Financièrement c’était beaucoup trop cher pour nous de partir à l’étranger pour une grossesse. C’est simple : on n’a pas les moyens », ajoute Elodie qui travaille, elle, dans le social.
Jusqu’à l’an passé, pour avoir accès à la procréation médicalement assistée, il fallait être en couple hétéro et qu’une des deux personnes ait un problème d’infertilité. « Désormais, la nouvelle loi de bioéthique répond à une demande sociétale et non à un problème médical, ajoute Michèle Misrahi, professeure de biomoléculaire à l’AP-HP. Avec cette loi, on ne s’adresse plus uniquement aux personnes malades, c’est un vrai changement. » Le 28 septembre 2021, après plus de dix ans de luttes, la loi qui autorise la PMA pour les couples lesbiens et les femmes seules a été promulguée. Côté chiffres, entre janvier et mars 2022, l’agence de biomédecine note 5 126 demandes de première consultation pour un couple lesbien (47%) et des femmes seules (53%). 53 tentatives d’Aide Médicale à la Procréation (AMP) avec don de spermatozoïdes ont été réalisées.
Une loi incomplète qui ne permet pas, par exemple, de faire un don de gamètes à sa compagne et qui ne permet pas aux hommes trans qui voudraient porter leur enfant de le faire. « Souvent les médecins nous demandent si l’on veut conserver nos gamètes lors d’une transition médicale, raconte Morgane*, 36 ans. Mais quel est l’intérêt de cette conservation si on ne peut pas les utiliser en France ? » En couple, Morgane envisage de partir en Belgique pour se lancer dans un parcours PMA, avec sa conjointe Jeanne, 38 ans.
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« La loi que nous avons obtenue l’an passé est incomplète, admet Céline Cester, présidente de l’association des Enfants d’Arc-en-ciel. Il y a eu une réelle volonté politique derrière : ne pas toucher aux droits des hétéros. Donc pour cela, on a fait pour les lesbiennes, un droit à part, sans volonté d’égalité. Cette loi est volontairement discriminante et c’est révoltant. »
« Une fois encore, ce sont les associations qui bricolent pour éviter trop de mauvaises surprises. »
Dans sa ligne de mire : la Reconnaissance conjointe anticipée (RCA), un document essentiel à signer chez un·e notaire avant le début de la grossesse pour établir la filiation à l’égard des deux mères dès la naissance. Cette mesure étant réservée aux couples lesbiens, la personne qui aura accès à l’acte de naissance de l’enfant saura, de fait, comment est né l’enfant. « Comme rien n’a été mis en place, on se retrouve à former les notaires sur cette RCA, même un an après, lâche Céline Cester. Ce qui est tout bonnement inadmissible ! On fait ce travail qui devrait être assuré par l’Etat, sans argent et sans financement supplémentaire. Cette loi était si attendue que le gouvernement aurait au moins pu faire l’effort en termes de formation, d’informations et de financements pour que ça se passe bien pour les couples lesbiens et les femmes seules. Mais non ! Une fois encore, ce sont les associations qui bricolent pour éviter trop de mauvaises surprises. »
« Avant la loi bioéthique, il fallait attendre la naissance de l’enfant puis six mois de vie commune avec la seconde mère pour pouvoir l’adopter, ajoute Stéphanie, 34 ans. J’ai pu adopter ma fille Alix quand elle avait 18 mois et mon fils Samuel quand il avait 10 mois. » Dans son dossier de 70 pages, elle avait dû mettre des photos, les actes de naissance, un extrait de casier judiciaire, mais aussi « les preuves que je m’occupe bien de mon fils et des lettres de nos proches pour dire que je suis bien présente dans sa vie. » Désormais, si une RCA est faite avant le début de la grossesse, la procédure d’adoption n’est plus utile. « Mais là encore, c’est en théorie, s’exaspère Céline Cester. En pratique, on voit des actes de notaire qui ne pourront être acceptés parce qu’ils ne sont pas bien rédigés. »
« Il faut quand même être très déterminé pour faire une PMA en France à l’heure actuelle »
« Il faut quand même être très déterminé pour faire une PMA en France à l’heure actuelle, continue Céline Cester. Il existe des centres avec lesquels c’est facile de commencer et d’autres avec qui c’est beaucoup plus compliqué. Par exemple, aujourd’hui pour obtenir un premier rendez-vous à Montpellier, il faut attendre 2024. » Pour elle, l’allongement des délais d’attente s’explique, en partie, par un manque de prévision des pouvoirs publics. « Ce manque de moyens à l’hôpital public existait déjà avant, là on paie surtout le manque de volonté politique. » Pour tenter d’apporter une réponse, l’an passé le ministre de la Santé et des solidarités d’alors, Olivier Véran, annonçait débloquer huit millions d’euros pour aider les centres.
Aujourd’hui, un an après, il faut compter au moins six mois entre le premier rendez-vous et la première insémination. « Rien n’a été anticipé, ajoute Virginie Rio, co-fondatrice du collectif BAMP. Les délais étaient déjà longs avant la loi de bioéthique. C’était déjà pas adapté, et cette loi de bioéthique a mis en lumière les failles du système actuel. »
Autre changement notable avec cette loi : l’accès aux origines. Toute personne née grâce à un don de gamètes pourra avoir accès à ses origines à 18 ans. Depuis, les dons de spermatozoïdes sont en nette progression, explique l’agence de Biomédecine. A tel point que certains CECOS (NDLR, une unité d’un CHU qui conserve gamètes et embryons) n’ont plus de places pour les dons de sperme, souligne l’association des Enfants d’Arc-en-ciel. Une première en France.
Enfin, cette loi permet aussi aux personnes qui le souhaitent de pouvoir conserver leurs ovocytes. Cela représente environ 4 000 demandes depuis un an, rapporte l’agence de Biomédecine. Là encore, l’accès à la préservation des ovocytes diffère d’un centre à l’autre. A suivre donc.